«Le livre politique en Bretagne : quelle influence sur le peuple breton ?», était le thème d'une table ronde à Carhaix-Plouguer, le dimanche 28 octobre, lors du 22ème Festival du Livre en Bretagne. La vidéo est disponible sur l'ABP.
L'animatrice du débat a su poser LA question de fond : le livre politique n'est-il là que pour susciter le débat ou pour «faire avancer le peuple».
Seul, Yvon Ollivier, auteur de La désunion française ( voir notre article ) parle clairement du peuple breton, qualification que l'on sait inconstitutionnelle.
Il semble que, ni la salle qui l'applaudit à chaque fois qu'il parle, ni même la totalité des autres intervenants ne sont vraiment enclins à réfuter cette appellation officielle ici.
Jean Bothorel, président d'honneur du salon, un journaliste qui a percé à Paris, après s'être, autrefois, engagé auprès du FLB, voit un renouveau du livre breton, mais plus dans l'affirmation de la culture bretonne que le côté politique.
Il cite les livres qui ont réellement influencé les Bretons ou les décideurs : L'Avenir de la Bretagne (Pléven), L'Europe aux cent drapeaux (Fouéré), Debout Bretagne ! (Phlipponneau), Comment peut-on être breton (Lebesque), Le Cheval d'orgueil (Hélias), l'œuvre de Xavier Grall, et y ajoute les livres de Jean Ollivro, professeur d'université à Rennes.
Il semble ne pas vouloir inclure dans la même catégorie, l'ouvrage d'Yvon Ollivier qui connaît un succès remarquable, même chez des élus non-bretons, et qui contient autant de philosophie politique que d'arguments juridiques sur les droits de la Bretagne à préserver les siens et des citoyens français à préserver les leurs. ( voir notre article )
L'Etat centralisé, malgré les «décentralisations bidon» récentes et à venir, reste une machine à fabriquer des Parisiens et s'arroge les décisions et le droit de ponctionner les provinciaux pour alimenter l'enflure de la capitale («Grand Paris»).
Yvon Ollivier trouve des mots concis pour montrer que le modèle du citoyen artificiel promu par l'Etat jacobin est un boulet pour affronter les défis de la mondialisation et les clivages sociaux et culturels, lourds de dangers pour la paix publique.
Le maintien de l'uniformité juridique qui interdit l'esprit d'adaptation, est le passeport pour aller tout droit vers l'échec et le déclin économiques de la France.
Au contraire du diplomate irlando-breton, Erwan Fouéré, il ajoute qu'il n'y a rien à attendre de l'Europe, qui, sous pression française, conserve dans ses traités le modèle de l'Etat-nation éradicateur de langues et de cultures.
La Bretagne et les Bretons doivent d'abord lutter contre le «retournement contre (eux-mêmes)» qu'ils font en intériorisant le modèle politique français.
Il s'élève contre l'extension de la notion de patrimoine qui lui semble une ruse pour ramener dans la norme jacobine l'originalité locale, langue bretonne incluse.
Roger Faligot, journaliste breton spécialisé dans des enquêtes internationales (services secrets), a montré le poids des discriminations collectives dont ont souffert les Bretons depuis plusieurs siècles, souvent pour les brider et leur refuser le droit à leur Histoire.
(Ils ont des chapeaux ronds... ( voir notre article )).
Comme Jean Bothorel, il remarque que les Bretons sont, en général, des gens modérés, qui refusent la violence, mais, qui, dit Erwan Chartier, n'ont pas le goût pour le débat politique que peuvent avoir les Corses.
Jean Bothorel souligne le condensé de contradictions présent en Bretagne et déplore que les politiques bretons, comme Jean-Yves Le Drian ou Bernard Poignant, n'aient pas le courage de s'engager en écrivant un livre pour leur pays.
Le livre politique peut donc être utile au débat, mais, à condition de n'être pas réduit à conter des «bisbilles» entre personnalités («peopolisation»). Les blogs sont peut-être une nouvelle forme du livre politique.
Quelqu'un, depuis la salle, estime que, seuls certains livres universitaires ou venant des «think tanks» (style «République des idées» ou «Terra Nova») ont encore une influence perceptible.
Erwan Chartier-Le Floch, journaliste guingampais et responsable des éditions à la Coop Breizh (éditeur de Roger Faligot) insiste sur le fait qu'il y a besoin de libérer une parole en Bretagne.
Il déplore le déficit en impertinence qui fait que les écrivains politiques bretons n'ont pas encore réussi à établir un signe égal entre Bretagne et émancipation, alors qu'un témoin, comme Nicole Le Garrec, rappelle que, pour des nombreux non-Bretons, la Bretagne est le pays qui sait dire non et lutter pour son avenir (Plogoff).
Finalement, personne ne semblait douter que le livre politique, s'il est bon, puisse faire avancer le peuple breton, mais, tous doutaient de la capacité de la classe politique bretonne à expliciter sa conception de l'avenir de la Bretagne, dans les livres ou ailleurs.
On trouvera un éclairage du débat dans un article de l'Agence Bretagne Presse ( voir notre article ).
Christian Rogel
Jean Bothorel est spécialiste de biographie et de livres d'entretien avec des hommes politiques. La Bretagne contre Paris, La Table Ronde, 1969. Un terroriste breton, Calmann-Lévy, 2001.
Erwan Chartier-Le Floch a publié des enquêtes sur le mouvement politique breton et les autres mouvements anti-jacobins. La France éclatée, Coop Breizh, 2004.
Roger Faligot, spécialiste de la politique irlandaise et des services secrets a publié avec André Bernicot, Ils ont des chapeaux ronds..., Coop Breizh, 2012. Un best-seller.
Yvon Ollivier, magistrat, renouvelle le livre politique breton en interrogeant les failles béantes du modèle politique français. La désunion française, L'Harmattan, 2012.
Jean Ollivro, professeur de géographie, est l'auteur de plusieurs essais anticentralistes :
La Nouvelle économie des territoires, Editions Apogée, 2011.
Projet Bretagne, Editions Apogée, 2010.
La machine France : Le centralisme ou la démocratie?, Edition du Temps. 2006
Les paradoxes de la Bretagne, Éditions Apogée, 2005.
La Bretagne réunifiée, une véritable région européenne ouverte sur le monde, Les Portes du Large , 2001 (avec Joseph Martray).