A Carhaix, le 26 octobre, lors du Salon du Livre en Bretagne,le débat sur le « printemps des régions » a presque rempli la grande salle de cinéma. Erwan Chartier, historien et directeur de maison d'édition, animait une table ronde avec débats rassemblant cinq personnalités, à la fois très diverses dans leurs opinions politiques, mais qui trouvent beaucoup de points d'accord sur ce que Marc Le Fur, député UMP de la circonscription voisine, a appelé une cohérence de territoire afin de présenter sur certaines demandes un front uni face à un Etat et un gouvernement qui continuent de fonctionner sur des principes obsolètes, en n'ayant plus d'argent à faire miroiter aux provinces.
Marc Le Fur, le seul député qui ait coiffé le bonnet rouge, a été déçu, car, il avait cru, un moment que François Hollande voulait réellement transférer des pouvoirs aux régions, car, « les régions sont des bébés de 40 ans ». Mais, « les régions ne se découpent pas, elles se constatent… Imagine-t-on Merkel se mettre à découper la Bavière ? ». Il doit y avoir « un consentement d'appartenance », seul moyen de faire des choses ensemble, car l'être humain est fait pour agir dans des communautés petites et grandes.
L'État en faillite agite l'épouvantail du communautarisme, alors que son modèle pyramidal est mort et que l'on va vers des fonctionnement en réseau. « Qui dit réseaux, dit modernité de l'identité ». Pour lui, le vrai sujet est bien «la crise de l'État-Nation » qui est européenne. Il insiste aussi sur le fait qu'il faut faire alliance avec les autres régions, comme l'Alsace et la Région Centre qui souhaite s'appeler maintenant Val de Loire, d'Angers à Orléans. Par ailleurs, Paris devra résoudre une équation impossible : la crise des finances condamne l'existence des départements, mais leurs présidents et le Mouvement des radicaux de gauche veulent s'y opposer.
Yvon Ollivier, magistrat, auteur de « La désunion française » et du roman « Lom ar Geol », insiste sur le fait que les Bretons sont un peuple et doivent se constituer comme tel. Il cite l'exemple de la Pologne qui a su se prendre en main. « Le modèle juridique français se fracasse sur la contrainte extérieure... La France doit se réformer, mais n'en trouve pas le ressort » et est donc incapable de faire sa « révolution copernicienne », c'est-à-dire de «responsabiliser les gens » et organiser des délégations de pouvoirs, y compris législatif. Avec cet accès de jacobinisme du pire qui met « ensemble des gens qui n'ont pas grand chose à faire ensemble…... Nous allons vers la mondialisation, tous nus et les mains liées derrière le dos », alors que la France est multi-fracturée socialement et territorialement, que les élites politiques se reproduisent, car, il n'y a plus plus d'ascenseur social (et) au nom de l'égalité, aggravent les inégalités ». Ces élites que, la veille, il avait qualifiées de communautaristes, car, repliées sur elles-mêmes, continuent de parier sur la désunion du mouvement revendicatif en Bretagne, mais, « la clé, c'est nous qui l'avons, car il y en a toujours une quelque part ».
Daniel Cueff, Vice-président du Conseil régional de Bretagne (groupe Bretagne Écologie), maire de Langouët (35), montre que les 10% d'autonomie fiscale viennent des cartes grises et de la TIPP, à rebours des programmes écologiques de la Région. La métropolisation, n'est pas une solution en Bretagne du fait du nombre de petites villes et il ne faut pas faire comme Toulouse qui a « dévoré sa région ».
Il y a « une pensée d'État » qui veut que tout vienne par le haut et il rappelle que «la métropolisation qui veut retirer des compétences aux régions » est « basée sur de vieux schémas de la DATAR » et a été initiée par le précédent gouvernement en décembre 2010. Il rappelle que la différenciation des lois et règlements pour les adapter localement est prévue dans les articles 74 et 76 de la Constitution.
Il voit une scission forte entre les élus régionaux et les hiérarques parisiens, un faux dialogue entre une délégation du Conseil régional de Bretagne et l'homme de confiance de Manuel Valls, le rapporteur de la loi sur la réforme territoriale. A la vision partagée par trois élus de sensibilités politiques différentes de pouvoir gérer de manière fine des éléments spécifiques à la Bretagne (politiques de la mer, agriculture, culture), Carlos da Silva a laissé tomber un impérial et définitif commentaire : « Je ne laisserai jamais installer dans la loi un seul espace pour le repli identitaire ». Voir plus de détails dans la vidéo.
Christian Troadec, conseiller général du Finistère et maire de Carhaix, venait combler l'absence de deux élus socialistes qui s'étaient excusés de ne pouvoir venir, inventait une belle image du dialogue de sourds en parlant de « ceux qui voient la Bretagne depuis la Tour Eiffel et ceux qui la voient depuis le phare d'Ouessant ». Il a été rappelé qu'il fait partie du collectif, dont le slogan est « Vivre, décider et travailler en Bretagne ».
Il lance un bon mot en expliquant que « les élus confondent double langage et bilinguisme ». Face à la trahison des élus des trois métropoles bretonnes qui prônent la fusion, face à Marylise Lebranchu qui dit avoir changé d'avis, « c'est hallucinant », le couvercle doit sauter, car, pour lui, l'État ne fonctionne plus et on va vers de graves problèmes sociaux et, pour s'en dépêtrer, il faudra « décider par nous-mêmes », en instituant un rapport de force.
Jérôme Abassene représentait une sensibilité bretonne et écologiste et est revenu en Bretagne après avoir étudié à Sciences Po Paris, où il y a co-fondé l'association des étudiants bretons, ayant eu à batailler avec le préfet de police pour faire admettre que les statuts soient bilingues, français-breton.
« Le débat doit s'engager avec la population et le printemps des régions, c'est s'organiser par nous-mêmes ». Il invite à ne pas trop regarder le passé, pas même le printemps 1942. Comme Marc Le Fur, il invite aussi à regarder les Bretons de la diaspora qui ont « une mentalité de combattants ». Il insiste sur l'importance pour la Bretagne de se tourner vers les énergies renouvelables et le développement durable.
Des questions venant de la salle ont fait poser la question de savoir par quels interstices il est possible de faire sauter les blocages politiques, chacun des débatteurs a répondu et Marc Le Fur pense, à la fois, qu'il y a des interstices à trouver en créant des rapports de force, quand on est dans un parti, mais c'est, au fond, une révolution démocratique et sans bombinettes qui doit être faite. Il pointe les élus bretons qui n'ont pas saisi l'occasion au plus fort du mouvement des Bonnets rouges, quand Paris était traumatisé.
Daniel Cueff a été effaré du fait que les socialistes et communistes ont appelé à la manifestation anti-Bonnets rouges à Carhaix, le 2 novembre sans analyse sérieuse du mouvement qu'ils qualifiaient de poujadiste. Pour lui, l'Assemblée de Bretagne est un moyen de simplification et d'élimination des étages de bureaucratie. Quand les situations sont intenables pour les administrés, il n'y a jamais de responsable.
L'ensemble des propos a été clair et bien argumenté, mais, que doit-on penser du fait que les élus jacobins, députés ou encartés, se cachent et refusent de débattre.
Aucune radio ou télévision n'est venue pour enregistrer un débat pourtant pleinement d'actualité (Vote définitif de la loi en novembre). On doit regretter le mauvais éclairage de la salle qui n'est pas à la hauteur dans un lieu pour des conférences.
L'essai d'Yvon Ollivier intitulé « La désunion française » (L'Harmattan) a été commenté dans une revue de l'Institut culturel de Bretagne ( voir notre article )
Daniel Cueff «La Bretagne, un horizon démocratique pour notre République » (Le Temps Editeur, 2014). Voir présentation ( voir notre article )
Christian Rogel