Le signal du départ de la course autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance, fut donné dimanche à 13 heures 02 par un vent d'ouest frontal et un vrai crachin breton qui annonçaient une traversée du golfe de Gascogne houleuse, venteuse et brumeuse et en tirant des bords vers un front froid --soit en langage courant : une tempête.
Pas moins de 400 000 personnes s'étaient massées, pour certaines dès 7 heures du matin, le long des jetées et des quais des Sables d'Olonne, pour voir sortir dans le chenal qui mène de Port Olonna à la mer, les 30 héros modernes partant pour la plus prestigieuse de toutes les courses à la voile après l'America's Cup.
Les bateaux sont des monstres de 60 pieds en fibre de carbone et pour la plus part maintenant équipés de ballasts comme des sous-marins ! En vent-arrière, on remplit le ballast arrière pour mieux surfer. Quand on gite d'un coté, on remplit le ballast de l'autre bord. Des moteurs sont utilisés pour chasser l'eau des ballasts et la plomberie est devenue essentielle. Avec tout l' accastillage hi-tech de positionnement et de monitoring, le cockpit, coiffé souvent d'un énorme roof à glissière, ressemble de plus en plus à une cabine pour un vol dans l'espace.
Alors que les voiliers toutes voiles ferlées, étaient poussés ou tirés par des zodiacs, les équipes au complet et souvent des femmes ou des maris s'affairaient aux derniers préparatifs et aux derniers conseils. Les skippers, déjà harnachés et bottés pour le grand large, étaient émus aux larmes et saluaient la foule. Certains attendaient ce moment depuis plusieurs années passées en préparations techniques, physiques et mentales. Pour cette course d'endurance face à la solitude et à l'immensité, en plus d'un courage à toutes épreuves, d'un mental de fer, d'un corps d'acier, il faut aussi être son propre docteur, un as du système D et être tout à la fois, mousse, navigateur, cuisinier, capitaine et fin stratège. Tout ça ne s'improvise pas.
La foule en liesse, venue des 4 coins de la France, choyait ses héros défilant un à un, toutes les 4 minutes, dans un chenal devenu Champs Élysées pour l'occasion d'une sailing touch.
La sortie des 30 monocoques fut suivie du départ d'une centaine de vedettes et de navettes des îles du Ponant, venues pour beaucoup de ports bretons aussi lointains que Le Conquet, y compris les vedettes de l'Odet au grand complet. À leur bord, des milliers de passagers dont beaucoup d'employés des entreprises sponsors d'un bateau. Les prix des places allaient jusqu'à 200 euros par personne pour une petite sortie en mer vers la ligne de départ. Avec des creux de trois mètres, passé la bouée du Nouch, le mal de mer était pourtant garanti, mais rien n'y fit, les vedettes étaient bondées à ras bord.
Des équipes de télévision venues du monde entier filmaient l'événement. Un écran géant au bout de la plage retransmit la sortie, ainsi que le départ, qui eut lieu au large mais capté par des caméras embarquées sur des hélicoptères qui permettaient de voir jusqu'aux visages concentrés des skippers. Ceux-ci calculaient et manœuvraient pour arriver sur la ligne de départ au moment où résonnerait le coup de canon fatidique. Quelques secondes à vrai dire sans importance vu les trois mois d'enfer qui vont suivre.
Le Vendée Globe, c'est 90 jours de mer au minimum, seul avec les éléments et son destin qui, le Vendée Globe l'a montré, peut effectivement être fatal. Hier tous ces marins chevronnés ne rêvaient pas forcement de gloire mais surtout d'un retour dans moins de 3 mois, sans trop de casse, sans collision avec un cargo, un chalutier ou un iceberg, sans ouragan dans les quarantièmes rugissants ou les cinquantièmes hurlants, sans accident ou membre brisé, et avec un passage du Cap Horn humainement raisonnable sous des latitudes qui ne le sont qu'exceptionnellement.
Revenir aux Sables, sain et sauf, avec son bateau entier, c'est déjà avoir gagné.
Philippe Argouarch