En un seul livre, on peut comprendre, à la fois, combien il est triste que la France soit dotée d'une capitale prédatrice des finances du pays pour des résultats médiocres et d'une élite politico-journalistique, mafieuse et corruptrice, mais qui se présente comme cuirassée de bons sentiments à l'égard du peuple, alors que les plus « progressistes » de ses membres encaissent des millions de dividendes en se faisant passer pour des salariés désintéressés.
C'est le Breton Jean Picollec, un éditeur souvent audacieux et libre dans ses choix, qui a accepté d'éditer un ouvrage dont la première édition a été épuisée, malgré le boycott sans failles de la «grande presse ». La presse régionale ne participe pas aux pantalonnades des dirigeants de presse parisiens, mais en partage les subventions et le conformisme subséquent.
Cette deuxième édition s'enrichit des autres scandaleux cadeaux payés par les contribuables sous Hollande qui prolonge ainsi Sarkozy, qui lors des États-Généraux de la Presse en octobre 2008, avait déjà pu être qualifié de Père Noël en faisant monter à des milliards d'euros les aides de journaux qu'il s'agissait, presque ouvertement, d'acheter. Aurélie Filipetti, ex-ministre socialiste de la Communication, croit le justifier en décrétant « le rôle citoyen » de la presse. Partout ailleurs, on appellerait cela de la corruption (donner de l'argent pour obtenir des faveurs). Mais, la France est exceptionnelle : ses journalistes n'ont pas la basse idée de la reconnaissance du ventre. Coucher avec les représentants du pouvoir n'est que la modeste concession qu'ils lui font. Voir p. 251, une liste indicative de couples politiques + journalistes.
Le sérieux de l'enquête de Benoît Dormann, ancien journaliste économique et consultant en gestion des risques, se voit à l'abondance des références (191 pour les 60 pages du 2ème chapitre !). Le constat est accablant pour les pseudo-progressistes comme Denis Olivennes, Mathieu Pigasse, Pierre Bergé, Louis Dreyfus, Audrey Pulvar, Anne Sinclair, Claude Perdriel, Laurent Joffrin, Edwy Plénel, Arnaud Montebourg et autres Club de réflexion social-démocrate Terra Nova.
Les quatre premiers, avec leur compère « éloigné de la politique », Xavier Niel (propriétaire de Free), le seul multi-milliardaire de la bande, ont réussi à flouer les journalistes, qu'ils soient du Monde, de Libération ou du Nouvel Observateur et des Inrockuptibles en se faisant passer pour les chevaliers blancs de l'indépendance de la presse, soi-disant prêts à se sacrifier pour leur éviter de tomber dans la gueule de « grands groupes étrangers ».
A l'arrivée, confusion entre actionnaires et rédaction, dégraissages massifs en commençant par ce qui est le moins voyant, les pigistes, mais, toujours pas de solution pour abaisser les coûts d'impression et de distribution qui plombent la rentabilité des quotidiens et des hebdomadaires imprimés, dont certains croient voir la disparition totale dans moins de 25 ans.
Ce n'est qu'en qu'en 2012 que les subventions gigantesques de l'État à la presse imprimée et en ligne ont été révélées grâce à la Cour des Comptes et l'Agence Bretagne Presse a publié plusieurs articles pour les mettre au jour ( voir notre article ).
Cependant, cela ne concerne que les aides directes et il manque les aides indirectes tout aussi énormes et Benjamin Dormann nous révèle qu'on atteint maintenant la somme exorbitante de 4,2 milliards d'euros (tableaux p. 401 et 402). Le pire est que la glissade de la presse généraliste parisienne et régionale continue : les lecteurs désertent ce qu'ils soupçonnent être les faux-nez de leurs gouvernants. On n'enquête pas ou peu, on prend pour argent comptant les rapports ministériels et, pire, on invente des pseudo-oppositions de personnes, traités en épisodes faussement dramatiques.
Ce qui est fascinant, c'est que Nicolas Sarkozy a accepté, espérant un retour d'ascenseur, de faire des cadeaux à des dirigeants d'entreprises, le plus souvent diplômés de l'ENA, qu'il savait liés à Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et même plus anciennement, à Michel Rocard. Les plus riches, Mathieu Pigasse, Pierre Bergé et Xavier Niel, ont perdu, volontairement, quelques dizaines de millions pour gagner en notoriété et en influence. Quant à Denis Olivennes, l'inspirateur de la loi Hadopi, -un autre loupé-, il a saisi, après avoir « sauvé » le Nouvel Observateur, la première occasion pour se faire rémunérer par Lagardère, dont le lien avec l'État est plus solide (armements).
L'auteur mentionne peu Le Figaro (128 millions de pertes en 8 ans, mais, soutien de Dassault, serviteur de l'État) et les hebdos de droite qui reçoivent aussi des subventions, mais tendent la sébile de manière moins voyante.
La place manque pour rendre compte des remarques de l'auteur sur la presse en ligne « pure player », mais, elle aussi est arrosée (sauf Arrêt sur image) et l'Agence Bretagne Presse), et ne manque pas liaisons avec le pouvoir : l'avocat de Mediapart est l'ami et l'espion de Hollande auquel il a rendu compte de l'enquête sur Cahuzac, tandis qu'Anne Sinclair, très liée à l'establishment socialiste, est directrice éditoriale d'un Huffington Post France, passé du Monde à AOL. En s'attribuant illégalement, avec la complicité de Bercy, un taux de TVA super-réduit, la presse en ligne « pure player » reste très déficitaire et risque de faire condamner la France à une amende salée (remboursement du différentiel).
Benjamin Dormann s'attarde sur les réseaux d'influence parisiens et étrangers dans lesquels se croisent tous les personnages cités. Le plus voyant est le groupe des «Young Leaders », sélectionnés par la French-American Foundation. Dans la liste des hommes politiques, les membres du Parti socialiste dominent (12 sur 21) grâce à la fournée 2011-2012, dont les noms les plus en vue sont Emmanuel Macron et Fleur Pellerin, mais François Hollande (en 1996), Arnaud Montebourg (en 2000) et Najat Vallaud-Belkacem (en 2006) avaient été repérés. On y trouve le gratin de la presse parisienne (la presse régionale est méprisée, car, sans influence) : Christine Ockrent, Annick Cojean, Audrey Pulvar, Emmanuel Chain, Jean-Marie Colombani, Louis Dreyfus, Bernard Guetta, Laurent Joffrin, Yves de Kerdrel, Denis Olivennes, etc. Mathieu Pigasse, banquier d'affaires a été repéré dès 2005. Plus important encore est le Club du Siècle où tous les hommes de presse et les journalistes importants ont leur couvert pour cultiver l'entre-soi et le communautarisme des élites politiques et économiques.
Dans un long sous-chapitre, l'auteur regrette le manque de curiosité de la presse vis-à-vis du Cercle Bilderberg, qui organise des réunions privées pour les grands de la planète, auxquelles certains individus cités plus haut ont pu assister et dont ils ont respecté la confidentialité, parfois renforcée par des voies de fait sur des journalistes trop curieux.
Le dernier thème traité est la façon dont le club de réflexion Terra Nova obtient des commentaires bienveillants et respectueux par des journalistes volontiers fascinés par les sondages orientés et les talents de prestidigitateur d'Arnaud Montebourg.
« En deux mots, la presse de gauche s'est vendue. Au pouvoir étatique, d'une part, et à des financiers politisés, et, finalement, aux mêmes dans la durée ».
« La presse généraliste a fait le choix de distraire de plus en plus les lecteurs à coup de pipolisation, au lieu d'enquêter et d'informer comme elle le devrait ».
« Même naïf et sans diplôme, le citoyen lambda sent bien la vérité cachée en coulisse de la comédie qu'on lui joue ».
« Ce cinquième pouvoir, celui des réseaux, est, aujourd'hui, devenu le plus fort, la presse, quatrième pouvoir, pourtant indispensable à toute démocratie, s'éteignant chaque jour davantage … à son profit ».
« Les aides financières diverses atteignent, en France, 15% des recettes de la presse, et même 26%, en intégrant… l'avantage fiscal de TVA. En Europe, le chiffre est autour de 2% » .
« (La presse) est … intégrée aux systèmes des élites qu'elle était censée surveiller pour le compte des citoyens. D'où le résultat connu : désaffection du lectorat, baisse de confiance, chute des ventes et des abonnements ».
Citation de Pierre Chappaz (Wikio) : « Gavée d'argent public, la presse française est une des plus faibles du monde occidental avec ses tirages squelettiques : convaincue d'être toujours sauvée par l'État, (elle) ne se remet pas en cause, n'évolue pas ou peu, rate le virage Internet ».
Citation de Xavier Niel : « Quand les journalistes m'emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ils me foutent la paix».
Citation d'Ezra Suleiman : « La France est l'une des rares sociétés où l'appartenance à l'élite.. devient permanente… La France pensait avoir remplacé l'aristocratie par la méritocratie…, elle est devenue une aristocratie diplomaniaque… ».
Le site de l'hebdomadaire Le Point est quasiment le seul à rendre compte de la condamnation en correctionnelle en juin dernier du PCF, de la CGT et d'une brochette d'élus syndicaux à de lourdes amendes :
http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-nouailhac/nouailhac-la-cgt-d-edf-lourdement-condamnee-21-10-2014-1874245_2428.php
Rien n'a été imprimé, de peur que les ouvriers des imprimeries de presse ne bloquent les journaux qui ne feraient que de rendre compte des frasques de leur syndicat favori.
Christian Rogel
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