Un film coup de poing pour un crime contre l'humanité : ces hommes et ces femmes morts sur des bateaux qui coulent sont enterrés en terre espagnole, sans nom, ni sépulture.
Elle est toute frêle et sa voix vient de loin. Elle, c'est Hélène Crouzillat qui a réalisé avec sa collègue photographe le film "les Messagers", venue de Paris pour commenter son film, hier à Lorient, aujourd'hui à Guéméné, après demain à Vannes.
Des plans fixes sur de grandes étendues de sable où certains sont restés, perdus, sans repères. Sur les lieux où la végétation a repris le dessus. Et un mur, immense, trois barrières et des gendarmes de la Guardia Civil. "De toutes façons, ils passent". Mais ils ne survivent pas tous. Les bateaux coulent, les trois kilomètres à effectuer à la nage pour contourner l'enclave espagnole de Melilla en terre marocaine, sont trop difficiles pour les femmes âgées. Alors, on laisse. La police espagnole ou marocaine, tantôt secourt les noyés, tantôt les assomme, ou arrive trop tard sur les lieux du naufrage.
Témoignages, visages, récits tous plus poignants les uns que les autres. Pas d'enquêtes sur ces disparus. Pas de bruit. Les gendarmes sont suivis par des psychiatres, soignant les lapins et les oiseaux, reste d'humanité sans laquelle leur tâche ne serait pas soutenable.
Cela se passe aujourd'hui, en 2015. Les familles ne sont pas prévenues, aucun registre ne retient le nom de ces morts, que la mer ramène après deux ou trois jours. Sauf les amis, les compagnons d'infortune qui ont comme eux "tenté l'aventure". Certains parlent de "guerre", l'un d'entre eux, Sénégalais, attend le grand départ depuis sept ans. Il a tenté douze fois de traverser. En vain. Alors, il accueille ses compagnons d'infortune, les héberge et théorise : il a trouvé le nom qui correspond à leur condition. C'est la "chosification", dit-il en cherchant dans le dictionnaire. "La réification consiste à transformer ou à transposer une abstraction en un objet concret, à appréhender un concept comme une chose concrète. Le terme est aussi employé à propos des personnes vivantes."
Que diraient Voltaire, Zola, Césaire, de ce qui se passe aujourd'hui pour les réfugiés ? Utiliseraient-ils des mots comme "migrants économiques" ou "réfugiés" ? Non, ils parleraient de ce que des hommes osent faire à d'autres hommes, par delà la mort.
Le même témoin parlaient du péril européen : "Nous sommes des messagers". Des messagers d'un monde qui montre que la vieille Europe ne pourra pas empêcher une vague migratoire dont elle a besoin pour son économie à coups d'expulsions, de matraques et de noyades, et que l'on n'empêche pas les rivières de couler, ni la mer de monter et descendre, ramenant les cadavres...