Miroir-Miroir
La galerie Mica dévoile deux nouvelles éditions issues de la complémentarité entre design et savoir-faire. Ce double événement reçoit le soutien de la 6e semaine de l'innovation en Bretagne, confirmant la pertinence d'inviter l'artisanat au centre des problématiques contemporaines.
Matali Crasset et Florence Doléac réinterprètent le traditionnel miroir doré, symbole du décorum classique que tout appartement haut de plafond se doit encore d'assortir à une cheminée en marbre. En signe de leur affranchissement des codes du « bien décoré » , ces miroirs ont abandonné leur cadre pour accueillir la dorure sur leur surface même : comme la réconciliation de deux mondes, la mise à plat des hiérarchies à l'heure où celles-ci sont en passe de s'inverser. Déjà, la dorure qui autrefois était bien moins précieuse que le miroir en est-elle aujourd'hui la valeur ajoutée, car la moins rentable. On pourrait y voir l'apprivoisement de la machine automatisée par la main doué d'une patience obsolète qui dépose la feuille d'or sur le produit industriel. Enfin, ces deux propositions singulières jouent à cache-cache avec le reflet comme une stratégie pour piéger la contradiction entre valeur d'usage et valeur artistique : pièce d'apparat, objet utilitaire ou méditatif ? Pour se voir ou pour voir ? Le reflet laisse place à la réflexion.
L'ensemble de treize miroirs circulaires de Florence Doléac, Miroir statistic affirme une version minimale et protocolaire du miroir à dorure. Leur surface est progressivement gagnée par la feuille d'or, mimant le diagramme « en camembert » dont l'interprétation est laissée à la discrétion du Narcisse : le miroir perd-il de sa valeur à mesure que l'or le recouvre et que le reflet
disparaît ? Ces disques statistiques de préciosité évoquent aussi le cadrant de l'horloge, à l'heure où le temps est beaucoup plus cher que le matériau.
Découpé dans une forme inhabituelle, voire douteuse – métissage improbable entre un style ornemental archaïque exhumé d'un empire amérindien et une esthétique futuriste piochée dans un vieux film de série B – le miroir à cinq pans de Matali Crasset met en garde qui prendra le risque de s'y regarder. Ce format qui dérange le cadre spatio-temporel perturbe la perception de l'espace qui s'y réfléchit : la profondeur de l'arrière plan est annulée, piégeant le reflet dans une image en deux dimensions.
Dans le cadre de cette exposition, la galerie présente « Matali Crasset Work » aux éditions Norma la première monographie de référence sur le travail de la designer industrielle.
Julie Portier