La date du 19 avril pour une manifestation de masse aurait pu être une mauvaise idée, car incluse dans une période de congés, mais, elle ne semble pas avoir nui à la participation à la manifestation organisée, à Nantes, par « Bretagne réunie » et « 44=Breizh » pour demander que la Bretagne soit réunifiée et qu'elle retrouve sa capitale historique.
Les vents étaient pour une fois porteurs pour deux raisons qui se sont cumulées. Les « Bonnets rouges » ont appelé leurs sympathisants à y venir et l'annonce d'une réforme de limites régionales, initiée par le Premier ministre, Manuel Valls, fournissait un cadre crédible.
On aura rarement vu dans une manifestation bretonne autant d'élus de poids sur une tribune, fut-elle, ici, les simples escaliers montant vers la Tour Bretagne. Quatre députés (Marc Le Fur, Paul Molac, François de Rugy et Jean-Jacques Urvoas), un sénateur (Ronan Dantec), quatre conseillers régionaux (Mona Bras, Christian Guyonvarc'h, Jean-Michel Le Boulanger, Lena Louarn) et un conseiller général, devenu une vedette médiatique, Christian Troadec, co-porte-parole du « Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne ». Corinne Nicole et Thierry Merret, autres porte-paroles des « Bonnets rouges » firent aussi aussi une intervention, ainsi que les représentants des deux associations organisatrices. Un ancien président socialiste du conseil général de la Loire-Atlantique, Patrick Mareschal, fit le rappel de son combat personnel et des nombreux voeux votés par le Département pour la réunification.
Tous les orateurs réclamèrent une Bretagne plus forte économiquement qui serait la 22ème des régions européennes en ce qui concerne le produit intérieur brut (PIB). La foule, annoncée d'emblée comme composée de 10 000 personnes était très calme, comme dans toutes les nombreuses manifestations bretonnes de masse (trois à quatre par an) qui, jusqu'ici, ont été rarement répercutées dans les médias parisiens. Les autorités avaient d'ailleurs accepté que le défilé se fasse dans les rues les plus commerçantes de Nantes et que les tramways soient bloqués tour à tour. Une grande banderole réclamant en français et en breton la réunification était portée par des élus et, par un Breton célèbre, Alan Stivell. D'autres banderoles étaient celles d'organisations politiques et culturelles bretonnes qui représentaient les différentes facettes du mouvement breton.
A aucun moment, les habitants n'ont été vraiment gênés par la manifestation et les commerces fonctionnaient normalement. Peu de réactions particulières, mais, sans doute, un peu d'étonnement pour certains en entendant, depuis leur terrasse de café le son des binious et les slogans. Entendu dans la bouche d'une jeune fille, une rue plus bas : « Papa doit être dans la manifestation ». La présence policière était légère sur le parcours, mais les accès devant et derrière la Préfecture étaient barrés par un grande grille. D'ailleurs, des défilés pour la réunification ont lieu à Nantes tous les quatre ou cinq ans et n'ont rien d'exceptionnel.
L'exceptionnel était que le nombre était effectivement nettement supérieur à 5 000 et, peut-être proche de 10 000, mais, on remarquait bien ces fameux bonnets rouges sur la tête de beaucoup de gens. Mais de l'avis de plusieurs connaisseurs, il y avait beaucoup des gens tête nue que l'on a vus dans les comités locaux et aux grands rassemblements de Quimper, Carhaix et Morlaix. On peut donc considérer que 30 à 40% des présents étaient sympathisants des « Bonnets rouges » et que cela commence à compter en Bretagne. Les « comités locaux des Bonnets rouges » ont organisé des transports en car ou des co-voiturages efficaces, faisant ainsi de Nantes, un point de ralliement de la Bretagne toute entière.
On voit donc que de nombreux Finistériens ou Costarmoricains ne sont pas frileux devant l'idée d'une réunification qui peut sembler déporter l'équilibre de la région actuelle vers le Sud, mais, cela est vu comme un renforcement, puisque, comme il a été dit, la Bretagne du Nord et de l'Ouest est la bassin économique de Nantes qui ne ferait que retrouver sa position séculaire. Compte-tenu des annonces de changements affichées en haut-lieu, le moment semblait même à beaucoup historique, d'autant que la revendication d'une Assemblée de Bretagne, par fusion des assemblées existantes, apparaît comme un levier pour amorcer la réflexion sur la gouvernance des territoires.
Beaucoup s'attendaient à des incidents comparables à ce qui s'est passé le 22 février dernier, lors de la manifestation contre le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais, en n'en faisant pas trop, les autorités comme les participants, ont montré que les revendications n'étaient pas de même nature et ne mobilisaient pas les mêmes personnes. On ne peut que s'en réjouir, car, si des violences étaient toujours à prévoir, on pourrait craindre que le droit de manifester soit réservé aux gens (très ou trop) déterminés.
Au final, les organisateurs locaux pouvaient se féliciter d'un succès réel et les « Bonnets rouges » d'une présence physique notable qui permet d'envisager d'autres étapes dans leur mouvement atypique, dont personne ne sait, et pas forcément eux-mêmes, comment ils conduiront la suivante.
Christian Rogel