L’agriculture représente plus de 25 % des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) de l’Europe, quand le principal accusé, la production d’énergie, en représente environ 30%. Le reste se partage pour l’essentiel entre transports et industrie. C’est dire l’importance de ce secteur pour espérer atteindre les objectifs de réduction d’émission des gaz à effet de serre.
Or si l’énergie, avec l’abandon progressif du charbon et un recours croissant aux énergies renouvelables, plus de fortes incitations aux travaux de réduction des consommations dans l’habitat, évolue favorablement, tel n’est pas le cas des émissions du secteur agricole qui restent désespérément insensibles aux effets de la lutte contre le réchauffement climatique. A l’heure où l’Europe vient de rehausser ses objectifs à l’horizon 2030 à une réduction de 55% des émissions par rapport à 1990 (actuellement on a atteint 24%, et le précédent objectif 2030 était 40%), les politiques européennes ne peuvent plus faire l’impasse sur l’impact du secteur agricole.
Pourquoi l’agriculture émet-elle des Gaz à Effet de Serre ? La chaîne commerciale fournit sa part, pour stocker, transformer, emballer, transporter et mettre en vente les produits auprès des consommateurs. D’autant plus qu’en bout de chaîne, le gaspillage alimentaire vient gonfler ces émissions en pure perte.
Mais en amont aussi, le bilan agricole, qui est un solde entre émissions directes et CO2 capté par la croissance des végétaux, est très fort pour plusieurs raisons. Principaux accusés : les méthodes de production industrielles et l’élevage.
L’agriculture industrielle tournée vers l’exportation démultiplie les intrants qui viennent du monde entier, ce qui induit beaucoup de transports émetteurs de CO2, et cela impacte les milieux naturels, réduisant ainsi leur capacité à absorber des gaz à effet de serre.
Pour l’élevage le résultat est analogue, surtout quand le bétail est nourri par du soja venu de l’autre bout du monde à partir de plantations qui ont été gagnées sur la destruction de la forêt amazonienne, principal « puits carbone » de la planète. Mais s’y ajoute aussi, pour les élevages bovin, caprin et ovin, l’émission de méthane tout au long de la vie de ces ruminants lors de la digestion de leurs aliments.
Même en agriculture biologique, le bilan est négatif, à moins que l’animal ait été uniquement nourri par les produits du champ voisin, en prairie naturelle au printemps et en été, et avec du foin coupé non loin en hiver. Alors on estime que les gaz à effet de serre émis durant sa vie (notamment du méthane, dont la molécule a un potentiel négatif 25 fois plus important que le CO2 dans le réchauffement climatique) sont compensés par le CO2 séquestré dans les champs par la production d’herbe. Mais si le « bœuf bio » est nourri en étable avec du soja bio venu des USA, son bilan en GES est très négatif. Quant à celui qui est gavé de produits chimiques, c’est encore bien plus grave.
Pourtant, l’adoption de la PAC fin octobre dernier au Parlement Européen a entériné une nouvelle PAC 2021/2027, presque entièrement alignée sur celle qui a précédé. Elle avait conduit à une nouvelle progression de 1% des émissions du secteur quand le total européen marquait un recul de plus de près de 10% sur la période, faisant de l’agriculture le principal secteur non influencé par la lutte contre le réchauffement climatique. Si cela continue de la sorte pour les dix années à venir, l’Europe échouera dans ses objectifs, et l’accord de Paris en sera définitivement fragilisé.
Aussi la nouvelle Commission Européenne, héritant de la PAC négociée par son prédécesseur, s’est-elle donnée un peu de temps avant de conclure la nouvelle PAC qui ne sera opérationnelle qu’à compter de 2023.
Des ajustements ont été opérés, mais ils restent homéopathiques. Le principal consiste à conditionner une partie des revenus agricoles du premier pilier, celui lié aux surfaces déclarées, à l’introduction de critères écologiques. 30% demande le Parlement, 20% maximum répondent les ministres de l’agriculture des 27 pays membres. Ces critères à remplir constitueraient des « écorégimes » qu’éleveurs et agriculteurs devront mettre en œuvre pour avoir droit aux aides maximum. Sentant le danger, les lobbys agro-alimentaires, très puissants à Bruxelles, dont le principal, la Copa-Cogeca, est présidé par la leader de la FNSEA française, Christiane Lambert, œuvre pour que les objectifs européens soient fixés globalement, et que le contenu des « écorégimes » à respecter pour y avoir droit soient laissés à l’appréciation de chaque Etat-membre où les lobbies pourront influer pour les vider de leurs contenus.
Pour renverser la table, et exiger une nouvelle définition de la PAC, les écologistes emmenés par Benoît Biteau qui a pris la suite de José Bové au sein du Parlement Européen, ont déposé un amendement de rejet de la PAC négociée à l’ancienne sous la précédente Commission.
Il a été rejeté, seuls 166 députés sur 705 ayant voté pour. Mais le débat est lancé et il ne pourra rester sans réponse si on veut éviter la catastrophe du réchauffement climatique. Et cela quelle que soit la force des lobbys agricoles qui veulent continuer à développer leur modèle productiviste.
Ce communiqué est paru sur Le blog de François Alfonsi