C'est lundi prochain que le jury du Prix Goncourt tiendra son ultime réunion à Paris et choisira le lauréat de cette année. Le nom de celui-ci devrait être connu en milieu de journée et immédiatement répercuté sur toutes les radios et toutes les télévisions, en attendant de s'étaler à la une de tous les journaux, tandis que sera lancé immédiatement un nouveau tirage du roman élu afin de permettre sa mise en avant dans tous les points de vente de livre de France et de Navarre.
Ainsi que l'ABP l'indiquait le 8 octobre dernier, les chances du roman de Michel Le Bris, "La Beauté du monde", n'ont jamais été aussi grandes. Il figure en effet parmi les quatre titres de la dernière sélection qui ont été rendus publics hier à Paris :
• Jean-Baptiste Del Amo, "Une éducation libertine", Gallimard ;
• Jean-Marie Blas de Roblès, "Là où les tigres sont chez eux", Zulma ;
• Michel Le Bris, "La beauté du monde", Grasset ;
• Atiq Rahimi, "Syngué sabour : pierre de patience", POL.
(Il faut noter que Jean-Marie Blas de Roblès vient d'obtenir le Prix Médicis, mais reste tout de même dans la course).
"La Beauté du monde", paru le 20 août dernier aux éditions Grasset, est, de l'avis de tous ceux qui l'ont déjà lu, un roman d'une rare intensité, peut-être le meilleur de tous les livres qu'a écrits à ce jour Michel Le Bris, dont l'œuvre est déjà considérable. Même si ses ventes restent pour le moment modérées, il a bénéficié de très nombreuses critiques favorables. On retrouve dans ce roman foisonnant et mené à un rythme endiablé, beaucoup de thèmes qui sont chers à l'auteur : le voyage vers des îles lointaines, l'aventure exotique, l'Afrique des grands espaces, les arts primitifs (masques africains, sculptures polynésiennes), le jazz, le cinéma, la révolte de la jeunesse contre l'ordre établi, New-York et l'Amérique des années folles...
Michel Le Bris fait revivre les aventures des Johnson, pionniers du film documentaire animalier, au moment de la Première guerre mondiale. La jeune et belle Osa dont on retrace la vie de nombreuses années plus tard, a quitté son Kansas natal à l'âge de 16 ans, et elle est partie avec l'intrépide Martin Johnson, ami de Jack London, pour les mers du Sud, afin de rapporter la matière de documentaires sur les réducteurs de têtes des Nouvelles-Hébrides et les Big Nambas de Malekula, puis pour le Kénya afin de filmer la faune sauvage africaine chez les Masaïs et les Kikouyous.
Lorsque le couple est revenu après trois ans d'absence, le monde avait bien changé : la guerre dans laquelle s'étaient engagés les États-Unis en 1917, avait pris fin ; une terrible révolution avait éclaté en Russie ; on était en train de découvrir les œuvres d'un certain docteur Freud ; le cinéma, nouvel art balbutiant avant leur départ, connaissait un développement rapide ; l'Amérique qu'ils avaient quittée, avait cessé d'exister ; la jeunesse avait pris le pouvoir au sortir de la guerre ; le jazz était en train de naître dans un quartier de New-York dénommé Harlem, en particulier avec un certain Duke Ellington ; la jungle new-yorkaise pouvait leur apparaître parfois plus dangereuse que l'enfer vert de Bornéo.
Ce roman très documenté de 678 pages, est manifestement le fruit de longues recherches sur cette période des “années folles“ (les “roaring twenties”) et reflète aussi largement le propre parcours de Michel Le Bris. Au-delà du temps et de l'espace, il témoigne de l'intérêt passionné que celui-ci porte à l'Amérique, aux voyages et à l'aventure, qu'il s'agisse de la vie et de l'œuvre de Robert Louis Stevenson, des chercheurs d'or et des pirates...
Le Prix Goncourt est le prix littéraire français le plus prestigieux de tous, même s'il n'est doté que d'un montant dérisoire : 7,50 euros ! Son attribution donne un formidable coup d'accélération aux ventes des œuvres de son lauréat. Neuf écrivains bretons ou proches de la Bretagne, à un titre ou à un autre, l'ont reçu depuis sa création en 1903 :
— en 1903, John-Antoine Nau pour « Force ennemie » ;
— en 1911, Alphonse de Châteaubriant pour « Monsieur de Lourdines » ;
— en 1912, André Savignon pour « Les Filles de la pluie » ;
— en 1913, Marc Elder pour « Le Peuple de la mer » ;
— en 1934, Roger Vercel pour « Capitaine Conan » ;
— en 1951, Julien Gracq (qui refusa de le recevoir) pour « Le Rivage des Syrtes » ;
— en 1985, Yann Queffélec pour « Les Noces barbares » ;
— en 1988, Érik Orsenna pour « L'Exposition coloniale » ;
— en 1990, Jean Rouaud pour « Les Champs d'honneur ».
Cela fait maintenant 18 ans que le Prix Goncourt n'a plus été attribué à un écrivain breton. Peut-être le sera-t-il la semaine prochaine ?