Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Cent-trois Sénateurs, en première lecture, ont voté l'amendement qui intégrait les langues régionales dans la Constitution. Nous tenons à les en remercier très sincèrement.
L'Assemblée nationale vient de confirmer en deuxième lecture son premier vote en adoptant à nouveau à la quasi-unanimité, une disposition de compromis qui affirme que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
En reportant cet amendement dans le titre 12, alors que beaucoup auraient souhaité voir les langues régionales reconnues dans l'article 2 à côté du français, l'Assemblée nationale a toutefois pris en compte l'argument de ceux des Sénateurs qui ne voulaient pas les voir mentionnées dans la Constitution avant même le français.
Il ne fait pas de doute que le résultat du premier vote, tout autant que la position de l'Académie française ont été perçus comme des manifestations d'un archaïsme et d'un conservatisme d'un autre âge, tant par la population française elle-même que par l'opinion internationale. En témoigne le sondage CSA des 18 et 19 juin 2008 pour le premier quotidien français, Ouest-France, selon lequel 68 % de la population, en particulier les plus jeunes (81 % des 18/24 ans), sont favorables à la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. En outre, contrairement à l'avis des membres de l'Académie, 70 % d'entre eux considèrent qu'il ne s'agit nullement d'une «atteinte à l'unité nationale». Unité rime avec diversité et non avec uniformité, nous le savons tous. Pour la très grande majorité de nos concitoyens d'où qu'ils soient, cela semble donc une évidence qui doit être reconnue et non réservée aux discours de circonstance.
En outre au plan international, le vote du Sénat a provoqué la consternation et parfois la dérision. Par exemple, l'une des revues scientifiques les plus lues dans le monde, le magazine en langue anglaise « Nature » a consacré un éditorial le 26 juin à «l' hypocrisie de la France » et au « conservatisme du Sénat », compte tenu notamment des avantages intellectuels scientifiquement reconnus du plurilinguisme pour lequel les langues régionales peuvent être un remarquable premier élément.
Comment la République française, qui a été à l'avant garde de deux conventions internationales de l'Unesco qu'elle a immédiatement ratifiées, la Convention pour la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005), pourrait-elle justifier son refus de reconnaître le principe même de la diversité linguistique dans son texte fondamental ?
Nos amis québécois de l'Observatoire des langues dans le monde – nos langues appartiennent en effet aussi au patrimoine de l'Humanité et la France en a la responsabilité – de l'Université Laval, affirment : « la crédibilité de la France paraîtrait plus forte, et surtout beaucoup plus cohérente, si l'État s'engageait dans une réelle reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique sur son propre territoire. Pour le moment, sur le plan de la protection linguistique, la France fait figure de « pays attardé ». Ils concluent : « La France a intérêt à engager des réformes institutionnelles qui, plutôt que de contrarier ces nouvelles tendances, les accompagneront, sinon elle risque de se laisser déborder »... « Pour le moment, cette position isole de plus en plus la France parmi les pays comparables ».
Votre responsabilité est donc grande aujourd'hui pour permettre à la République française d'évoluer vers une véritable reconnaissance de sa diversité culturelle et linguistique.
Comme l'ensemble des organisations qui, sur toute la France, ont soutenu une reconnaissance constitutionnelle des langues régionales, nous attendons de vous que vous répondiez à l'attente de vos concitoyens et que vous ne les déceviez pas une nouvelle fois.
Veuillez agréer, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, l'assurance de nos salutations très distinguées.
Le président du Conseil Culturel de Bretagne Patrick Malrieu