Qu’ont fait pour la Bretagne les précédentes générations ?
Quels sont leurs échecs et leurs réussites ? (Je préfère cette question)
Tout d’abord, jetons un coup d’œil sur notre histoire récente.
Les Breiz Atao
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la participation des Bretons à des guerres du côté français ne changeait rien à leurs anciennes fidélités. Les morts de 14-18 ont renversé les équilibres. Une nouvelle solidarité collective, dynamique, englobante, a été imposée aux Bretons. Les défenseurs de la Bretagne ont dû s’affirmer, non pas au nom du sang versé, mais malgré le sang versé. La génération d’après la guerre 14-18, celle de Breiz Atao, a créé le scandale. Et puis, pendant la guerre 39-45, le mouvement breton été perturbé par le clivage France-Allemagne. Certains avait choisi la France, d’autre l’Allemagne. Un scandale absolu est venu de ceux qui avaient choisi l’Allemagne. Peu de personnes, et aucun historien, ne leur a demandé d’expliquer leurs décisions. J’avais posé la question à Célestin Lainé, vers 1976. Il m’a répondu qu’il fallait poser, avant la fin de la guerre, un acte impardonnable, et donc inoubliable. Mais sa stratégie était bien plus élaborée que cette simple affirmation. La voix des vaincus n’intéresse pas les historiens qui veulent faire carrière.
Du scandale à la contestation
La génération d’après-la guerre 39-45, la mienne, n’a pas repris l’héritage de Breiz Atao, du moins pas son héritage politique. Elle est passée du scandale à la contestation. Refus du service militaire par les insoumis bretons (ce fut mon cas), ce qui nous menait en prison. Contestation des taxes et des impôts, avec comme figure de proue Youenn Gwernig. Contestation bruyante du FLB. Contestation du colonialisme par l’UDB et l’extrême-gauche bretonne. Contestation du nucléaire à Plogoff, en lien avec les écologistes d’alors.
A chaque génération son clivage
Le mouvement politique breton, pendant la guerre 39-45, avait été perturbé par le clivage France-Allemagne. Certains avait choisi la France, d’autre l’Allemagne. Le mouvement politique d’après-guerre, lui, a été perturbé par le clivage droite-gauche. Les plus idéologisés à gauche, en général les plus bornés, en ont fait un mur entre eux et tous les autres, soupçonnés de nostalgie envers Breiz Atao. Le clivage idéologique cachait mal le clivage sociologique. La gauche bretonne était composée majoritairement de fonctionnaires. Comme toutes les communautés statutaires (voir les études de Max Weber là-dessus), ils avaient un langage, des réactions et des valeurs que je ne comprenais pas. Ils mordillaient la main qui les nourrissait, mais ils mettaient des limites à la morsure, inexplicables pour "ceux du privé".
Les créateurs
Ceux du privé, justement, ne sont pas restés inactifs. Outre la contestation, et faute de trouver une place excitante en politique, ils pouvaient être entreprenants dans bien des domaines. Citons quelques créations d’après-guerre : Coop Breizh, les cercles celtiques, les bagadoù, Diwan, les éditeurs bretons (Yoran Embanner), le journal Ya !, Produit en Bretagne, la Vallée des Saints, sans compter de multiples associations et entreprises qui ont permis à la Bretagne de perdre ses complexes d’infériorité… Il ne faudrait surtout pas oublier les bretonnants anonymes, qui ont mis en œuvre la signalisation bilingue sur les routes, dans les villes, dans les lieux touristiques, dans les musées, ou les magnifiques bénévoles qui ont hissé la langue bretonne à la 82ème place de Wikipedia.
Il y eut certes des échecs, mais en comparant la place qu’occupe la Bretagne dans la tête et dans l’environnement des Bretons d’aujourd’hui et la place qu’elle occupait il y a 50 ans, il n’y a pas photo.
Certes, du côté politique, les choses n’ont pas évolué comme on l’aurait voulu. Mais la législation française, je l’avoue, n’a jamais été ma préoccupation première.
Bienvenue à la nouvelle génération !
Donc, la nouvelle génération arrive. Après le scandale de Breiz Atao et après la contestation des militants d’après-guerre vient le temps de la revendication construite. On la voit se structurer. Le logement, l’unification administrative, la langue… Ce sont moins des contestations du jacobinisme (à ce que j’observe, le mot "jacobin" n’est plus compris ni utilisé par la jeune génération) que des revendications de "vivre et décider en Bretagne". On voit par là qu’on est passé de la contestation tous azimuts à la revendication construite, et qu’une nouvelle génération est à l’œuvre. On pouvait le pressentir lors du mouvement des Bonnets Rouges et ses 11 revendications synthétisées à partir de plus de 5000 contributions.
Les bâtisseurs entreprenants, en tout cas, se perpétuent. Heureusement. J’y inclut ceux qui écrivent des articles en breton dans Ouest-France ou le Télégramme, ou des articles ici ou là sur l’Histoire de Bretagne. Les bagadoù innovent, ainsi que les danseurs et tous ceux qu’on regardait parfois avec condescendance lors des fêtes folkloriques. Un nombre incroyable d’entreprises ont "Breizh" dans leur nom, et un nombre incroyable d’associations ont des noms bretons. Le sentiment breton des chefs d’entreprises me semble avoir évolué dans le bon sens. Celui des agriculteurs aussi, avec la création d’Agriculteurs de Bretagne.
Au sein de la nouvelle génération, les "politiques" voudraient-ils se rassembler et se concentrer sur l’environnement légal et administratif de la Bretagne ? C’est très bien. Cela n’empêchera pas les entrepreneurs d’entreprendre dans un esprit breton, les artistes de créer, les associations d’associer.
A vous de jouer, les jeunes !
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