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- Interview -
Joël Cornette : la Bretagne me poursuit
Suite à la parution d'extraits de son entretien sur ABP le 18 janvier dernier, Joël Cornette, l'auteur d'Histoire de Bretagne et des Bretons, a réagi auprès de Ronan Le Flécher qui l'avait interviewé. Nous vous livrons ici les compléments de cet entretien mené fin 2005 (publié ce mois-ci dans armor magazine). L'historien y précise sa vision sur de nombreux sujets, du mythe Nominoë à l'imaginaire Celtique - "souvent extravagant" (sic) - en passant par l'intégration de la Bretagne à la France. Éclairant
Par Ronan Le Flécher pour Ronan Le Flécher le 14/02/06 9:53

Succès de librairie pour cet ouvrage salué par la critique. Difficile de passer à côté d’“Histoire de la Bretagne et des Bretons” publié au Seuil par Joël Cornette. En deux tomes et 1 428 pages, ce normalien de 56 ans, professeur à l’université Paris 8-Saint-Denis, revisite l’aventure mouvementée d’un territoire singulier, de ses origines jusqu’au XXe siècle. “La Bretagne me poursuit depuis mon enfance à Brest”, confie cet agrégé d’histoire, spécialiste de l’Ancien Régime, qui a consacré quatre années à ce travail nourri des recherches les plus récentes. Rencontre…

Une enfance brestoise, puis vous devenez “transplanté” parisien. Sentez-vous encore vibrer vos fibres bretonnes ?

Ce livre prouve que le lien avec mes origines est loin d’être rompu. J’ai étudié à Brest du primaire à la terminale à Saint-Marc, puis je suis rentré à Lettres Sup' à Kerichen. Comme il n’y avait pas de classe préparatoire de deuxième année, je suis allé à Bordeaux préparer Normale Sup'. J’ai été reçu à Saint-Cloud, ce qui explique le transplantement. À partir de là, je n’ai pratiquement plus jamais quitté la région parisienne. J’ai obtenu l’agrégation et j’ai été pendant dix ans professeur de lycée à Gonesse tout en donnant des cours en classes préparatoires. Ensuite, j’ai été élu maître de conférence à Paris 1 ; j’y suis resté dix ans. J’ai été élu professeur à Paris 8-Saint-Denis où j'enseigne aujourd’hui. J’ai les pieds dans deux sabots très différents : tout en étant resté breton, je me suis spécialisé sur l’histoire de la France centrale, de l’État monarchique et sur Louis XIV.

La Bretagne est-elle pour vous un objet de recherche comme un autre ?

Tout à fait. J’ai considéré la Bretagne comme un territoire “normal” pouvant faire l’objet d’une étude totalement dépassionnée. Je me suis gardé de toute surdétermination. En aucun cas, mon travail n’affiche de présupposés idéologiques ou politiques. Je regrette que des porte-paroles du nationalisme breton réinterprètent le passé en fonction de discours politiques.

Les recherches récentes ont-elles renouvelé la connaissance de la péninsule armoricaine ?

Parfaitement. J’ai travaillé sur ce livre avec l’horizon de faire le point sur les recherches les plus neuves sur la Bretagne : thèses, colloques et débats. Pratiquement toutes les périodes ont été visitées, comme la période moderne, qui est plutôt mon territoire, ou le haut et le bas Moyen Âge. Lisez l’étude de Jean-Noël Cassard sur l’origine de la Bretagne et sur la période de Nominoë, à coup sûr l’un des thèmes les plus controversés sur le plan politique et idéologique.

Nominoë est considéré comme le père de la patrie bretonne. Pourtant, vous le dépeignez comme une créature de l’empereur franc Louis Le Pieux.

Ce qu’il a vraiment été. Vous avez là un exemple d’histoire idéologique. Certains ont voulu construire à partir de Nominoë, l’imaginaire d’une Bretagne fixée pour l’éternité, indépendante et fière de l’être. En des temps de crises de succession impériale, Nominoë a joué le jeu d’une autonomie progressive, d’une indépendance de fait. De là à en faire le porte-drapeau d’une Bretagne éternelle crispée sur des valeurs d’autonomie…

Les Celtes représentent un autre mythe mis à mal dans votre ouvrage.

J’ai peu parlé des Celtes car, en tant qu’historien, je m’appuie uniquement sur des sources objectives. Dans la civilisation celtique, l’écriture était interdite par les druides. Seuls subsistent des objets ou des traces matérielles. On peut donc dire absolument ce que l’on veut sur les Celtes. Et l’imaginaire celtique est souvent extravagant. Des gens ont associé la Bretagne, la Celtie, Brocéliande, les Chevaliers du Graal. Les Bretons font partie d’une grande unité de civilisation qui s’étend de la Bavière jusqu’au Portugal, mais qui est marquée par une diversité locale.

Quittons la période celte. Quand la Bretagne a-t-elle connu son âge d’or ?

De 1364, fin de la guerre d’indépendance jusqu’en gros à Louis XIV, qui marque une vraie rupture dans l’histoire de la Bretagne.

Qui dit âge d’or dit aussi années noires. Certains voient le début du déclin pour la Bretagne avec le rattachement du duché à la France en 1532 ?

C’est faux. La renaissance bretonne se situe à l’époque de la Bretagne française. L’éclosion aux XVIe et XVIIe des enclos paroissiaux, retables, chapelles sont des signes manifestes de vitalité économique. Je ne suis évidemment pas en train de justifier la prise de la Bretagne par la France. Il ne faut pas non plus tout voir en noir. Ce n’était pas dans l’intérêt des rois de France de casser le dynamisme breton.

La Bretagne, “vieille province, si passionnément bretonne et si éminemment française”, se révélerait à vos yeux un excellent laboratoire d’expériences politiques ?

La Bretagne est intéressante parce qu’elle a intégré l’idée de la France sans aucune arrière-pensée et que cette adhésion va dans l’affirmation d’une singularité de civilisation. La civilisation bretonne n’est pas seulement économique mais aussi culturelle. Je pense que les Bretons se sentent autant bretons que français. Les deux ne sont pas complètement contradictoires. C’est ce que j’ai voulu exprimer ici.

Cette intégration à la France s’est parfois faite avec violence. La culture et les langues ont subi de lourdes attaques.

Il ne faut pas rester crispé sur ce moment-là, sinon cela devient une fustigation. À en rester obsédé, on se victimise soi-même et on n’avance pas.

Autre sujet de crispation : faut-il enseigner l’histoire de Bretagne aux écoliers bretons ?

Trois fois oui. L’histoire de la Bretagne n’est pas enseignée en primaire, en secondaire et très peu en supérieur. Cela me paraît aussi grave que la destruction de la langue. Il faut profiter de l’intégration pacifique de la Bretagne pour poser officiellement la question du statut de l’histoire dans les structures de l’enseignement. Que le Conseil régional et son président Jean-Yves Le Drian, que les députés soient interpellés ! C’est un vrai débat à mener.

Quel accueil a reçu “Histoire de la Bretagne et des Bretons" ?

Le livre marche bien. Mon éditeur m’a appris qu’il était épuisé pratiquement partout. Mi-décembre, plus de 10 000 exemplaires avaient été vendus. Ce livre correspondait sans doute à un besoin. Auparavant, soit vous tombiez sur une histoire de Bretagne en quinze volumes, soit sur des plaquettes pour touristes. Il y avait bien sûr des textes sur l’histoire de la Bretagne, mais très peu de synthèses. J’espère que mon livre apportera une modeste contribution en la matière.

À un moment dans votre livre, vous écrivez que pour vous l’expatriation a été la source paradoxale de la découverte de votre bretonnité ?

Absolument. Ceux qui sont loin de la Bretagne expriment peut-être davantage ce besoin d’identité – et c’est le paradoxe – que ceux qui se trouvent en terre bretonne.

Ronan Le Flécher

Pour lire l'entretien complet : (voir le site)

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Ronan LE FLÉCHER est consultant en stratégie de communication et d'influence, fondateur des Dîners Celtiques, blogueur sur Twitter et Blog Breizh.
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