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Les minorités ? Des “vieux enfants insoumis”. Conférence
La question des minorités n'a jamais vraiment été traitée par les sociologues français. C'est de l'autre côté de l'Atlantique que l'on trouve les travaux les plus intéressants sur les minorités socio-ethniques. Conférence de Pierre-Jean Simon, sociologue.
Par Fanny Chauffin pour ABP le 13/05/11 22:31

Cette conférence, "Les situations minoritaires", avait lieu à la Maison des sciences de l'homme en Bretagne, programmée par le groupe ERMINE (Équipe de Recherche sur les Minorités Nationales et les Ethnicités) dirigé par Ronan Le Coadic.

Trois définitions éclairantes

La plus ancienne, d'abord. Au Moyen Âge, le « minor » est littéralement en latin, le plus petit, le plus faible, le plus jeune. Il n'a pas atteint l'âge légal, il est sous tutelle. Chez les ecclésiastiques, les frères mineurs représentent le plus bas degré de la hiérarchie, tout comme les ordres mineurs, les artistes mineurs, les écrivains mineurs.

Le mot prend ensuite un sens plus politique : la minorité est un groupement de voix qui ont retenu le moins de suffrages, il existe ainsi des minorités actives ou agissantes.

Au milieu du XIXe siècle, les minorités sont considérées comme un groupe de personne lié par des affinités de race, de langue ou de religion et qui sont dominés, principalement en Europe centrale et en Europe orientale. Ils sont des « objets de discrimination collective » (1949).

Minorité numérique et minorité sociologique

Paradoxalement, la minorité peut-être majoritaire en nombre : c'est le cas de la plupart des populations colonisées. Les Noirs américains du sud Mississipi sont plus nombreux que les Blancs mais ce n'est pas pour autant qu'ils cessent d'être une minorité sociologiquement, politiquement, financièrement et culturellement dominante...

Les Canadiens français en 1960 représentaient une minorité sociologique, alors qu'ils étaient plus nombreux que les Canadiens anglophones. A la veille de la décolonisation, chez les Algériens, le rapport est de dix Algériens pour un Français, au Vietnam, ce sont 20 à 30 millions de Vietnamiens pour 30 000 Européens qui représentaient alors la majorité sociologique. Les Bantous en Afrique du Sud représentaient 80% de la population, les Indiens et la Grande Bretagne pendant deux siècles ont cohabité avec une majorité sociologique britannique pour des millions d'Indiens.

Alors, comment ce système a-t-il pu tenir si longtemps ? Pour Rousseau : « le plus fort restera le plus fort s'il transforme sa force en droit ». Il faut aussi avoir l'assentiment des colonisés, leur soumission. Renan ne parle-t-il pas de « l'éternelle enfance des races imperfectibles » ?

La littérature coloniale et universitaire de l'époque regorge d'expressions qui évoquent la prétendue incapacité de ces peuples à se gouverner eux-mêmes : « mentalité pré-logique, peuples trop vieux, séniles, figés dans un passé profondément dépassé. ».

Les Bretons ? C'est un peuple fossile, la vieille Bretagne, héritière de l'âge des cavernes, des vieilles pierres, des menhirs aux chapelles, une vieille langue, des vieilles coutumes, dans un antique bout du monde… Les Bretons sont alors considérés comme des primitifs, faciles à berner tellement ils sont naïfs, crédules.

Les Chinois et le monde arabo-musulman ? Des héritiers apathiques, plongés dans une trop vieille civilisation grimaçante et caricaturale. Les Turcs et les Arabes sont représentés devant un bâtiment en ruine en train de fumer un narguilé. L'amalgame entre puérilité et servilité se fait vite. Pierre Loti parle de « très petite humanité enfantine et déjà vieillotte ». Paul Bonnetain du Figaro dit que ce sont « des enfants, des grands enfants terriblement vieux et transmettant un sang vicié ».

La Chine pour Renan ? Un « vieil enfant ratatiné ».

Il faudra donc éduquer cet enfant, en menant une mission « civilisatrice », ad vitam aeternam pour les racistes qui considèrent que cet état de servitude ne peut changer. Les libéraux et les progressistes, quant à eux, vont tenter d'amener ces peuples enfantins à l'âge adulte.

Pensées du début du XXe siècle ? Que dire des Tibétains et des Chinois  en 2011 ? Des Noirs, Indiens, Latinos … aux États-Unis ?

Particularismes et universalisme : le duel

Ce qui est normal dans nos sociétés occidentales, c'est d'être blanc, de parler la langue du pays (le français légitime, sans accent régional, ni d'outre mer, ni anglais ….), et d'être de la religion majoritaire, c'est à dire de tradition chrétienne, catholique et romaine (pas de juifs, ni de musulmans, ni de bouddhistes, encore moins de protestants ou d'orthodoxes). Tous ceux qui n'ont pas ces caractéristiques sont des minorités et peuvent être exclus. Si on veut accéder à ŀ'universalité de la civilisation française, il faut passer par ces trois caractéristiques. Quoique l'on pourrait dire que l'universalisme contemporain est de plus en plus anglo-américain …

Quelle est alors la stratégie de la minorité exclue ? Elle peut s'enfermer dans sa « cage d'acier », sans échappatoire (apartheid). Les minorités sont alors des êtres de carence, des amputés privés de leur histoire, de leur identité, soumis. On les abreuve d'une histoire qui n'est pas la leur (« nos ancêtres les Gaulois »). A leur propre histoire se substitue celle de la France. Leurs langues sont méprisées, ravalées au rang de patois, langage barbare à peine articulé, baragouin, très peu de vocabulaire … Jusqu'en 1900, le chinois était considéré comme un langage barbare, avec une écriture complètement idiote, des gens « incapables d'employer l'alphabet ».

La honte et le mépris de soi conduisent à la construction d'une identité négative, ils sont dominés mais aussi complices et victimes de leur propre soumission : le Noir s'identifie au pauvre noir, au nègre Yabon Banania, les Bretons à la Bécassine et chantent les niaiseries sentimentales de Théodore Botrel.

Le refus de sa propre identité prend diverses formes : se blanchir la peau, rejeter sa culture d'origine, surenchère patriotique…

Certains combattent pour l'égalité, mais parfois aussi pour le refus de tout ce qui n'est pas soi, des mouvements nationalistes de décolonisation se mettent en place. « Black is beautiful » va renverser le stigmate et on nie souvent alors toute valeur positive chez le groupe majoritaire.

Que faire des minorités ?

Les expulser comme cela a été fait pour les protestants en 1685, au Moyen Âge en 1492. Transférer les populations, comme en Europe à la fin de la deuxième guerre mondiale ?

Les supprimer, comme les nazis, procéder à un nettoyage ethnique comme en Serbie et dans plusieurs pays d'Afrique… ?

Les assimiler ? En les convertissant à la religion dominante, grâce à l'école, à l'armée, à la politique (syndicats, partis …), on réussit à faire des populations minoritaires de la main d'oeuvre docile et à bon marché... Modèle qui a fonctionné relativement bien en France, mais la machine est grippée …

Mener une politique pluraliste, multiculturelle avec le droit à la différence ? Comme en Allemagne, au Canada, en Australie ? Dans le respect des lois et des règles communes, ils y travaillent même si la réalité montre que c'est difficile. La « démocratie est le plus mauvais régime qui soit, mais à l'exception de tous les autres, évidemment » ...

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Youtubeuse, docteure d'Etat en breton-celtique à l'Université Rennes 2 / Haute Bretagne, enseignante, militante des droits humains à Cent pour un toit Pays de Quimperlé, des langues de Bretagne avec Diwan, Aita, GBB, ...., féministe, enseignante, vidéaste, réalisatrice, conteuse, chanteuse, comédienne amateure, responsable depuis vingt ans du concours de haikus de Taol Kurun, des prix littéraires Priz ar Vugale et Priz ar Yaouankiz, ...
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