Au fond d’eux-mêmes, les Bretons qui se revendiquent Bretons se sentent étrangers à la France. Ils y sont associés politiquement de manière assez passive sans l’habiter mentalement, sans en faire leur demeure identitaire. Elle représente, pour eux, un autre pays. La propagande française cherche pourtant à les transformer en Français. C’est une manière comme une autre de reconnaître implicitement que le sentiment d’appartenance à la France ne vient pas de lui-même.
Depuis plusieurs siècles, la France a toujours travaillé, d’une manière ou d’une autre, à dissoudre le peuple breton, au mieux pour le transformer en grosse minorité ethnique condamnée à la régression folklorique, au pire pour l’assimiler, tout simplement, en le francisant intégralement, comme il l’a fait avec les autres minorités nationales françaises. Et il ne faut pas croire que cette histoire est terminée.
Le discours est connu: la France serait le meilleur pays au monde, et il serait non seulement sot, mais même criminel de vouloir s’en séparer. Le rêve français séduirait la planète au grand complet : la France aurait trouvé le secret de la nationalité heureuse. La France ne se présente plus comme un pays particulier mais comme le pays idéal, censé incarner la prochaine étape de l’histoire de l’humanité.
Évidemment, cette vision de la France est fondée sur la négation du peuple breton, dont l’existence vient troubler le grand récit français – le peuple breton représente la trace du monde ancien, qu’il faudra une fois pour toutes effacer et déconstruire. Toute la dynamique politique et idéologique française consiste à déconstruire et à neutraliser le peuple breton, pour en finir un jour avec lui. On ne lui reproche pas seulement d’avoir voulu se séparer et d’être tenté par l’indépendance. On lui reproche simplement d’exister et de vouloir exister.
D’ailleurs, dans cette perspective, dès que les Bretons rappellent qu’ils se voient comme un peuple ou comme une nation, on les accuse de suprémacisme ethnique. Il n’est pas permis aux Bretons de vouloir fonder sur leur expérience historique et leur identité une légitimité politique spécifique, consacrée naturellement dans leur droit à l’autodétermination politique. Pour la France, les Bretons sont racistes dès qu’ils ne jouent pas exactement le rôle qu’on leur réserve.
Tout le monde en convient, l’idée d’indépendance pourrait mieux se porter, mais elle demeure soutenue par une maigre portion du peuple breton. Plus largement, une minorité de Bretons semble s’engager dans une aventure autonomiste à travers laquelle ils réaffirment leur droit à une pleine existence nationale, ne se définissant plus dans les paramètres constitutionnels et idéologiques du régime français, mais à partir de leur réalité historique propre. C’est un nouveau cycle historique qui s’ouvre. Il porte en lui plusieurs possibilités, mais il semble s’inscrire sous le signe d’une affirmation nationale qui tôt ou tard, pourrait être tentée d’aller au bout d’elle-même. Dès lors qu'ils découvriront pleinement la question du régime, les Bretons découvriront que la souveraineté est une «vraie affaire».
La Bretagne ne survivra et ne s'émancipera qu’en se défrançisant. L’identité bretonne et l’identité française ne sont pas compatibles. Quand l’une progresse, l’autre régresse. Et inversement. On ne peut pas être Breton et Français en même temps. Quand l’identité française progresse chez les Bretons francophones, on peut y voir le symptôme d’une certaine aliénation identitaire ou l’effet psychologique d’une domination politique. Un Breton qui devient Français devient en fait étranger à lui-même. On ne saurait le lui reprocher sur une base individuelle mais on fera sans cesse le procès de ce régime qui déracine mentalement le peuple breton pour reprogrammer son identité dans des paramètres qui pousseront à sa dissolution.
Alors il faut se défendre contre la France, pour l’empêcher de neutraliser, de néantiser, de digérer dans ses catégories administratives, idéologiques et constitutionnelles les Bretons. Il faut lutter contre la propagande française qui cherche à le franciser mentalement de force. Il faut poursuivre la construction de la nation bretonne, en sachant qu’elle ne sera jamais construite grâce à elle, mais malgré elle. Il faut défier son cadre constitutionnel, en sachant que ce dernier a été mis en place pour étouffer progressivement les Bretons et les amener à renoncer à leur identité pour se fondre dans la sienne. Le nationalisme breton est d’abord un réflexe de survie pour permettre au peuple breton de demeurer lui-même. La France n’est pas leur pays et il faut le lui dire et profiter pour lui dire que tôt ou tard, la Bretagne sera indépendante.
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Remarque: vous venez de lire un pastiche de l’article intitulé “Pour les Québécois, le Canada est un pays étranger. Ce pays n'est pas le nôtre”, publié le lundi, 1 juillet 2019, jour de la fête nationale du Canada, dans le Journal de Montréal et écrit par MATHIEU BOCK-CÔTÉ. Ne doutons pas que cet article sera fortement apprécié par la France.