En septembre 2008, le président de la République annonçait une grande réforme pour mettre fin au millefeuille territorial de la décentralisation française. En mars 2009, le rapport du Comité Balladur sur la réforme des collectivités annonçait une réforme d'envergure et suscitait déjà nombre d'inquiétudes chez les élus locaux. Les grandes manœuvres commençaient…
Quelques mois et deux lectures plus tard au Sénat, le projet gouvernemental semble bien mal engagé en ce mois d'août 2010. Les mesures phares du gouvernement (mode d'élection du conseiller territorial, spécialisation des compétences) font l'objet d'une contestation de plus en plus forte, à gauche comme à droite. Le big bang annoncé risque donc bien de se transformer en pétard mouillé et rejoindre le long cortège des réformettes en matière de décentralisation.
La création du Conseiller territorial partait pourtant d'une bonne idée
Celle de rapprocher deux espaces intermédiaires et concurrents, le département et la région. Le rapport Balladur préconisait un scrutin de liste départemental, les premiers de liste devant siéger au conseil régional, le reste dans les conseils généraux. Sans le dire le rapport instituait une forme de hiérarchie politique entre la région et le département près de quarante après le référendum perdu du général de Gaulle sur la régionalisation. Après de multiples pressions, en particulier celle de l'association des départements de France dirigée par Claudy Lebreton, le gouvernement changeait son fusil d'épaule et prévoyait un mode de scrutin majoritaire à un tour dans le cadre de grands cantons redessinés. Le département était sauvé mais pas la parité tant le scrutin majoritaire produit des effets dévastateurs sur une juste représentation des femmes dans nos institutions territoriales (12 % de femmes dans les conseils généraux contre 48 % dans les conseils régionaux et municipaux)…Un troisième scénario se dessine donc, un scrutin majoritaire à deux tours mâtiné ou non de proportionnelle selon la capacité d'influence des sénateurs centristes dans la perspective des sénatoriales de 2011.
Autre bonne idée, la clarification des compétences
Le rapport Balladur (et beaucoup d'autres rapports avant lui) pointait à juste titre la nécessité de clarifier les compétences des collectivités territoriales. On estime en effet que 20 à 30 % des budgets des collectivités financent des champs d'intervention similaires. Le gouvernement a donc décidé de spécialiser les compétences des départements et des régions en oubliant bizarrement les communes. Cette collectivité sera la seule à conserver une « clause générale des compétences ».Lorsque l'on sait que la France compte 37 % des communes des 27 États de toute l'Union européenne, que 75 % de ses 36.682 communes ont moins de 1.000 habitants, la logique gouvernementale peut paraître surprenante sauf si l'on ajoute dans l'équation l'influence du premier lobby de France, celui de l'Association des maires de France. Alors bien sûr, la carte de l'intercommunalité sortira consolidée de la réforme, des incitations financières à la fusion municipale sont même prévues mais, à n'en pas douter, le projet gouvernemental n'est pas à la hauteur des coûts générés par une carte communale multiséculaire que personne ne nous envie.
Et pour la Bretagne me direz-vous ?
Rappelons l'espoir et les débats qu'avait suscité le discours du chef de l'État à Nantes, en février dernier, lorsqu'il avait évoqué la possibilité de rattacher la Loire-Atlantique à la Bretagne. Le rapport Balladur qui avait suivi laissait entrevoir des ouvertures juridiques pour expérimenter une organisation territoriale différenciée en Bretagne et ailleurs. Or, le projet de loi qui s'annonce, s'il facilite des rapprochements possibles entre régions ou entre départements, exclut pour le moment toute fusion entre une région et un département. En l'état du texte, le dossier réunification devra passer par une fusion Morbihan/Loire-Atlantique ou Ille-et-Vilaine/Loire-Atlantique. La course d'obstacles semble se poursuivre inexorablement. Pour autant, ce n'est pas une surprise, tant les élus bretons sont aujourd'hui devenus incapables de créer un rapport de force avec l'État central. La droite bretonne, en déficit de leadership est à reconstruire. La gauche bretonne est, quant à elle, plus que jamais divisée et incapable d'assumer l'héritage célibien. Jean-Yves Le Drian est sans doute convaincu de la nécessité d'expérimenter un nouveau pouvoir régional. Mais les présidents de conseils généraux et les maires des grandes villes y sont majoritairement opposés par la seule crainte d'y perdre du pouvoir.
La tendance est même plutôt à la recentralisation
Avec la suppression de la taxe professionnelle qui réduit considérablement l'autonomie fiscale des régions et donc de la Région Bretagne. Quelle ironie pour une région qui, sous l'impulsion du CELIB et du mouvement culturel, a œuvré fortement en faveur de la décentralisation. Quel camouflet pour une région dont l'identité ouverte rayonne par-delà les frontières ! La réforme territoriale révèle donc une Bretagne de plus en plus impuissante politiquement. La décentralisation a fini par la domestiquer.
Romain Pasquier
Texte publié dans le magazine armor