Samedi 28 juin, c'était l'alerte rouge à la police de Nantes et donc chez le ministre de l'Intérieur, car, en marge de l'immense manifestation pour la réunification de la Bretagne, une vingtaine de Bonnets rouges venant de plusieurs points de Bretagne, y compris de Loire-Atlantique, s'étaient donné rendez-vous dans la rue très calme où habite l'ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault ( voir notre article ). Sa maison est surveillée en permanence par un équipage de deux policiers postés dans une voiture de fonction. Qu'avaient l'intention de faire nos joyeux promeneurs ? Rien de moins que souiller de farine et d'oeufs cassés le portail, pour souligner que l'ancien premier ministre s'est constamment opposé à la réunification de la Bretagne, qui est une des 11 revendications majeures des Bonnets rouges depuis mars 2014. Il n'a jamais été question d'offenser les fonctionnaires de police présents et, de fait, la voiture de police est restée propre et intacte, tout comme les uniformes.
Qu'importait la matérialité des faits, il fallait que ce simulacre d'offense soit traité comme une atteinte à la sûreté de l'État. On dépêcha, quasiment, un escadron complet pour appréhender ces « dangereux » crêpiers sans eau.
Mais, déception, ils n'avaient entre les mains aucun élément pouvant les faire qualifier de terroriste, dont la définition la plus large est « toute personne qui gêne l'État ». Impossible de saisir le parquet antiterroriste, dont les frasques anti-Tarnac et anti Comité invisible ont redoré le blason. En fouillant les sacs à dos, la police a trouvé un Opinel et autres ustensiles ménagers classables dans la catégorie des armes par destination. Le procureur, peut-être encouragé par d'autres, a trouvé que tout cela méritait une garde à vue, alors que, s'il avait voulu épargner l'argent des contribuables, une convocation pour rappel à la loi aurait suffi. Pour frapper les esprits, il fallait, au contraire, annoncer que c'était une comparution immédiate qui était requise, celle qui permet d'offrir au présumé délinquant le choix injuste entre une justice expéditive basée sur un ou deux témoignages branlants ou un maintien en détention pendant une semaine, quand l'avocat demande un délai pour la défense.
Le petit grain de sable dans la machine a été l'apparition étonnamment rapide des services municipaux pour nettoyer le portail et l'allée de « Monsieur le Premier Ministre ». Nous l'avons déjà félicité à ce sujet. D'où une encore plus extraordinairement rapide apparition d'une facture de 553 euros imputée à la malheureuse victime, troublée dans sa tranquillité, puisqu'elle était présente à son domicile.
Si l'UMP avait pris la Ville de Nantes, aurions-nous pu être témoins de ces tours de magie qui ont fait travailler les services en urgence absolue le week-end ? Pourtant, de l'aveu même de l'ex-premier ministre, un lavage à l'eau a suffi.
Voilà donc six Bonnets rouges en route vers une condamnation exemplaire à la hauteur des faits. Sauf que, le lundi matin, non seulement les juges n'ont pu qu'accorder à la défense le délai réclamé, mais ils ont senti que le maintien en détention pouvait donner une mauvaise publicité à la répression d'actions un peu potaches, qui n'avaient pas réellement troublé l'ordre public. Le procès correctionnel avec de possibles peines de prison pour dégradation de propriété a donc été renvoyé au 4 août.
Les mis en cause et des dizaines de leurs nombreux amis avaient décidé de transformer l'immense esplanade du palais de justice en kermesse bretonne typique, puisque cela se passait en Bretagne. Bien sûr, il n'y avait qu'un stand, mais, c'était la quintessence de la Bretagne qui s'exprimait : on y confectionnait des crêpes en y ajoutant l'eau que ces maladroits du « gang des crêpiers » avaient oublié d'apporter devant le domicile que la rumeur voit comme celui du futur Président du Conseil européen. Cependant, ils avaient apporté la recette d'une galette complète bretonne : 22 g de farine, 29 g. de sucre, 35 g. d'eau, 44 g. de jaunes d'oeuf et 56 g. de blancs d'oeufs. Cette recette n'est surprenante que pour ceux qui ne connaissent pas l'Histoire de Bretagne (décret de Pétain en 1941 et décret de Guy Mollet en 1956). Selon les Bonnets rouges un peu farceurs qui le caricaturaient ainsi, Calim'Ayrault et ses coquilles d'oeuf a une (très mince) excuse : il est né en Anjou à 10 km de la Bretagne.
La kermesse était pavoisée de nombreux drapeaux, dont de nombreux portant les hermines traditionnelles du Pays nantais. Un couple de sonneurs local assurait l'animation musicale et un fumigène permettait égayer l'austère façade du temple de la Justice. La couleur était omniprésente avec les nombreuses têtes couvertes de bonnets rouges et donc beaucoup portaient un tee-shirt noir orné d'un grand « Re zo Re » (Trop, c'est Trop) dans le dos. Des affiches, réalisées par un éditeur mis en cause, détaillaient les ingrédients utiles pour le chamboule tout : l'opinel pour saucisson ou andouille, la farine et les oeufs.
Les choses sérieuses devaient se passer à l'intérieur devant les juges et le représentant du parquet. C'est ainsi que Me Yann Choucq, un célèbre avocat nantais, put alors faire un exposé préliminaire, afin de montrer que le délit reproché à ses clients devait être soigneusement défini et qu'il y avait une imprécision dans le code pénal. Celui-ci admet la possibilité de dommages légers, mais, ni, ceux-ci, ni les dommages non légers ne sont pas clairement catégorisés. Il demandait donc aux juges de saisir la Cour de Cassation pour qu'elle la fasse, sachant que cette question préliminaire de constitutionnalité (QPC) pourrait être, ensuite, soumis au Conseil constitutionnel, si aucun élément de jurisprudence n'avait été trouvé.
Après une délibération de dix minutes, le tribunal fit droit à la requête et annonça que le procès était renvoyé au 27 janvier, en attendant les réponses des cours suprêmes. Toujours aussi facétieux, les « crêpiers » ont estimé que cela leur laisserait assez de temps pour préparer la Chandeleur.
Christian Rogel