Connaissez-vous les "chaînes d'argent" ? Elles sont interdites en France depuis 1953. Elles consistent à rémunérer la personne qui vous a fait entrer dans la chaîne, et à chercher deux personnes pour y entrer. Ainsi, vous payez une fois et vous recevez deux fois votre mise.
Le système, appelé aussi "chaîne de Ponzi", permet de rémunérer les premiers investisseurs grâce à l'argent apporté par les nouveaux. Le fonds d'investissement de Bernard Madoff a fonctionné ainsi de 1960 jusqu'à la crise financière de 2008, atteignant 17 milliards de dollars.
Dans l'économie mondiale, les chaînes de Ponzi fonctionnent à plein régime, sous différentes formes, jusqu'à l'éclatement de la bulle. Lorsqu'une société est prometteuse, en particulier dans les nouvelles technologies, les premiers actionnaires ne cherchent pas à toucher une part des bénéfices de l'entreprise, mais à valoriser leurs actions lorsque de nouveaux investisseurs voudront en acheter. Pour cela, il faut attirer chaque fois plus d'investisseurs, afin de faire monter la valeur de l'action.
C'est ce que fait Amazon. L'entreprise travaille le plus souvent à perte, déséquilibrant le commerce des livres au niveau mondial. L'actionnaire n'attend pas d'Amazon qu'il fasse des bénéfices ; juste qu'il montre qu'il pourrait en faire. Ce qu'il demande à Amazon, dans le casino du capitalisme financier, c'est d'élargir à l'infini sa table de jeu, d'attirer du monde et de s'inscrire dans la durée.
Cette durée est liée à l'approvisionnement des joueurs en argent frais. Il faut pour cela ponctionner l'économie productive, qui crée la richesse réelle, ou avoir recours aux banques centrales, qui fabriquent de l'argent.
Venons-en aux Etats comme la Grèce ou la France. Lorsque l'économie productive faiblit, comme en France, et lorsque la récupération de l'impôt est défaillante, comme en Grèce, la chaîne de Ponzi devient une solution à l'échelle d'un mandat électoral. Si les banques centrales lâchent de l'argent "par hélicoptères" comme disent les économistes, les choses peuvent même se maintenir sans réforme à l'échelle d'une carrière politique ou administrative. C'est cool, non ?
A-t-on vu l'État français faire faillite ? Oui. Les bulles politiques peuvent éclater, au même titre que les bulles économiques. Rien qu'en France, l'État a fait plusieurs fois banqueroute, ou "défaut", comme on dit maintenant. Au Moyen-âge, les pouvoirs publics sont incapables de faire face à leurs engagements en 1255 sous Saint Louis et en 1307 sous Philippe le Bel. Le Trésor royal connaît une banqueroute au XVIe siècle (1558), trois au XVIIe (1624, 1648, 1661), quatre au XVIIIe siècle (1701, 1715, 1770, 1788). La Révolution résout la question par l'émission massive d'assignats et l'obligation de les accepter sous peine de mort. En 1797, la "banqueroute des deux tiers" est considérée comme le dernier défaut des autorités publiques françaises.
Aujourd'hui, parce qu'il rémunère 5,4 millions de fonctionnaires, paye les retraites et garantit les économies des particuliers, un défaut de l'État aurait des conséquences sociales pires qu'autrefois.
A-t-on vu des États modernes s'effondrer ? Cela peut advenir à cause de conflits internes ou externes, comme au Libéria, en Somalie, au Liban, en Afghanistan. Mais l'effondrement étatique peut avoir d'autres causes que l'épuisement par une guerre pré-existante. C'est le cas en Sierra Leone, en Haïti, en Lybie. Ce fut le cas pour l'Union Soviétique.
Dans son fameux livre "Effondrement", paru en 2006, Jared Diamond décrit l'écroulement de sociétés anciennes et récentes. C'est en général un processus d'autodestruction. Diamond distingue cinq grandes causes possibles :
- Les dommages au milieu naturel et l'épuisement des ressources ;
- Les changements climatiques ;
- Les pressions hostiles, militaires en particulier ;
- La dégradation des échanges et des alliances ;
- Les réactions inadéquates des décideurs face à des problèmes structurels.
A chaque effondrement, on assiste à des tentatives de reconstruction à partir de la base et donc, forcément, à des revendications locales ou régionales. Libérez les énergies ! Relocalisons les décisions ! Ce fut le cas de l'Union Soviétique et de la Yougoslavie. La reconstruction à partir du sommet ne peut se faire qu'en se mettant sous la coupe d'une puissance étrangère. C'est le cas de l'Irak ou du Mali.
La Grèce et la France sont les deux États les plus centralisés d'Europe. La Grèce est plus avancée que la France dans le scénario d'effondrement. Nous devons garder un regard vigilant sur elle. Les deux compères se comprennent. Ils vont s'entraider. De par leur culture politique, ils chercheront à reconstruire par le sommet. Même s'ils ne l'affichent pas, ils seront amenés à faire appel à des puissances étrangères, politiques ou financières.
Toutefois la Grèce, avec un gouvernement de gauche radicale, pourrait être tentée par une reconstruction en partant de la base. Les choses ont commencé à bouger avec le programme Kallikratis et la réforme territoriale de 2011. Que va-t-il se passer, maintenant, dans les régions périphériques comme la Thrace, la Macédoine ou la Crète ?
La Grèce intéresse les stratèges français, pour savoir comment reconstruire un pays centralisé. De notre côté, observons bien les Grecs de la périphérie. Les expériences de reconstruction par la base ne manqueront pas de se produire. Ces expériences devraient nous intéresser, afin de passer en Bretagne à autre chose que la revendication de nos droits auprès d'un pouvoir central sourd et aujourd'hui défaillant.
Jean Pierre Le Mat