La possibilité à long terme d'avoir des prairies en Bretagne en fait un lieu de référence mondial pour la production du lait. Quant à parler d'une crise du modèle de production, cela ne résiste pas aux comparaisons internationales et surtout à la diversité des filières agricoles, dont la grande majorité n'est pas menacée à court terme.
Ces affirmations, qui n'étaient pas pour nier qu'il y ait plusieurs problèmes ou fragilités, ont été les points majeurs soulevés, lors d'une réunion-débat, à Quimper, le 5 décembre 2013, à la Maison de quartier de Kerfeunteun, qui a eu un succès marqué, puisque les 120 places étant occupées, des personnes n'ont pas pu entrer.
Tout était centré sur un examen des « problèmes » agricoles, sans qu'il y ait d'allusion, ni, à l'écotaxe, ni, à l'alliance « agri-ali-transport », dite des Bonnets rouges ( voir notre article ).
Pierre Bellec, économiste, responsable de l'atelier « Économie » de la Maison de quartier, a présenté les trois orateurs de référence. Il y avait Marc Andro, qui a été successivement, salarié de fédération d'agriculteurs, responsable syndical et consultant sur la pêche, et est, par ailleurs, Vice-président PS de Quimper-Communauté, Jean-René Cotten, agriculteur (lait, légumes) et pionnier du bio à Saint-Yvi, Corentin Canévet, spécialiste universitaire de la géographie agricole, et auteur d'une thèse sur « le modèle agricole breton » dans les années 50-60.
Ce dernier a appporté l'éclairage historique et réfuté l'idée qu'il y ait, aujourd'hui, un modèle agricole breton. Sauf en Bretagne, personne ne met en cause son modèle local, ni en France, ni ailleurs. L'élevage est resté artisanal et n'a pas de forme industrielle. Les porcheries sont deux fois plus petites qu'aux Danemark.
Le modèle d'autrefois était général et ne consistait qu'en l'intensification des productions sur des fermes alors petites et aux surfaces dispersées. Des nouvelles races d'animaux et des espèces végétales nouvelles ont été introduites et de puissantes coopératives d'agriculteurs ont été développées. En peu de temps, la Bretagne a créé un bassin agricole tout à fait remarquable et compétitif, devenu une référence à l'échelle européenne, bien que les céréaliers extérieurs à la région se soient approprié l'essentiel des aides de la politique agricole commune.
Selon Marc Andro, la presse s'est emparée des problèmes très particuliers de 4 entreprises pour en déduire une imaginaire impasse productiviste et pollueuse. Comme Corentin Canévet, il réfute la prétendue addiction aux subventions qui sont inexistantes pour l'élevage. L'affaire des restitutions supprimées aux volaillers Doux et Tilly est une question de timing défectueux. Il fustige la « paresse des journalistes » ( voir notre article ).
Les activités agricoles, dont la production totale a atteint un pic en 1995, ne seraient pas plus concentrées qu'ailleurs en Europe et la pollution n'est pas plus forte qu'ailleurs. Le seul caractère marqué est l'importance de l'élevage (50% porc, 33% volaille 20% lait). Marc Andro souligne que les Chinois sont très demandeurs de lait et ont investi à Carhaix, parce qu'ils ont vu que la Bretagne, par l'abondance de l'eau de pluie, est l'un des pays les mieux placés dans le monde pour avoir des prairies permanentes. Le climat de la Bretagne est particulièrement favorable à la production agricole et l'activité agricole est un moteur qui est crucial pour l'existence d'une grande partie des services.
L'usine de Marine Harvest à Poullaouen, regroupée, moyennant des licenciements, sur l'ex-Kritsen, à Landivisiau, travaille le saumon, qui n'est pas produit en Bretagne. Ce n'est donc pas une question agricole.
Les deux entreprises, qui sont les seules en Europe à produire du poulet congelé pour l'export (Doux et Tilly-Sabco) sont des cas très particuliers, bien que très préoccupants. Il y a aussi un problème sur la pêche au Guilvinec, car, l'Europe laisse les grands armateurs gérer et acheter les quotas de pêche sans les bateaux. C'est un problème politique.
Quant à Gad, cela faisait dix ans que tous les responsables agricoles savaient qu'il y avait un abattoir de trop en Bretagne et pensaient, sans vouloir l'avouer (selon un responsable agricole, présent au débat), que celui de Geffroy à Châteauneuf-du-Faou devait tomber. Socopa Geffroy a investi la niche du porc Label Rouge et s'est diversifié. Marc Andro souligne que les très nombreux porcs de la zone du Léon devront parcourir au moins 150 km pour être abattus.
Il indique aussi que les regroupements sont inévitables pour faire face à la grande distribution, car, s'il y a plusieurs abattoirs, cela permet aux cinq grandes centrales d'achat de les laminer, alors que Bigard, qui abat 50% du b½uf en France tient la dragée haute aux hypermarchés qui margent donc beaucoup moins.
Jean-René Cotten a été, en 1980, l'un des tous premiers fournisseurs de lait bio à la Laiterie Le Gall, qui a été fondée, il y a 90 ans, à Quimper. Celle-ci travaille à 50% avec le production d'une trentaine d'éleveurs laitiers du Finistère et du Morbihan. Il fait aussi partie de la quarantaine de légumiers bio qui travaillent pour l'industrie. Sa manière de faire a été critiquée par ses pairs, mais, il s'est formé tout seul et a toujours cru dans une agriculture respectueuse de l'environnement. Un dialogue s'est ouvert avec les élus de la zone touristique de Concarneau-Fouesnant pour lutter contre les effluents qui favorisent les algues vertes.
Il veut promouvoir une agriculture responsable et citoyenne et est partie prenante d'un projet de création d'une malterie qui fournirait les brasseries (2 sur Concarneau et Trégunc) et les biscuitiers. Ce qui l'inquiète, c'est les cadences de travail infernales, l'absence de successeurs pour les exploitants, car, peu de jeunes sont motivés pour s'installer (dureté des conditions et endettement) et le vieillissement des outils de production, en particulier, les poulaillers. Il indique que l'élevage du veau n'est plus rentable du tout, alors que les Anglais viennent rafler des génisses pour créer des fermes avec un millier de vaches.
Depuis la salle, André Sergent, président le la Chambre d'agriculture du Finistère, pointe le découragement de nombreux agriculteurs, à la fois, du fait des attaques d'une partie de la population et devant la lourdeur administrative qui reporte à deux ans ou trois ans, au minimum, tout projet d'augmentation du nombre d'animaux. Il insiste aussi sur le fait que la valeur ajoutée des productions augmente en Bretagne et qu'il faut maintenir la diversité des productions, tout en mettant en garde sur la possibilité de chutes sectorielles.
Briec Bonhoure, ancien directeur général de Doux jusqu'en 2005, intervient avec fougue pour dire que, quans il était actif dans la société, il avait, avec le propriétaire, voulu assurer un avenir par la création de filiales au Brésil et aux États-Unis et que c'était des dévaluations qui avaient empêché la réussite.
Marc Andro reprend la parole et revient sur le problème du poulet grand export, mais il est très pessimiste sur la possibilité de maintenir les deux abattoirs, ce qui met en péril 3 000 emplois. Puis, il indique que 700 à 800 personnes resteront sans solution d'emploi autour de Lampaul-Guimiliau. Alors que l'abattage-découpe perd 200 M d'euros depuis 2 ans, il déplore que la Cooperl (Lamballe) et la CECAB (coopérative surtout morbihannaise) n'aient pu fusionner et que c'est, peut-être, Bigard qui ramassera la mise.
Cependant, il maintient que, s'il y a des nombreuses difficultés, il n'y a pas pas de crise générale de l'agriculture en Bretagne, d'autant qu'il est possible de trouver des débouchés importants dans l'Asie du Sud-Est qui est de plus en plus demandeuse.
Des intervenants de la salle ont pointé, soit les difficultés de l'éleveur de poulet concurrencé par le Brésil (un éleveur venu de Brasparts), soit, la question des maladies professionnelles (cancers et allergies) des agriculteurs (une journaliste santé).
Marc Andro a précisé que d'autres réunions auront lieu à Quimper, car, il souhaite que grâce à l'environnement agricole et agroalimentaire exceptionnel qui entoure la ville, celle-ci devienne un lieu de référence pour les débats sur l'agriculture.
Christian Rogel