Le 19e Festival du livre en Bretagne qui va se tenir samedi et dimanche prochains au centre des congrès de Carhaix, a pour thème "Journalistes et écrivains" et pour président d'honneur Roger Faligot dont la carrière de journaliste a commencé il y a plus de 35 ans et qui est en même temps l'auteur (et parfois co-auteur) de nombreux livres, dont beaucoup ont atteint des tirages considérables.
Installé en pleine campagne, à proximité de la rade de Brest, dans un penn-ti où il a rassemblé une énorme documentation, relié en permanence au monde entier grâce à internet, Roger Faligot est profondément attaché à l'identité bretonne, mais c'est aussi un vrai citoyen du monde, qui parle couramment plusieurs langues (et en comprend plusieurs autres), et qui se sent autant à l'aise dans les rues de Tokyo, de Beijin ou du Caire, que dans celles de Belfast, de San Francisco ou de Berlin.
Grand voyageur, Roger Faligot est aussi un des maîtres actuels du journalisme d'investigation, un domaine dans lequel on trouve aujourd'hui un certain nombre d'autres Bretons, dont plusieurs seront également présents à Carhaix.
En choisissant un tel président et un tel thème, les organisateurs de ce festival qui fêtera l'an prochain son 20e anniversaire, ont voulu mettre en valeur cette année les nombreux journalistes bretons qui sont également des écrivains de talent et, de manière plus générale, souligner fortement la place importante que joue la presse en Bretagne ainsi que la part que des Bretons ont prise dans le monde de la presse en général.
En effet, si les Bretons sont de gros lecteurs de livres, ce sont aussi de gros lecteurs de la presse écrite, avec des taux de lecture très supérieure à la moyenne française : dans le Finistère, près de 70 % des ménages lisent au moins un quotidien par jour alors que ce taux tombe à moins de 35 % dans la grande couronne parisienne et qu'il est de moins de 50 % dans la plus grande partie de la France. "Ouest France" est par son tirage - 800 000 exemplaires, soit plus de deux millions de lecteurs chaque jour - le premier quotidien de l'hexagone et le premier quotidien francophone mondial. "Le Télégramme" passe pour être le quotidien le mieux géré de l'hexagone. Ces deux quotidiens se sont d'ailleurs lancés dans l'édition de livres et les éditions Ouest France se sont hissées aujourd'hui au 35e rang des éditeurs français. Ils ont beaucoup diversifié leurs activités et le groupe Ouest France est ainsi le deuxième groupe de presse gratuite en France. Dans un contexte de déclin quasi-continu de la presse quotidienne en France et dans beaucoup d'autres pays d'Europe, "Ouest France" et "Le Télégramme" résistent plutôt bien à l'érosion de leur lectorat. "Ouest France" et "Le Télégramme" ont également pris très vite le virage de la télématique et la fréquentation de leurs sites connaît une croissance spectaculaire.
C'est en Bretagne aussi que les stations locales de France Bleu réaliseraient quelques-uns de leurs meilleurs taux d'écoute. Il en irait de même pour les journaux d'information télévisés de France 3. Quant à la presse hebdomadaire, elle est aussi en Bretagne d'une vitalité exceptionnelle avec une quinzaine de titres et elle touche chaque semaine un million de lecteurs. Ces quelques données témoignent d'une particularité bretonne qui n'a son pendant ailleurs dans l'hexagone qu'en Alsace. La qualité de la presse en Bretagne contribue indiscutablement à faire aussi des Bretons des citoyens bien informés et explique pourquoi les mouvements extrémistes, de droite comme de gauche, pratiquant la démagogie et le populisme, ont relativement bien moins de prise sur les électeurs bretons que sur les habitants d'autres régions.
Cette histoire d'amour entre les Bretons et la presse ne date pas d'aujourd'hui, mais remonte déjà à plus de deux siècles. Lancée à Nantes en 1782, "La Correspondance maritime" a été la première feuille périodique publiée en Bretagne, vite suivie, dès 1784, par "Les Affiches de Rennes". Au début de la Révolution, la presse a commencé à jouer un rôle politique important en Bretagne comme ailleurs, notamment à Rennes avec "La Sentinelle du peuple" et "Le Héros de la Nation". Il a fallu attendre un certain nombre d'innovations techniques pour voir naître et se développer rapidement des journaux quotidiens. Le premier quotidien breton, "Le Phare de la Loire", est né à Nantes en 1851, suivi en 1874 par "Le Populaire", toujours à Nantes. Dès 1865 a été lancé le premier hebdomadaire en langue bretonne : "Feiz ha Breiz". Un quotidien est apparu aussi en 1886 à l'autre extrémité de la péninsule : "La Dépêche de Brest". Le journal en langue bretonne "Kroaz ar Vretoned" a vu le jour en 1898 et c'est en 1899 qu'a été fondé à Rennes le quotidien "l'Ouest Éclair."
Mais ce qui est remarquable aussi, c'est la part que des Bretons ont joué dans le développement de la presse hors de Bretagne. Le Nantais Anne-Gabriel Meusnier de Querlon a été un des pionniers du journalisme à la tête de "La Gazette de France". Des Jésuites bretons, dont le Quimpérois Guillaume Bougeant, puis le Rennais René Joseph de Tournemine ont joué un rôle central dans la rédaction du "Journal de Trévoux" (publié de 1701 à 1767). On sait le rôle qu'a joué plus tard le Rennais François Dubois dans la fondation du quotidien "Le Globe" à Paris en 1824 et aussi l'influence qu'a exercée le journal "L'Avenir", animé par le Malouin Félicité de Lamennais. L'historien de la Bretagne, Pitre-Chevalier, originaire de Paimbœuf, a été rédacteur en chef du "Figaro".
À la Belle Époque, Pierre Souvestre, de Plomelin, a été un des responsables du journal "L'Auto", dont le quotidien "L'Équipe" aujourd'hui est le descendant direct. Et comment oublier que le quotidien communiste "L'Humanité", aujourd'hui dirigé par Patrick Le Hyaric, a eu pour directeur de 1918 à 1958 le Paimpolais Marcel Cachin ? Sait-on encore que le plus grand magasine féminin de l'entre-deux-guerres, "Le Petit Écho de la Mode", a été lancé et dirigé par la famille de Penanster, de la région de Lannion, avec le concours du Briochin Jean des Cognets ?
Et plus près de nous, c'est un Breton de Paris, fils d'un Vannetais et d'une Quintinoise, Hubert Beuve-Méry, qui a créé et longtemps dirigé le quotidien "Le Monde"; c'est un Nantais, Georges Hourdin, qui a créé "La Vie catholique" et un groupe de presse dont est issue aussi l'hebdomadaire "Télérama". C'est un Breton de Vertou, Robert Hersant, qui a créé "L'Auto-Journal", point de départ au développement d'un puissant groupe de presse. Il faut aussi citer Jean Marin, de Douarnenez, fondateur de l'Agence France Presse à la Libération et un de ses successeurs, Hervé Bourges, natif de Rennes... Des Bretons ont joué aussi un rôle dans la presse en Grande-Bretagne, au Canada et dans d'autres pays encore. En vérité, la liste des Bretons qui ont joué un rôle moteur dans l'histoire de la presse et du journalisme serait encore vraiment très longue.
À Carhaix où est publié aujourd'hui un hebdomadaire de qualité, "Le Poher", il paraissait déjà des périodiques, il y a un siècle : la revue mensuelle en breton "Ar Vro" et l'hebdomadaire bilingue "Ar Bobl", grâce au dynamisme et au talent de François Jaffrennoù “Taldir”. Il était donc particulièrement légitime de mettre en valeur cette année au Festival du livre en Bretagne les journalistes bretons d'hier et surtout d'aujourd'hui car ils ont contribué et contribuent toujours de manière magnifique à la dynamique culturelle de notre pays.