Le Combat des Trente est un épisode célèbre de la Guerre de Cent ans. Les Bretons amateurs d'histoire connaissent tous ce haut fait de la chevalerie qui se déroula près de Ploërmel, en 1351, entre trente chevaliers et écuyers du parti de Jean de Monfort et trente autres du parti de Charles de Blois. Ils connaissent l'adresse mémorable, "bois ton sang Beaumanoir".
Pour Froissart, qui le rendit célèbre, ce combat fut " un moult haut, un moult merveilleux fait d'armes".
Participer à cette joute, somme toute sans grand intérêt, demandait du courage mais en réalité, ce duel épique et chevaleresque ne saurait faire oublier ces années de guerres incessantes qui dévastèrent horriblement la Bretagne et la France et auguraient déjà la fin de ces querelles dynastiques et familiales ineptes, du féodalisme et des rois dans leur mouture première. Car si les seigneurs et chevaliers de ce temps goutaient fort leurs chevauchées, et passaient du bon temps, en dépit des risques encourus et recherchés, ce n'étaient sur leur passage, que désolations, ruines, viols, meurtres, pillages et rapines, dont les "écorcheurs" n'avaient pas l'exclusivité, la famine et les maladies achevant de consumer les vivants affaiblis. Vers 1340, la population anglaise dépassait à peine 2 millions d'habitants, la moitié de celle de la Bretagne actuelle ! Et des milliers de villages et de hameaux de France avaient péri !
Exemple de la dureté des temps, Charles de Blois, chrétien dévot (il portait un cilice), dont l'Église fit un Bienheureux, prit le château de Val-Garnier, près de Nantes, massacra trente chevaliers bretons et fit jeter leurs têtes. Il anéantit aussi 1400 Quimpérois.. Ce n'était pas le seul à agir de la sorte.
Ce qui m'importe ici, n'est pas de narrer en détail ce tournoi mais de voir comment il est traité dans les manuels d'histoire.
L'un des livres référent sur la guerre de cent ans, à tort sans doute, est celui de Jean Favier. Chez Favier, Jean de Beaumanoir se nomme Robert de Beaumont, connu ni d'Eve ni d'Adam ! Pour lui, les vainqueurs, les trente chevaliers bretons de Blois sont des Français exclusivement. Le champion anglais Brembo (Bemborough) est allemand. En bref le récit de Favier est faux. Les sources étant nombreuses et très claires, pour le coup, Wikipédia est bien plus fiable ! On peut s'interroger sur le sens à donner à cette maladresse. Eliminons, par pure courtoisie, l'erreur volontaire. Il reste le lapsus, l'erreur inconsciente, je dirais même symptomatique d'une certaine "histoire française". Dans cette histoire, les Bretons n'apparaissent jamais à leur avantage, certains y verraient sans doute une atteinte à la sûreté de l'Etat. Quand ils sont avantagés, ils sont français, cqfd. S'ils avaient perdu ce combat, on n'en parlerait même pas. Remarquez que lorsque Jean de Monfort, futur Jean IV, représentant de la petite noblesse et du peuple, remporte la victoire finale à Auray, ce sont les Anglais qui gagnent, pas les Bretons ! Vaut-il un livre, non, mais 50 sur Du Guesclin ne seront pas de trop pour remâcher le sujet tant et plus, qu'un seul sur Jean IV ou Jean V.
Chez Favier, l'erreur est–elle passagère ?, que nenni. Dans son panorama de la vie économique du royaume de France, la Bretagne, alliée stratégique essentielle, apparait à deux endroits: le bocage, le petit cabotage breton. Le vin bordelais est convoyé par les Anglais évidemment. Les routes commerciales sont … terrestres. Favier, la Bretagne, il ne connait pas. Au 15-16e siècle, Penmarch était le premier port d'armement d'Europe … la flotte bretonne égalait celle de Gêne et de Venise.
Parlant de Richemont, homme d'Etat pour le moins, le connétable, le gouverneur de Normandie, l'organisateur de la victoire, l'égal de Du Guesclin et de Jeanne d'Arc, l'homme fort de Charles VII, présent à Patay, le libérateur de Paris, le vainqueur de Formigny, le réformateur de l'armée, le diplomate (Arras), Favier devient malveillant. "Le nouveau connétable est un fourbe, il encombra vite la cour de ses agitations, de ses roueries, voire de ses complots", p 471, voilà notre grand homme "habillé pour l'hiver". Où Favier a t-il trouvé cette information, mystère; sait-il qu'un fourbe est un voleur ? Peut-être Richemont a t-il dérobé un peu de gloire et ce serait justice …
Rien n'est plus éloigné de Richemont que ce vice (la fourberie), mais Favier n'est pas un psychologue, ni là, ni ailleurs et confond sans doute avec Giac. Il ravale Richemont au rang des La Trémoille, Giac et d'autres canailles que Charles VII, laissait tuer sous ses fenêtres, de même qu'il fut indifférent au sort de Jeanne et de Jacques Cœur. Richemont avait un défaut, il était impitoyable avec les crapules, comme Giac et Camus de Beaulieu qu'il élimina sans délai; La Trémoille échappant de justesse au Justicier. Dans le livre de Minois, le ton est plus amène, même s'il n'apporte rien de bien nouveau et ressasse les mêmes faits. Décidemment, Richemont, qui plus que son roi avait l'étoffe d'un roi, doit rester dans l'ombre. Le public serait surpris, comme les petits enfants, d'entendre une histoire officielle qui ne soit pas "comme d'habitude".
Favier n'a pas du lire Michelet, Sismondi, Lavisse, Henry Martin, La Borderie, moins avares de compliments.
Voilà ce que disent ces historiens :
De tous temps « la meilleure arme de la France contre la Grande Bretagne avait été la Bretagne ». Jules Michelet
"Richemont était connétable de France : les Bretons le suivaient volontiers ; les bandes bretonnes faisaient la force de Charles VII; on les appelait les bons corps." Histoire de France jusqu'au XVIe siècle, Volume 5 Par Jules Michelet
"Charles VII réunissant les Bretons, les Gascons, les Dauphinois, avait dès lors de son côté la vraie force militaire de la France.", Histoire de France jusqu'au XVIe siècle, Volume 5 Par Jules Michelet
« Parmi les hommes célèbres du règne de Charles VII, … s'il en est un qui mérite d'occuper à côté de Jeanne d'Arc le premier rang, on peut affirmer, tout bien pesé, que c'est le connétable de Richemont » Ernest Lavisse.
"Du Guesclin, Clisson, Arthur de Richemont, les plus grands capitaines du moyen âge, sortirent du duché de Bretagne", Vies des grands capitaines français du Moyen Age, par Alexandre Mazas.
« Le connétable de Richemont était le seul homme qui prit à cœur les intérêts de la monarchie et songé à sa défense ». Histoire des français, Simonde de Sismondi
Apparemment, cela gêne Favier que la Bretagne ait pu jouer un rôle si déterminant dans la sauvegarde du royaume de France ? et bien, il ne sera pas le premier.
A courir deux lièvres à la fois, on n'en attrape aucun. Il est impossible d'accepter le fait breton dans certains cas et de le refuser dans d'autres; Favier s'y est laissé prendre comme ceux qui ne sont pas au clair avec eux-mêmes. Pour exemple, dans la dernière livraison de l'Histoire consacré à la Guerre de Cent ans, on ne mentionne pas du tout Richemont, il ne faut pas perturber le lecteur avec des nouveautés.
Dans les mains de certains historiens, qui manquent de naturel et d'originalité, la Bretagne fait l'effet d'une patate chaude. Ils se croient dépositaire de la raison d'Etat, héritiers des hagiographes du temps passé, et ne savent plus trop à quelle sauce accommoder la Bretagne. Peut être nous faudra-t-il un nouveau Robert Paxton pour y voir clair ?
La Bretagne doit, avec assurance, porter son regard sur sa propre histoire,
personne ne la dira à sa place, avec empathie mais objectivité, de même que les Anglais ne se fondent pas uniquement sur les travaux continentaux pour appréhender leur passé. L'histoire ne sera jamais une science exacte. Décrire un atome ne requiert pas d'empathie, conter l'histoire d'un peuple, fut-il composite, en réclame.
Alors seulement pourrons nous sortir de ce hiatus et regarder la diversité, comme une richesse et non comme un désagrément.