Napoléon Bonaparte apparaît aux yeux de beaucoup de gens en France et ailleurs comme une sorte de demi-dieu. Il ne se passe pas un mois sans que paraisse un nouveau livre à son sujet quelque part dans le monde et on dit même qu'il est, après Jésus Christ, le personnage de l'histoire humaine qui a suscité à ce jour le plus grand nombre de livres. On les compterait par dizaines de milliers, dans de nombreuses langues. Il existe aussi dans le monde de nombreux collectionneurs prêts à dépenser des fortunes pour la moindre babiole ayant un rapport avec Napoléon.
Pour de nombreux observateurs étrangers, l'idolâtrie que les dirigeants français vouent au personnage, reste un mystère. Voici un aventurier sans scrupules qui, par un coup d'État, a mis fin à la Révolution et recréé une monarchie à son profit personnel et à celui de sa famille, qui a ravagé divers pays (dont l'Espagne) et envoyé des millions de jeunes Européens à la mort, et dont il existe pourtant d'innombrables statues à travers le pays, dont le souvenir est partout vénéré avec ferveur, en commençant par l'école primaire, dont le tombeau au cœur de Paris surpasse en grandeur ceux de tous les rois et présidents qu'a comptés le pays et dont le comportement pourtant bien peu républicain et bien peu démocratique continue d'inspirer un courant durable de la vie politique française.
Napoléon Bonaparte est tellement un personnage sacré en France qu'aujourd'hui encore, l'exposition de certains aspects de sa vie reste absolument tabou et il est véritablement sacrilège d'en parler. Une conspiration du silence - une forme d'omerta - les entoure. On l'a encore vu, il y a deux ans, lorsque les éditions France-Empire ont publié un livre digne d'intérêt, "Napoléon, fils du comte Marbeuf", par un historien peu connu, mais honnête, Edmond Outin. Une véritable conspiration du silence a entouré la sortie de ce livre pourtant sérieux et bien documenté. Ceux qui ont cru pouvoir y faire allusion, ne l'ont fait qu'en souriant d'un air entendu, comme s'il s'agissait d'une aimable plaisanterie, à ranger parmi les innombrables livres écrits par des farfelus dont certains passent leur vie à soutenir par exemple que Jeanne d'Arc était un homme ou encore que les pièces attribuées à William Shakespeare ont été en réalité écrites par un membre de la famille royale anglaise... N'ayant aucun argument valable à opposer, les critiques se sont réfugiés dans le silence ou la dérision. En ira-t-il de même pour le livre que fait paraître maintenant Hervé Le Borgne, "Napoléon breton ?", fruit de nombreuses années de recherche sur ce sujet.
Ce livre - est-il utile de le préciser - ne doit rien à celui d'Edmond Outin et il était déjà écrit quand le livre de ce dernier est paru, mais les deux ouvrages se rejoignent évidemment sur beaucoup de points. La force d'Hervé Le Borgne, outre une immense culture historique et l'exploitation poussée d'archives étrangères, notamment britanniques, que d'autres historiens ont eu tendance à ignorer ou à négliger, c'est évidemment d'être breton et de très bien connaître les faits et les lieux concernant la vie de Marbeuf, ce qui n'était pas le cas d'Edmond Outin.
Ce livre est aussi le livre d'un militant : Hervé Le Borgne ne ne contente de retracer les étapes d'une enquête captivante sur les véritables origines du "petit caporal", il présente et analyse la conspiration du silence qui continue de les entourer et il s'efforce de l'expliquer. Le mythe Napoléon n'est pas le fruit du hasard, mais il exerce une fonction essentielle au service d'un appareil d' État français, qui a traversé de nombreux régimes depuis deux siècles et qui fonctionne toujours aujourd'hui à partir des mêmes fondements. Ce mythe, entretenu par tout un cérémonial et des symboles prétendument republicains, contribue indiscutablement à bloquer toute évolution de la France vers un système politique plus démocratique, plus proche des citoyens et plus respectueux de leurs droits et libertés. Ce mythe est un des constituants obscurs mais réels de la désastreuse "exception française". La question très actuelle d'un amendement permettant de mentionner les langues régionales dans la Constitution en est une nouvelle illustration. Les arguments invoqués contre cette mention n'ont rien à voir avec la rationalité, mais relèvent du domaine du sacré. On est bien dans le sujet...
Publié aux éditions Keltia Graphic et vendu 11,50 €, le livre d'Hervé Le Borgne va être en vente prochainement dans toutes les bonnes librairies de Bretagne.
Hervé Le Borgne le dédicacera samedi prochain, 5 juillet, de 17 heures à 19 heures à Landerneau, à la Librairie de la Cité, et mercredi, 9 juillet, à Brest, chez Dialogues, de 18 à 20 heures.