Hommage à Yann-Fañch Kemener
Décédé le 16 mars 2019, à l’âge de 61 ans
Yann-Fañch était, sans surprise, un grand admirateur d’Armand Robin, cet intellectuel inclassable, brillant et polyglotte, né comme lui dans une famille très pauvre du Centre-Bretagne.
Armand Robin a écrit : « Ce Rostrenen prétend qu’il est mon pays natal, mieux, qu’il est sans conteste possible le seul endroit où toujours je fus, où toujours je suis, où toujours je serai, vif ou mort ». Le Rostrenen de Yann-Fañch s’appelait Sainte Tréphine. C’est là qu’il a vu le jour. C’est là qu’il a été totalement imprégné dès sa plus tendre enfance par le CHANT, ce mode de tradition orale absolument incontournable en Bretagne.
Le chant est non seulement une tradition, mais aussi et surtout un moyen de transmission. Il transmet de génération en génération, depuis des temps immémoriaux, le souvenir d’événements parfois très anciens au sein d’une population de paysans pauvres et illettrés.
Yann-Fañch a eu le grand mérite de remettre au goût du jour et de redonner ses lettres de noblesse aux gwerzioù, ces complaintes composées de couplets dont le nombre pouvait atteindre la centaine. Lors des veillées d’autrefois, tous les voisins venaient écouter les chanteurs chevronnés faire démonstration de leur art à une époque où la télévision, la radio et Internet n’existaient pas.
Encore de nos jours, on compose des gwerzioù pour exprimer les préoccupations quotidiennes comme le remembrement, la désertification des campagnes ou les résistances contre les directives du gouvernement français. Et bien sûr, on s’en régale lors de soirées communautaires.
Yann-Fañch a fait un énorme travail de collectage auprès des anciens et est devenu « un passeur de mémoire ». Son recueil « Carnets de Route » aux éditions Skol Vreizh (avec les CD accompagnant) en est la principale concrétisation.
En parallèle, il a également adoré donner du « plaisir à danser » lors des festoù-noz, ces fêtes de nuit, à la foule des danseurs grâce à la pratique du Kan-ha-Diskan, cet art si particulier de chant et déchant en couple, avec tuilage. Lors de ces réunions nocturnes, une véritable osmose se produit entre danseurs et chanteurs dans un va-et-vient d’énergie qui conduit à une transe collective.
Par ailleurs, Yann-Fañch a toujours su que sa passion du chant remontait à sa prime enfance bercée par la voix de sa maman. En conséquence il a signé « Dibedibedañchaou », un recueil de chants et contes pour enfants édité par Dastum, l’organisme de collectage et sauvegarde du patrimoine sonore et iconographique breton.
En plus d’être un chanteur incomparable doté d’une voix d’une grande pureté, Yann-Fañch était aussi un homme pourvu d’une extrême sensibilité alliée à une véritable gentillesse.
Il aimait profondément les gens et a fait montre de cet amour jusqu’à ses derniers instants puisque le 20 février, très affaibli par la maladie qui l’a emporté, il présentait en fauteuil roulant le tout dernier de ses CD, un recueil de poèmes chantés : « Roudennoù ».
En 1996, en introduction à ses « Carnets de route », Yann-Fañch souhaitait Bon Voyage « à toutes celles et à tous ceux qui me prêtent leurs yeux pour lire, leurs oreilles pour entendre et leur cœur pour comprendre ».
Même si son départ nous plonge dans une profonde tristesse et un grand désarroi, nous lui souhaitons à notre tour et du fond du cœur un Bon Voyage pour rejoindre le Paradis des Chanteurs.
Marie-Laure Callec
Breizh Europa
Kenavo Yann-Fañch
Diaes eo asantiñ e vefe aet diouzhomp ken abred an hini en deus dudiet ha fromet ac’hanomp e-pad ouzhpenn daou-ugent vloaz gant ur vouezh eus ar c’haerañ.
Hag eñ her da zastumerien kanaouennoù pobl an XIX ved kantved ha da ganerien ha kanerezed pobl diwezhañ darempredet gantañ en e yaouankiz, en deus gouestlet e vuhez da dreuzkas al lodenn-se eus hor glad.
En ur choaz un hent disheñvel krenn deus hini an arzourien all e penn azginivelezh sonerezh Breizh er bloavezhioù 70, o krediñ kanañ a capella, eo deut a-benn da vrudañ ha da lakaat splann d’an holl braventez ha pinvidigezh un arz poblek sellet outañ betek-henn evel re zister, didalvoud ha tonket da steuziañ gant ar vrezhonegerien a-vihanik diwezhañ.
Kounet e vo gant a re o devo darempredet anezhañ pe selaouet anezhañ war al leurenn, er festoù-noz pe bet kentelioù digantañ evel un den jentil-tre, uvel, kizidik ha troet d’ar re all.
Ra vo skañv douar Breizh evidout
Hervé Masson, ezel Kuzul Breizh Europa
C’est avec tristesse et émotion que les Conseillers de Breizh Europa réunis hier à Locminé ont appris le décès du chanteur bretonnant Yann-Fañch Kemener. Le Mouvement salue à la fois l’immense talent de l’artiste, sa voix aux accents magnifiquement telluriques ainsi que son incroyable travail de collecteur de contes, de chants. L’homme s’en est allé trop tôt alors même qu’il s’engageait avec courage dans la promotion de son dernier disque. Sa voix magnifiait la langue bretonne qu’il contribuait à faire vivre avec intensité et simplicité. Elle nous emmenait en Argoat respirer la terre et jusqu’en Penn-ar-bed humer l’écume des vagues. L’écouter, c’était assurément frissonner. On pouvait avoir jusqu’au sentiment de toucher à l’origine de son être, du monde, comme lors de l’écoute de son album bouleversant « Enez Euza ». En écoutant Quemener chanter, tout homme -qu’il soit Breton ou non- saisissait le sens de la phrase de Saint-Pol-Roux « Bretagne est univers ».
Caroline Ollivro,
Porte-parole de Breizh Europa.