Le destin tragique du royaume de Navarre et du duché de Bretagne : Un parallèle de résistances et d’absorption face à des voisins puissants
Cet article est une suggestion de l'historien vendéen Christian Masson, un expert de l'Espagne où il est allé une quarantaine de fois et a beaucoup lu sur le sujet. J'ai fait les recherches et demandé à ChatGPT de les structurer.
Par Philippe Argouarch pour ABP le 19/01/25 15:07
L’histoire du royaume de Navarre et du duché de Bretagne présente des similitudes frappantes. Tous deux furent des États souverains pendant des siècles, dotés de cultures et de langues propres, avant d’être absorbés par des puissances voisines expansionnistes : la Navarre par la Castille (puis l’Espagne) et la Bretagne par la France. Leur disparition ne fut pas immédiate, mais le résultat de luttes militaires, de stratégies matrimoniales forcées et de manœuvres politiques habiles de leurs conquérants.
Une indépendance précoce et une position stratégique
Ces deux territoires émergèrent comme entités politiques indépendantes dès le Haut Moyen Âge.
La Navarre : À l’origine, elle faisait partie du duché de Vasconie, né après la chute de l’Empire romain. En 824, elle devient un royaume sous le nom de royaume de Pampelune, dominé par la langue et la culture basques. Eneko Arista, premier roi basque, initie une dynastie qui règnera jusqu’en 1234.
La Bretagne : Dès le Ve siècle, les Bretons établissent trois petits royaumes en Armorique: la Domnonée, la Cornouaille et le Broërec. En 845, Nominoë, le premier souverain d'une Bretagne unfiée et indépéndante, bat les Francs et se proclame roi de Bretagne (1). Le breton y est alors la langue dominante.
Ces deux États occupaient des positions géographiques clés : Située entre la France et la péninsule ibérique, la Navarre contrôlait un passage clé des routes commerciales et militaires. La Bretagne, quant à elle, verrouillait l’accès à la Manche et à l’Atlantique, un enjeu stratégique majeur dans les conflits entre le royaume de France et l’Angleterre. Les ports bretons prennent aussi une importance considérable après la découverte de l'Amérique en 1492. Cette même année marque la fin de la Reconquista et la création de l’Espagne moderne.
Les premières résistances face aux empires voisins
Les Francs tentèrent d’intégrer ces territoires à leur empire dès le VIIIe siècle.
Navarre (778) : Charlemagne tente de soumettre la Vasconie. Il créé la Marche d'Espagne, mais l'arrière garde son armée est écrasée par les Basques lors de la bataille de Roncevaux. Parmi les morts figure Roland, préfet de la Marche de Bretagne.
Bretagne (786 etc, 811) : Charlemagne mène plusieurs campagnes en Bretagne, mais échoue à l’annexer. Une zone frontière appelée "Marche de Bretagne " est créée.
Malgré ces succès initiaux, Navarre et Bretagne restent fragiles face aux ambitions de leurs puissants voisins.
Des querelles dynastiques exploitées par les grandes puissances
Dès le XVe siècle, les deux États connaissent des crises successorales qui précipitent leur chute.
Navarre (1451-1461) : En 1425, Charles III de Navarre meurt sans héritier mâle. Sa fille, Blanche Ière, épouse Jean d’Aragon, avec une clause stipulant que leur fils hériterait du royaume tout en maintenant son indépendance. Mais après la mort de Blanche en 1441, Jean refuse de céder le trône à leur fils, s’accaparant la Navarre et déclenchant une guerre civile.
Bretagne (1491-1514) : À la mort du duc François II, sa fille Anne de Bretagne devient duchesse. Pour éviter l’annexion par la France, elle épouse Charles VIII en 1491, puis Louis XII. Son duché devait revenir à sa deuxième fille, Renée, selon le contrat de mariage avec Louis XII de 1499, mais il est finalement transmis à Claude, qui épouse François Ier en 1514, facilitant ainsi l’intégration du duché au royaume de France.
Dans les deux cas, les mariages forcés et les traités de succession bafoués aboutissent à l’affaiblissement progressif des souverainetés locales et à des annexions.
La conquête et l’intégration à des royaumes centralisés
Malgré la résistance, la Navarre et la Bretagne sont finalement conquises.
Navarre (1512-1516) : En 1512, Ferdinand II d’Aragon envahit la Haute-Navarre (partie sud), qui est définitivement annexée à l’Espagne en 1516. La Basse-Navarre (au nord des Pyrénées) demeure sous contrôle de la maison d’Albret. En 1589, lorsque Henri III de Navarre devient Henri IV, Roi de France et de Navarre, elle est rattachée à la couronne de France.
Bretagne (1491-1532) : L’union dynastique avec la France devient officielle en 1532, avec l’Édit d’union, qui transforme le duché en province française.
Des résistances prolongées mais inefficaces
Malgré leur intégration à la France et à l'Espagne, ces territoires continuent de revendiquer leur spécificité.
En Navarre, les souverains en exil tentent de récupérer le royaume. Toutefois, en 1620, la Basse-Navarre est définitivement fusionnée au royaume de France sous Louis XIII. Ses institutions ou fueros sont abolies par la révolution.
En Bretagne, des révoltes comme celle des Bonnets Rouges (1675) montrent un rejet du pouvoir central. Cependant, en 1790, la Révolution française abolit définitivement les États de Bretagne (le Parlement) et les derniers vestiges de l’autonomie bretonne. La haute Navarre fait aussi brièvement partie de la France de la révolution et ses institutions propres sont aussi abolies.
Un héritage contrasté : entre autonomie et fragmentation
Aujourd’hui, les héritages de la Navarre et de la Bretagne divergent considérablement.
Navarre et Pays basque : Le royaume de Navarre est aujourd’hui divisé en trois parties : les régions autonomes espagnoles de Navarre et du Pays basque, et une partie intégrée au département français des Pyrénées-Atlantiques. Ces deux régions espagnoles bénéficient d’une large autonomie fiscale et politique. La Constitution espagnole de 1978 leur permet même d’unir la Navarre au Pays basque si la population le décide. Selon Christian Masson, une majorité des habitants de la Navarre dont beaucoup parlent le basque sont pour la réunification.
Bretagne : En revanche, la région Bretagne n’a aucune autonomie spécifique. Pire encore, son découpage territorial a exclu la Loire-Atlantique du reste de la Bretagne, sans procédure légale claire permettant sa réunification.
De plus, comme Pampelune, ancienne capitale basque, n’appartient plus administrativement au Pays basque, Nantes, qui fut capitale de la Bretagne, ne fait plus partie de la Bretagne administrative.
Deux peuples, une même tragédie historique
L’histoire de la Navarre et de la Bretagne illustre le sort de nombreux petits États européens confrontés à des puissances expansionnistes. Ces similitudes sont frappantes :Néanmoins, l’autonomie basque et navarraise montre qu’une reconnaissance politique est possible. En revanche, la Bretagne reste l’un des seuls territoires européens ayant perdu toute forme de reconnaissance politique et institutionnelle. Le Conseil régional de Bretagne administrative dispose de pouvoirs et d’un budget très limités.
L’histoire de ces deux nations oubliées pose une question centrale : pourquoi l’Espagne a-t-elle permis une autonomie basque, tandis que la France refuse toujours toute forme de statut spécial à la Bretagne ? Cette divergence trouve son origine dans des conceptions opposées de l’État : là où l’Espagne, née d’un assemblage de royaumes, reconnaît la diversité interne, la France a imposé un modèle jacobin d’unité nationale stricte. Cette opposition perdure encore aujourd’hui, impactant l’identité et les aspirations politiques des Bretons. Alors que la Corse semble en voie d’obtenir un statut d’autonomie, il serait incompréhensible et injuste que la Bretagne en soit exclue.
Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.