Le 1er et le 2 octobre aura lieu à l'initiative de l'historien Reynald Sécher, une journée vendéenne à la Chapelle Basse-Mer. Mais la Chapelle Basse-Mer est en Bretagne…
Initiative qui ne manque pas de surprendre au premier abord donc, d'autant plus qu'à la différence des communes alentours, en butte à une débretonnisation conséquente, la Chapelle Basse-Mer conserve un patrimoine qui ne peut en aucun cas être en Vendée, tant il ressemble à ce que le XVIe siècle a légué à la Basse-Bretagne, j'ai nommé la Chapelle Saint-Pierre ès Liens, fondée au XIIe, reconstruite au XVIe, chapelle que Reynald Sécher et ses amis restaurent avec efficacité depuis une vingtaine d'années, malgré les rebuffades récentes de la municipalité (voir le site)
En fait, la Chapelle Basse-Mer se trouve au beau milieu de la terre insurgée de 1793 à 1796, connue sous le nom de Vendée militaire, et qui couvrait un espace qui s'étendait grosso modo du sud de Nantes au sud de la Vendée, débordant sur les Deux-Sèvres et les Mauges. La guerre de Vendée se déclencha dans les Mauges, à Cholet et Saint-Florent, contre la levée en masse ordonnée par les révolutionnaires. Le mouvement, alimenté par le clivage profond entre urbains et ruraux et par les persécutions antireligieuses qui suscitent la révolte des ruraux, prend de l'ampleur. La Vendée militaire se dessine en mars 1793, c'est un peuple entier qui se lève contre la terreur de la Révolution. L'assaut sur Nantes échoue de peu, mais le sud de la Loire-Atlantique, de l'Anjou et tout le bas-Poitou échappent définitivement au pouvoir révolutionnaire, qui ne tient que certaines petites villes. Fin octobre, les Vendéens, commandés par le généralissime La Rochejaquelein, traversent la Loire pour aller ranimer la révolte en Bretagne et Normandie. C'est la virée de Galerne, où les Vendéens remportent une victoire retentissante, à Entrammes, mais qui se solde par un échec sur la Manche où aucun bateau anglais ne vint soutenir, comme il était promis, le siège de Granville. Les Vendéens refluent, épuisés, et sont finalement massacrés à Savenay le 23 décembre 1793.
Le rapport de Westermann est resté célèbre, suite à cette bataille : « Citoyens républicains, il n'y a plus de Vendée ! Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l'enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m'avez donnés, j'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher.»
Mais la Vendée est loin d'être anéantie. Elle peuple les prisons de Nantes où se déchaîne la Terreur orchestrée par Jean-Baptiste CARRIER. En janvier 1794, TURREAU met en œuvre les décrets de la Convention sur la « destruction de la Vendée », les colonnes mobiles dites « infernales » dévastent villes et villages. La population du Loroux-Bottereau est massacrée, le sud-est de la Loire-Atlantique est complètement ruiné, tout comme le nord et le centre de la Vendée ; certains de ces massacres ont été rappelés par des plaques du Souvenir Vendée (voir le site) . Cette répression dont la terreur est à la hauteur de la crainte des Républicains devant l'avancée de la Virée de Galerne, n'éteint pas la révolte mais au contraire ranime l'insurrection vendéenne, qui devient une légitime défense contre des criminels honnis et légitimés par les lois d'une République née dans le sang.
Par la suite, la République a toujours voulu cacher ce crime originel, oscillant entre deux présentations : celle du maintien de l'ordre public contre des rustres brigands des campagnes, et celle d'une répression, dure certes, d'une révolte préjudiciable à l'avenir de la République, l'immense espoir qu'elle aurait fait naître et aux principes libéraux et égalitaires qu'elle créa. La voix la plus discordante par rapport à ces lectures est celle d'un contemporain, Gracchus Baboeuf, qui écrivit en 1794 un pamphlet Du système de dépopulation ou La vie et les crimes de Carrier où il fustige les exactions de Carrier, de Turreau et de Cordelier en employant à leur endroit la qualification de populicide néologisme forgé pour une notion jadis inconnue et qui recouvre l'extermination délibérée d'un peuple, le sens moderne du mot génocide, créé en 1944 pour qualifier la Shoah.
En 1986, Reynald Secher fait paraître La Vendée-Vengé, Le génocide franco-français, ouvrage dans lequel il étudie les rapports entre la Révolution et les Vendéens depuis 1789 et s'efforce de faire le bilan de la répression de l'insurrection vendéenne, en tentant d'obtenir le rapport entre les naissances dans les années 1780 et celles dans les années 1800 et en essayant de répertorier les destructions et reconstructions. À partir de ces données, il explique dans sa conclusion générale pourquoi il est convaincu que les massacres commis lors de la guerre de Vendée constituent, à ses yeux, un génocide, en puisant dans les textes des acteurs et témoins de l'époque des extraits interprétés comme traduisant une volonté génocidaire des républicains. En septembre 2011, il revient sur le « mémoricide », la façon dont la République française a tout fait pour cacher ce génocide, et notamment les décrets de la Convention qui l'ordonnaient dans un livre paru récemment et nommé Vendée : du génocide au mémoricide (17 €).
Du point de vue breton, le génocide vendéen est un événement marqueur, certes, mais surtout problématique. En effet, la « Vendée » révolutionnaire était perçue par le pouvoir républicain comme un tout hostile à la Révolution et aux idées nouvelles. Mais la réalité de la Vendée est qu'elle a été forgée à partir d'un ensemble hétéroclite : pays de Retz breton, Bas-Poitou vendéen, Mauges, toutes terres écartelées entre les identités bretonnes, poitevines et angevines, des terres en lisière, en interface entre plusieurs mondes, plusieurs histoires.
Pour les tenants de « l'identité vendéenne », notamment le département de Vendée dans sa période villiériste, toutes les terres martyrisées par les colonnes infernales ont une identité « vendéenne » et en quelque sorte une vocation à rejoindre une grande Vendée fière de ses origines retrouvées et de ses révoltes multiples entre 1793 et 1832.
Or, l'identité vendéenne, sorte de forgerie moderne, tend à nier les ensembles historiques préexistants, et notamment l'identité bretonne du Pays de Retz , préexistante aux événements. Dans le contexte actuel (séparation de la Loire-Atlantique de la Bretagne et intégration à l'ensemble hétéroclite des Pays de Loire présidé par un Vendéen, Auxiette), le génocide vendéen peut être perçu comme un « cheval de Troie », vecteur de la débretonnisation de la partie sud de la Loire-Atlantique, ce qui expliquerait la clémence relative des autorités républicaines actuelles pour la reconstitution de l'historiographie des guerres de Vendée.
Certes, la Convention ne vise pas directement les Bretons, mais cite au contraire la Vendée, notamment dans le décret du 1er octobre 1793 : « Soldats de la Liberté, il faut que tous les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d'octobre ». Mais la politique d'extermination menée par la République avait vocation universelle, comme le rappelle CARRIER, bourreau de Nantes : « Nous ferons de la France un cimetière plutôt que de ne pas la régénérer à notre façon. » Un plan de la Convention prévoyait d'ailleurs l'extermination de la Bretagne et des Bretons à partir de 1794.
Ce serait donc un contre-sens historique de couper le génocide vendéen de l'histoire bretonne. Le génocide breton était prévu et planifié parce que la Bretagne refusait les « idées nouvelles » qui n'étaient que le paravent des nouveaux despotes. Parce que la Bretagne et la Vendée avaient osé douter des idées révolutionnaires, on faisait de la seconde le laboratoire de l'extermination de la première. Plus encore, le génocide est le fait fondateur du centralisme jacobin, qui piétine les peuples en privilégiant un pouvoir monopolistique et idéalisé, la pierre angulaire de l'attitude du pouvoir français envers les identités des peuples minoritaires de France et de son Empire, et envers les Bretons en particulier, attitude qui n'a pas fini de faire des ravages dans les « colonies de l'intérieur ».
Louis Bouveron