La dernière exposition dont Jean-Paul Le Maguet, actuel conservateur en chef du Musée de Bretagne, aura supervisé la préparation, ouvrira ses portes le 2 avril prochain au Centre culturel des Champs Libres et elle durera neuf fois puisqu'elle ne fermera ses portes que le 3 janvier 2010. Intitulée sobrement "Odorico, mosaïstes Art Déco", elle mettra en valeur une famille de "Bretons venus d'ailleurs", des mosaïstes venus du Frioul, dans le nord-est de l'Italie, et arrivés à Rennes en 1882.
Leur histoire passa en fait par Paris : en 1861, un jeune architecte inconnu et qui n'avait encore guère de réalisations à son actif, remporta le concours lancé par l'État pour la construction d'un palais pour l'opéra à Paris : Charles Garnier (1825-1898) avait tout de même été Premier Grand Prix de Rome en 1848 et il avait donc pu faire un long séjour à la villa Médicis à Rome et ainsi découvrir la richesse et la polychromie joyeuse de l'architecture italienne. Il voulait que le futur palais de l'opéra de Paris dénote avec la "tristesse urbaine" de Paris et soit au contraire très coloré. Pour cela, il voulait notamment y faire une place très importante aux mosaïques comme dans beaucoup d'édifices italiens. Cette technique étant alors très peu utilisée en France. Il se rendit à nouveau à Rome ainsi qu'à Venise pour prendre contact avec des entreprises, mais il en revint découragé en raison des coûts trop élevés. Il allait renoncer quand il reçut une offre d'un artisan italien, Gian-Domenico Facchina qui avait travaillé à la restauration des mosaïques de Saint-Marc à Venise et qui venait de mettre au point une technique de pose, 'par inversion', qui était nettement moins onéreuse. Il traita donc avec lui et Facchina fit venir des ouvriers d'un petit village du Frioul, Sequals, dans le Frioul. Parmi ces ouvriers se trouvaient deux frères, Isidore (père) et Vincent, qui, après avoir travaillé à la décoration du palais de l'Opéra, de 1867 à 1875, décidèrent de rester en France.
Les frères Odorico s'installèrent d'abord à Tours en 1881, puis partirent en Bretagne où la mosaïque était un art totalement méconnu. Ils fondèrent leur entreprise à Rennes en 1882 et, sous leur impulsion, cette ville allait devenir un des centres de production les plus importants de l'hexagone avec, bientôt, des filiales à Nantes, Angers, Saint-Brieuc et Laval. Il faut dire que la mosaïque connut alors une grande vogue un peu partout. On trouve toujours aujourd'hui des mosaïques dues aux Odorico dans la décoration d'églises, de villas, d'édifices publics (piscines, écoles, etc.), de façades de pavillons, d'entrées d'immeubles, etc.
Les frères Odorico étaient essentiellement des artisans, qui travaillaient sous la conduite d'architectes et souvent à partir de cartons dessinés par des artistes, mais le fils d'Isidore, également prénommé Isidore et né à Rennes le 29 octobre 1893, fit, lui, de solides études. Après avoir obtenu son baccalauréat, il fut élève à l'École des Beaux-Arts de Rennes, de 1909 à 1913, et il se révéla être un artiste doué. Après l'interruption de la guerre de 14-18, il prit la direction artistique de l'entreprise familiale et il devint l'un des plus actifs promoteurs de l'art de la mosaïque en France. En même temps, Isidore, dit 'Dodor', fut un excellent joueur de foot-ball avant de devenir à partir de 1925 un des dirigeants du Stade Rennais. Il devait mourir à Rennes le 27 février 1945.
L'exposition qui va être consacrée dans quelques mois aux Odorico, devrait intéresser beaucoup de Bretons et d'habitants des régions limitrophes, où l'on peut toujours admirer leurs réalisations en maints endroits.