Pour Mehdi Ouraoui, il n'y a aucun doute, les Bretons sont un peuple. Et même un peuple précurseur. Parce que c'est le premier à avoir eu des soucis avec le président en place depuis 2007.
Mehdi Ouraoui est né en 1981 à Pau et est le fils d'un immigré algérien. Il a été formé par les temples de l'élitocratie parisienne : lycée à Louis le Grand à Paris puis École Normale Supérieure de Cachan. Encarté au PS depuis 1997, il est depuis janvier 2008 secrétaire national du parti, ce qu'on nomme un cadre du Parti. Par ailleurs il enseigne à Sciences-Po (Paris évidemment) l'analyse du discours politique. Il a publié un recueil nommé Les grands discours socialistes français du XXe siècle, préfacé par François Hollande et était soucieux, dans un entretien donné à Jeune Afrique en 2008, d'apporter sa pierre à la rénovation socialiste (voir le site)
Il a surtout apporté sa pierre, ou plutôt son petit pavé, à l'édifice des livres consacrés à la présidence de Nicolas Sarkozy. Rarement un président n'aura ainsi contribué à la prospérité des écrivains et des maisons d'édition : dérapages verbaux, dessous des affaires présentes ou passées du quinquennat, des réseaux balladuriens, de l'UMP, des Hauts-de-Seine et de Paris, ce quinquennat a été rythmé d'idées-forces qui changeaient tous les six mois, drainant avec elles leur flux littéraire de critiques et de plaidoyers. Pendant ce temps-là, la France a continué à couler… Mehdi Ouraoui, lui, s'est décidé à faire un abécédaire des dérapages verbaux et autres lapsus du président français, chaque citation étant suivie d'une petite analyse. Tour à tour moraliste, lanceur d'épigrammes ou psychologue, l'auteur parcourt les pages blanches, grises et noires du quinquennat lestement. Le petit livre s'appelle " Le président de l'outrage ". Il n'est pas bien gros, et finalement, les sommes d'articles, de livres et d'émissions sorties depuis 2007 sur ces dérapages ne sont réduites qu'à bien peu de mots. Qui ont certes, divisé, clivé et indigné, abaissé aussi la France dans le regard des étrangers, mais auxquels on accorde peut-être trop de pouvoir, surtout qu'ils coïncident avec l'aggravation visible et perceptible de l'état de la France.
Et il y a une page Bretons. Avec en tête la sortie de Sarkozy rapportée par Yasmina Reza, dans son livre " L'aube, le soir ou la nuit " qui retrace la campagne victorieuse de 2007 : Qu'est-ce qu'on va foutre dans un centre opérationnel sinistre à regarder un radar ? Qui a eu cette idée de demeuré ? Je me fous des Bretons. Je vais être au milieu de dix connards en train de regarder une carte ! Derniers jours de campagne dans une salle à regarder une carte ! Grand sens politique vraiment ! et par laquelle il rapportait son opposition profonde à visiter le CROSS (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage) Corsen. Une bavure que les Bretons indignés avaient refusée en faisant rosir la carte bretonne des résultats électoraux (voir le site) , en s'assemblant pour manifester, notamment le 16 mai, dans les grandes villes bretonnes, puis encore le 18 septembre 2007 à Rennes (voir le site) et surtout en réservant au président une réception « maison » au port du Guilvinec le 6 novembre 2007.
Autant de raisons qui permettent à Mehdi Ouraoui de décerner aux Bretons le prix de peuple précurseur. Il ne se trompe pas de beaucoup, puisque les Bretons ont souvent été précurseurs en beaucoup de choses dans leur histoire. Ils sont précurseurs notamment parce qu'ils réclament ce qui doit revenir de droit à tous les peuples de France : la reconnaissance de leur langue et de leur culture. Ils sont encore précurseurs parce qu'ils demandent ce qui doit aussi revenir à d'autres : que les régions faites en 1975 coïncident enfin avec leurs limites historiques et économiques. Parce que l'Histoire est une grande fille têtue, et les gesticulations du temps des hommes ne peuvent la détourner facilement de son chemin : les villes, les gens, habitués à échanger entre eux depuis des siècles ne se détourneront en un an, ni en cinquante, ni en cent, et les guerres n'y changeront rien. Il n'y a pas de guerre entre la Loire-Atlantique et la Bretagne, et ils partagent les mêmes langues, la même culture, le même pays. Même les ruisseaux érigés entre eux en frontières, la Chère et la Vilaine, sont des places d'échanges, des ponts. Les Bretons, un peuple précurseur, cela ne restera-t-il que des mots ?
Louis-Benoît GREFFE