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Un Breton a bien pris possession de l'Australie en 1772
Le vendredi 16 janvier 1998 - il vient d'y avoir 10 ans - une expédition archéologique franco-australienne dirigée par Philippe Godard retrouvait dans le sable australien, sur la côte de l'île de Dirk Hartog, au nord ouest de l'île-continent, une bouteille et deux pièces d'argent à l'effigie de Louis
Par Bernard Le Nail pour ABP le 19/01/08 19:02

Le vendredi 16 janvier 1998 - il vient d'y avoir 10 ans - une expédition archéologique franco-australienne dirigée par Philippe Godard retrouvait dans le sable australien, sur la côte de l'île de Dirk Hartog, au nord ouest de l'île-continent, une pièce d'argent à l'effigie de Louis XV et les débris d'une bouteille, enfouies là par François-Étienne de Rosily-Mesros (né à Brest en 1748) et d'autres marins du "Gros Ventre", commandé par Louis de Saint Aloüarn (né à Guengat en 1738). Cette bouteille avait été enterrée le 30 avril 1772 pour marquer la prise de possession de l'Australie Occidentale au nom de la France et, vite retransmise par les agences de presse, la nouvelle devait faire le tour du monde et susciter de nombreux articles dans des journaux du monde entier :"L'Australie aurait pu être française". (Une autre pièce identique et une bouteille intacte devaient être retrouvées également sur le site, quelques semaines plus tard... Tous ce sprécieux objets sont conservés depuis au Musée maritime de Fremantle, à côté de Perth).

Pour qu'une prise de possession devienne valable, il fallait qu'elle soit suivie d'une occupation effective, or les Français ne revinrent pas dans les années suivantes établir une colonie en Australie, ce que les Anglais, eux, devaient faire 16 ans plus tard, en 1788. Les Français ne donnèrent pas suite tout simplement parce que la nouvelle de cette prise de possession ne parvint jamais à la Cour, Louis de Saint Aloüarn, malade et épuisé, étant mort au Port-Louis, dans l'Île de France (aujourd'hui Maurice) le 27 octobre 1772, après avoir vu mourir d'ailleurs une bonne partie de ses hommes également de maladie et d'épuisement...

Philippe Godard a raconté en détail l'expédition de janvier 1998 dans la dernière partie du beau livre "Louis de Saint Aloüarn, lieutenant des vaisseaux du Roy. Un marin breton à la conquête des terres australes" qu'il a écrit avec Tugdual de Kerros, descendant de Louis de Saint Aloüarn. Ce livre de 362 pages, superbement illustré en couleurs, est paru fin 2002 et est toujours disponible.

Donnons lui la parole :

"Un appel de Max Cramer me fait soudain sursauter. J'ai du mal à m'arracher à mon rêve mais il insiste et, bien qu'à une bonne distance du campement, je peux percevoir chez lui des signes d'excitation dont la raison m'échappe. Nous marchons l'un vers l'autre. Parvenu à deux pas de moi, il s'arrête brusquement et tend théâtralement le bras dans ma direction en me mettant presque sous le nez une grosse pièce en argent. Il est hilare. Mon premier réflexe est de penser à une blague car l'ami Max est bien connu pour être un joyeux luron, volontiers doublé d'un farceur. - Tell me, Philippe, that wouldn't be one of your bloody French coins ? ...

Soudain mon cœur se met à battre la chamade. Je me saisis de la pièce et, n'ayant jamais autant béni mon père de m'avoir obligé à étudier le latin pendant des années, je déchiffre, sans difficulté, sur l'avers d'abord : LUD.XV D.G. NAV. ET FRA. REX, abréviation de "Ludovicus XV Dei Gratia Navarrae et Franciae Rex". Louis le ci-devant bien-aimé, avec un bandeau dans les cheveux et le profil si caractéristique des Bourbons ! Puis, sur le revers, encadrant un écusson fleurdelisé, surmonté de la couronne royale et flanqué de deux palmes : SIT NOMEN DOMINI BENEDICTUM, "Béni soit le nom du Seigneur". Jamais cette pieuse invocation n'a mieux été de circonstance;. Une date est gravée sur le revers : 1766. tout concorde et tout s'éclaire du même coup. cette affreuse capsule de plomb que John et moi avons découverte dans l'axe précisde la ravine dont j'ai fait l'ascension quelques heures plus tôt, était sertie, à l'aide d'un fil de fer que l'oxydation a fragmenté, sur le goulot d'une bouteille... Je réclame quelques explications qui me sont immédiatement données. Alors qu'il farfouillait dans le seau, Tom s'est avisé de ce que cette capsule de plomb qui l'intriguait pesait anormalement lourd pour son encombrement. La tournant et la retournant dans tous les sens, il a fini par en gratter le fond qui était recouvert d'une couche de sédiments adhérents. C'est alors qu'il a cru distinguer une vague empreinte. S'approchant de Max Cramer, il lui a fait part de son doute. Se saisissant de la capsule, celui-ci en a aussitôt écarté les pattes. Des craquements se sont fait entendre et quelque chose a paru se libérer. Retournant la capsule, Max l'a plaquée contre la paume de sa main droite et, de l'autre, a tapé un coup sec sur son culot. C'est alors qu'une grosse pièce de monnaie en parfait état de conservation est apparue à ses yeux et à ceux de Tom, ébahis. Ignorant qu'il était de l'histoire de France et de la langue latine, il s'est aussitôt dirigé vers moi... Les larmes me montent aux yeux tandis que mes compagnons australiens poussent des hurlements de joie et, à défaut de champagne, se précipitent sur leur réserve de bière. Le drapeau "aussie" est déployé et claque au vent. Chacun entreprend de fixer cet instant historique sur la pellicule. Le téléphone satellite est aussitôt mis en batterie et la nouvelle est annoncée urbi et orbi : les preuves de la prise de possession du Western Australia par la France en 1772 sont enfin établies ! À l'aide d'un G.P.S., je détermine la position précise du point où gisait notre trésor, à savoir :

Longitude : 112° 59' 14'' Est

Latitude : 25° 30' 03'' Sud

Altitude : 280 pieds

Curieusement, le temps est devenu presque froid et, comme le vent s'est encore renforcé, chacun d'entre nous enfile qui un pull over, qui une veste de survêtement. À la lueur d'un fanal, nous dînons d'un cari indien, relevé à souhait, avant de nous glisser dans nos sacs de couchage.

Nuit agitée tant le vent mugit et projette partout de fines particules de sable ; tant j'ai le cerveau en ébullition, aussi. D'un commun accord, le complément de fouilles a été reporté au lendemain, histoire de mieux distiller l'émotion et le plaisir. Dès l'aube, nous nous précipitons en bloc vers le site de la découverte et une fouille minutieuse est entreprise dans l'espoir de retrouver le second écu. Il ne daignera pas se montrer, mais nous récolterons plusieurs fragments d'une bouteille qui pourrait fort bien avoir été celle que coiffait la capsule en plomb. Qu'importe, le bilan de l'expédition tient déjà du prodige et sans plus tarder, eu égard à l'extrême inconfort de notre campement et à la rigueur des conditions atmosphériques, nous décidons de plier bagage et de regagner le continent dans les plus brefs délais. Déjà les médias australiens sont au courant et il n'est pas un journaliste qui ne rêve d'afficher les détails de la "French Connection" à la une de son quotidien. Et, de fait, de Perth à Sydney et de Paris à Pékin, la nouvelle sera reprise en bonne place : la France aurait pu posséder la moitié de l'Australie si elle avait fait preuve d'un peu plus d'à-propos ! Férus d'histoire, aventuriers de tout poil, spécialistes du droit international, chimistes experts dans la conservation des métaux, numismates, etc. : chacun ira de son couplet. Mais le plus bel hommage sera pour moi celui du Président Jacques Chirac m'écrivant : "Votre formidable découverte permettra d'écrire une nouvelle page de la glorieuse histoire maritime de la France et de mieux connaître celle de nos grands explorateurs."

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Bernard Le Nail est un écrivain fondateur de la maison d'édition LES PORTES DU LARGE. Contributeur ABP
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