Depuis plusieurs années, dans le secteur culturel – mais cela s'est également développé dans le secteur social – la vie associative, porteuse de démocratie, est la cible d'attaques qui sont de nature à la mettre en péril.
En préambule, il est bon de dire que le monde associatif a sa grand part de responsabilité dans cette dérive. Le rapport à l'argent et le regard suspicieux porté aux sources de financement émanant du monde des entreprises a amené à privilégier l'accès facile aux seules subventions des institutions plutôt que de rechercher avec lui des partenariats contractualisés. A été ainsi oublié qu'il y a une relation très étroite entre Culture et Économie.
Pour s'en persuader il suffit de prendre connaissance des chiffres suivants concernant le pourcentage des ressources publiques dans le secteur associatif :
- France 93 %
- Italie 40 %
- Royaume-Uni 35 %
- Japon 35 %
- États-Unis 30 %
- Suède 30 %..
(Source enquête Archambault 1998. Dossiers « IFRAP » février 2001)
Les subventions étant accordées le plus souvent sans qu'il soit fait référence à des grilles de répartition mais souvent en fonction d'affinités.
Or, au même moment où se précisent les conséquences de la réforme territoriale et où l'argent se fait rare, de nombreuses collectivités territoriales, de toutes tendances, mettent de plus en plus en place – en s'appuyant parfois sur des carences de fonctionnement – « l' instrumentalisation » de la vie associative en se substituant souvent à elle, en étant les financeurs, les réalisateurs et les bénéficiaires en termes de valorisation d'image, de communication interne et politique.
Une manière de consolider son pouvoir et parfois, sa mainmise sur des bénévoles ayant perdu de facto leur « esprit critique,» leur liberté.
Certains édiles, responsables, ont pleinement conscience des risques que cela peut faire courir à la vie associative et par là-même, à la démocratie. Il est difficile d'être en même temps « juge et partie. »
Ainsi, en 2008 lors de la campagne pour les municipales, l'actuel maire de Metz, en présentant son projet, avait organisé une soirée-débat sur ce thème et annoncé clairement : « Ce renouveau passe, en premier lieu, par le développement d'une démocratie locale libérée de ses carcans. Je souhaite notamment mettre fin à l'instrumentalisation de la vie associative et de la vie culturelle ».
On ne peut être plus clair.
Il semble évident que certains métiers : techniciens, monteurs, éclairagistes, sont indispensables à l'existence et au développement des activités de la vie culturelle et connaissent pour la plupart d'entre eux du fait de leur spécificité, une précarité certaine. Ceux-là justifient pleinement le bénéfice du statut d'intermittent.
Il est tout aussi évident que nombreux sont les chanteurs, musiciens, acteurs qui font choix de vivre leur passion et… de leur passion. Ceci pourrait d'ailleurs être élargi, si l'on suit le raisonnement, aux artistes peintres et autres plasticiens, voire auteurs et autres écrivains.
Cette volonté, ce choix ne leur attribuent pas pour autant le talent, la réussite ? Pourquoi serait-ce à la collectivité de financer leur passion ?
La question mérite d'ailleurs d'être posée quant à la prise en charge par cette même collectivité, au titre « d'intermittents du spectacle,» de certains artistes ayant connu, il y a un certain temps la gloire, et ayant logiquement à ce moment-là tiré profit de leur notoriété qui aujourd'hui s'est étiolée ?
Prolonger le raisonnement pourrait amener à dire que se « lancer » dans les carrières du spectacle serait accepter d'entrer en quelque sorte dans la catégorie des artistes subventionnés ? Des artistes fonctionnaires territoriaux en quelque sorte.
En effet des institutions départementales ou régionales, voire locales, à l'instar des grands groupes qui sévissent dans le monde économique, se sont substituées aux associations organisatrices de spectacles en créant d'autres structures dépendant directement de leur gestion. Souvent la gratuité pour le public amène à faire payer à la collectivité tout entière les choix culturels de quelques « planificateurs de la Culture » au détriment de la représentation de la nécessaire diversité. D'où à terme une stérilisation annoncée de la créativité.
Cela a d'ailleurs des effets pernicieux, voire souhaités, qui permettent à « l'artiste bien en Cour » d'accéder à des tournées bien organisées par des fonctionnaires de la Culture alors que les artistes qui vivaient, auparavant, grâce à leur talent, de leurs prestations se retrouvent nombreux à tenter de se produire dans des bars ou autres petits lieux d'expression qui se font, eux, de plus en plus rares.
Pour gagner leur vie les artistes avec ou sans talent, doivent pouvoir se confronter au public. Cela vaut particulièrement pour les musiciens, les chanteurs, les comédiens… Or si les festivals existent, en grand nombre, particulièrement en Bretagne, force est d'admettre qu'ils ne suffisent pas à répondre aux souhaits des anciens et nouveaux talents. Ce sont très souvent les mêmes artistes qui, au fil des manifestations, « tournent en boucle ! »
Il faut redonner possibilité d'exister aux « petits lieux d'expression »
A titre d'exemple, il y a près de 30 ans il existait, en Bretagne, un très grand nombre de ces petits lieux d'expression - porteurs de lien social qui plus est. Aujourd'hui, même si il y a eu un renouveau la majorité d'entre eux a disparu.
Cela est dû, en grande partie, aux contraintes qui leur ont été imposées depuis quelques années, du fait de l'obligation légitime de mise aux normes sur les plans de la sécurité et de l'acoustique.
Il aurait fallu à ce moment-là, pour conserver, voire élargir, le potentiel des lieux d'expression – cafés-concerts, cabarets et salles de spectacle… – et pour permettre aux musiciens, chanteurs, créateurs de rôder leurs spectacles, de se former, pour leur donner la possibilité d'être mis en présence du public, de leur donner des aides concernant les travaux engagés pour répondre aux exigences prévues par les textes législatifs.
Cela n'a pas été fait et il y a péril en la demeure.
Alors demain quelle vie associative et culturelle ?
Gérard Gautier
Ancien vice-président Conseil Culturel et Institut Culturel de Bretagne
Président association Blanc c'est exprimé et membre d'associations