Les publicités sont maintenant partout, dans les médias comme sur d'envahissants 4x3. Jadis, elles s'affichaient sur les murs, et dans les tunnels du métro, elles étaient peintes pour longtemps, surtout si elles vantaient la résistance d'une peinture.
Dans la deuxième moitié du XIXe et jusque dans l'immédiat après-guerre, les murs des maisons près des grands axes de circulations - routes de grande importance et voies ferrées – mais aussi de certains hôtels ou de places de centre-ville, se sont ornées de publicités pour des grandes marques de l'époque, comme LU, le petit beurre breton qui s'est lancé à l'assaut de la France. Au-dessus de certains grands magasins, les façades pouvaient être aussi ornées d'enseignes peintes, comme aux Caves du Beffroi, rue de la Paix à Nantes. Enfin, nombre de murs peints se trouvent aussi près des garages, ou encore près d'entreprises de peinture, qui ne perdaient pas une bonne occasion de prouver la durée de vie excellente de leurs peintures, comme on peut encore le voir à Brest, dans le quartier de Recouvrance ou à Rennes, où le Ripolin partage un mur en plein centre-ville avec Dubonnet, Byrrh et autres vins toniques au quinquina.
On trouve des murs peints aux États-Unis, et dans toute l'Europe jusqu'en Russie, avec le développement du capitalisme et des grandes marques. Les reconstructions haussmaniennes ou qui s'en inspirent, le développement des immeubles de rapport créent des grands pignons surplombant des maisons basses ou des rues, espaces privilégiés pour la publicité. Celle-ci est propulsée par les entreprises d'alcools en tous genres, de produits d'hygiène, mais aussi de diverses entreprises locales. A partir de 1943 en France, une loi essaie de lutter contre la prolifération de ces publicités en imposant des contraintes de taille et de hauteur (voir le site) ; des lois similaires sont peu à peu prises dans d'autres pays européens. Après-guerre, le développement de l'affichage publicitaire remplace les murs peints, parfois au même endroit si l'emplacement est bien visible, il n'est pas rare en démontant un 4x3 de retrouver une ou plusieurs publicités peintes au-dessous. Les villes du centre de la France assez figées (Chateauroux, Bourges, Dreux, Orléans) et les vieux quartiers industriels décatis (Paris, Faubourg saint-Antoine, 11e et 12e arrondissements) permettent d'en découvrir des dizaines ! Au milieu des friches urbaines et des usines à l'abandon, le fan d'UrbEx (voir le site) peut faire du tourisme postmoderne au cœur du capitalisme triomphant.
Dans les pays anglo-saxons, on appelle ces publicités délavées des « ghost ads », des publicités fantômes. On peut trouver sur la Toile de nombreuses photos, notamment en Angleterre (voir le site) (en) ou encore aux Etats-Unis (voir le site) et (voir le site)
Les murs peints sont la mémoire de la vie économique de l'époque. Philippe CÉLERIER l'a bien compris et récolte sur son blog les photos envoyées par de nombreux contributeurs (voir le site) Ainsi, un mur peint route de Rennes près du Pont du Cens à Nantes, au-dessus d'un café, rappelle l'emplacement d'un garage de la Régie Renault, qui est le nom de l'entreprise depuis sa nationalisation en 1945 jusqu'à sa privatisation en 1990. Qui se souvient de la Teinturerie Richard rue de la Paix, si connue qu'elle occupe tout un coin de mur sur la D164 à Nort-sur-Erdre ? Ou encore d'une autre marque bretonne – peut-être bien que oui, peut-être bien que non – celle des vêtements de travail Mont-Saint-Michel ? La marque existe toujours, mais ne fait plus dans le bleu de travail (voir le site)
Et ces usines, vidées, frichues ou presque disparues, mais dont les murs portent encore les lettres de la gloire passée ? De Lecoq à Redon jusqu'aux Ateliers et Chantiers de Nantes, en passant par les Vedettes Armoricaines sur le port de commerce de Brest ou encore un entrepôt quasiment incongru dans le vieux bourg du Pouliguen, face à La Baule et devant le port ?
Les murs peints connaissent aujourd'hui un renouveau. Outre le rafraichissement et la conservation de nombreuses publicités peintes anciennes, la tendance est maintenant aux fresques en trompe l'œil ou encore aux enseignes qui tiennent aussi de l'œuvre d'art. A Nantes, à Rennes ou à Brest, on peut voir des fresques et des trompes l'œil qui redonnent vie aux pignons disgracieux des immeubles : un pignon aveugle sur le cloître saint-Nicolas, à Nantes, est ainsi orné de quelques fausses fenêtres et de deux ou trois non moins fausses échoppes. Quant à la capitainerie de Brest, elle a fait dessiner une carte marine des approches du port. Au visiteur ravi revient l'expression des almanachs du marin, au temps des murs peints, et qui permettait aux gens de la mer de se rappeler du secteur rouge du phare du Petit Minou, à l'entrée du port de Brest quand il couvre une roche immergée, le plateau des Fillettes : Le Minou rougit quand il couvre les Fillettes.
Louis Bouveron