On dit souvent, et je l’ai dit dans les médias, que les Bretons sont conservateurs, traditionnalistes, bref légitimistes, c’est-à-dire qu’ils aiment la sécurité, que le changement leur fait peur, que cette volonté de stabilité est un des pivots des institutions en place. J’ai dit aussi qu’il ne fallait pas aller trop loin avec eux, sinon… Mais en fait, il faut bien se garder de toute généralisation. Prenons quelques exemples historiques.
Et commençons par la célèbre Anne de Bretagne
On voit souvent Anne de Bretagne (morte en 1514) comme l’archétype de la bretonne, pieuse, dévouée à sa Bretagne, bonne épouse et bonne mère, femme de l’époque médiévale plus que de la Renaissance. Bien sûr, elle était une monarque féodale, comme ses époux, les rois de France, avec ses châteaux-forts, ses vassaux, ses chevaliers. Bien sûr, ses troupes étant vaincues, elle dut se marier avec son ennemi le roi de France, Charles VIII. Elle dut aussi accepter que sa fille aînée, Claude, épouse, l’héritier de la couronne de France, le futur François Ier, car son troisième mari et seigneur supérieur, Louis XII, roi de France, l’exigea. Mais elle était aussi une duchesse progressiste. On dirait même moderne. Elle reconstitua, dès la mort de Charles VIII, la principauté bretonne, et cela durablement. Et surtout elle eut ce rêve impérial, que Louis XII reprit à son compte. Par sa mère, Marguerite de Foix-Navarre, elle était la cousine très proche des plus riches et plus puissantes familles souveraines d’Europe. Son rêve fut de marier son héritière au futur Charles Quint, le futur empereur du Saint-Empire, rois des Espagnes et souverain des Amérique. Par ce mariage, elle aurait uni l’Europe chrétienne.
Prenons un autre cas célèbre que je connais bien pour avoir étudié ses agissements depuis quinze ans, Du Guesclin. On le voit comme un mercenaire, une grosse brute, laid, et bien sûr stupide. En fait, issu d’une grande famille de la noblesse bretonne, il fut toute sa vie un grand seigneur. En Espagne, il obtint même plusieurs duchés. Toutes ses opérations militaires furent menées avec l’approbation de sa dame supérieure, Jeanne de Penthièvre, duchesse de Bretagne (1341-1384). Dans la modernité, on ne peut pas faire mieux. Il transforma carrément l’art militaire. Il n’aimait guère les charges de la chevalerie, frontales et brutales, détruites maintenant par les flèches galloises et préféraient aborder l’ennemi par les flancs ou l’arrière avec un effet de surprise. Il ne faisait guère non plus confiance dans les armées féodales composées de vassaux indisciplinés et souvent vaniteux, préférant s’appuyer sur des contingents d’hommes de guerre très expérimentés, même s’ils étaient peu recommandables. Il est le père de la guérilla. Surtout, il ne rechigna pas à se déplacer et à entreprendre. On peut même le qualifier d’entrepreneur de guerre.
Et oui, le Breton a l’esprit aventureux. Et là on ne peut généraliser tellement les exemples sont nombreux. On sait maintenant qu’il y avait des Bretons dans les équipages de l’expédition de Christophe Colomb. Dans l’exploration de nouvelles terres, en Amérique, en Afrique, en Océanie, on trouve des Bretons partout. N’oublions pas que Jacques Cartier était de Saint-Malo. N’oublions pas les fameux corsaires bretons. N’oublions pas l’importance de la diaspora bretonne qui se chiffre aujourd’hui à plusieurs millions de personnes. Peut-on dire que le Breton aime avancer, découvrir de nouvelles choses, de nouveaux territoires ? Les exemples pullulent. Le vitréen Pierre-Olivier Malherbe (1569-1616) fut le premier à faire le tour du monde par voie terrestre. La brestoise Louise de Kerouale (1649-1734) favorisa l’implantation de la Franc-maçonnerie en France. Le quimpérois docteur Laënnec (1781-1826) révolutionna le diagnostic médical.
Mais comme ailleurs, les Bretons sont divers. Durant la Commune de Paris (1871), on trouve la brestoise Nathalie Lemel (1827-1921) parmi les Communards et en face, parmi les Versaillais, on rencontre un autre brestois François Monjaret de Kerjégu qui conduisit ses Bretons dans la prise de l’Hôtel de Ville de Paris, suscitant les foudres éternelles de Karl Marx. On sait aujourd’hui que les régions bretonnes qui furent chouannes pendant la Révolution sont plus traditionnalistes, conservatrices, légitimistes que celles qui furent républicaines. Et encore, car là aussi il faudrait regarder dans le détail.
Peut-on résumer en mentionnant que les Bretons sont des progressistes qui aiment les structures en place, qu’ils sont des conservateurs qui apprécient le changement et adorent avancer et entreprendre ?