Notre soi-disante "presse régionale" tient ses distances par rapport à certains sujets bretons. Dès fois que ça dérangerait à Paris. You do not bite the hand of the master that feeds you disent les anglo-saxons. Avez vous déjà vu dans Ouest-France une enquête sur l'indépendantisme ou l'autonomisme en Bretagne ? Bien sûr que non. Vous ne la verrez jamais. Quant au Télégramme, sa dernière enquête sur le sujet remonte au 17 Septembre 2000 (sondage Le Télégramme - Presse Océan - CSA) . Une enquête complète sur le sentiment d'indépendance, la réunification, l'enseignement de la langue. Depuis c'est le silence radio. On comprend que M. Hubert Coudurier, directeur de la publication, ait avoué candidement en 2010. Il y a des sujets tabous que l'on ne peut aborder. On a bien compris qui dictait la ligne éditoriale des ces deux publications et pourquoi leur Bretagne-croupion est la région administrative uniquement alors que leur propre sondage donnait 70% de Bretons favorables à la réunification.
Il y a 12 ans, on apprenait donc que 30% des Bretons de la Bretagne historique étaient favorables à l'indépendance, 69% étaient contre, et 1% seulement sans opinion (voir le site) . Pendant 12 ans il y eu aucun sondage sur l'independantisme en Bretagne. Heuresement, dans son édition de Février, le mensuel BRETONS publie un nouveau sondage donnant cette fois 18% de Bretons favorables à l'indépendance.
Suite à un article de Gilles Martin-Chauffier paru dans cet hebdomadaire, déclarant qu'il faut "dénationaliser les régions", notre confrère savoyard, La Voix des Allobroges, a publié une interview du Rédacteur en Chef dont nous avons obtenu la permission de reproduire. Gilles-Martin Chauffier, avec toute la candeur décomplexée qu'on lui connait s'y déclare "indépendantiste".
Gilles Martin-Chauffier, pourquoi avez-vous écrit cet édito ?
[G-M CH]Je voulais parler du livre que vient de publier l'excellent journal Bretons. Il rassemble de très bonnes interviews de Bretons remarquables par leur travail, qu'il s'agisse de l'ancien PDG de TF1 Patrick Le Lay ou d'une sardinière, du Grolandais Gustave Kervern ou de François Pinault. Quand on le lit, on s'aperçoit que tous ces gens ont eu une passion pour la Bretagne qui est un élément essentiel de leur vie. C'est aussi mon cas, et comme cela fait des années que je pense que la Bretagne va redevenir indépendante, j'ai saisi cette occasion pour présenter ce beau livre comme un cadeau à offrir pour noël en abordant la question de l'émancipation des régions.
Et comment a été accueilli un tel papier à Paris-Match ?
[G-M CH] Très bien, mais il faut dire qu'il y a un lobby breton puissant dans ce journal. Paris Match est comme un dolmen dans le paysage médiatique français ! Et puis il n'y a aucune censure, la France n'est pas la Syrie. C'est quand même un bon pays. J'espère qu'on le quittera, mais j'aurais aussi des regrets à ce moment-là.
Vous êtes indépendantiste ?
[G-M CH] Oui, de coeur. Et j'estime que la Bretagne a toutes les armes pour redevenir indépendante. Au XVème siècle, elle était aussi riche que le Portugal et plus que l'Ecosse. Elle a une longue histoire et a compté comme un Etat pendant 600 ans, avec un budget supérieur à celui de la République de Venise. Une fois devenue française, on l'appelait le Pérou du Royaume. Ce sont les guerres anti-anglais de Louis XIV à Napoléon qui l'ont ruinée.
On n'apprend pas ça dans l'éducation prodiguée par l'Etat-nation...
[G-M CH] Ce qui est gênant dans l'Etat-nation, c'est qu'il est fondé sur le mensonge. Vous qui êtes Savoyard, à l'école, on va vous apprendre la guerre de 100 ans. Mais en quoi êtes-vous concerné ? Vous n'y avez pas participé un seul jour. Les Bordelais, eux, étaient dans le camp anglais, comme les Rouennais. Et en Bretagne, on a connu une grande prospérité à ce moment-là, car on vendait des armes aux deux camps. Sauf que ça, on ne nous le dit pas. On apprend en revanche que Charlemagne était notre empereur, alors qu'il était l'ennemi juré de la Bretagne. En fait, l'histoire de France en tant que telle n'existe pas. Du moins, elle commence en 1789, et tout ce qu'il y a avant est une fabrication politique. Une histoire qui n'est donc pas défendable. Et bien que les Bretons ne s'en rendent pas compte, leur passé a été totalement effacé. C'est pour ça que j'ai écrit Le Roman de la Bretagne, un livre qui revient sur une quinzaine de moments clés. Maintenant, je crois qu'après avoir intégrée la France sans se battre, la Bretagne la quittera de la même façon. Le combat sera fait par d'autres.
Pensez-vous à ce qui se passe actuellement en Catalogne ou en Ecosse ?
[G-M CH] Oui, mais je crois surtout que l'Europe va être complètement redessinée d'ici à une cinquantaine d'années. Les frontières ne seront pas du tout celles que l'on a aujourd'hui. Et l'avantage de la Bretagne, c'est qu'elle bénéficie d'une géographie qui est l'oeil de l'Histoire. Quand on regarde une carte, on voit bien que la Bretagne n'est pas en France. Partout dans le monde, on sait où elle se trouve. La Bretagne a une forte personnalité, donc elle s'intégrera tout naturellement dans une Europe des régions.
En France, presque personne ne défend politiquement cette idée d'Europe des régions. Lors de la dernière présidentielle, il y avait certes Eva Joly qui avait pris position pour des régions autonomes, mais personne ne l'a relevé et elle-même ne l'a guère revendiqué.
[G-M CH] Il y a quand même des gens qui revendiquent ce projet en Bretagne, au Pays Basque, en Corse, en Alsace ou en Savoie. Quant à Eva Joly, elle était pathétique, odieuse, juste bonne à lancer des oukases, donc c'est normal qu'elle n'ait pas été écoutée. Je suis membre de Greenpeace depuis quinze ans, mais il était hors de question que je vote pour elle. Après, je ne crois pas que l'indépendance reviendra par le fait d'activistes, mais plutôt de facto. Car tout va se passer à Bruxelles. L'an 2000, c'est un peu comme l'an 1000 où des seigneurs puissants, les ducs de Bretagne, d'Aquitaine ou de Provence se sont réunis en disant qu'ils avaient besoin d'un arbitre. Ils ont donc pris un chef symbolique, le comte de Paris. C'était le moins puissant d'entre eux et ils ont pensé qu'ils pourraient le contrôler, mais finalement ils se sont tous fait éliminer. Bruxelles, c'est pareil. D'ici à cinquante ans, Paris et Berlin seront devenues l'équivalent de préfectures. Autant il est difficile pour Bruxelles d'avoir face à soi des Etats puissants, autant il sera simple de donner des consignes à des régions. Bruxelles va donc pousser à cette régionalisation de l'Europe et la Bretagne retrouvera ainsi son indépendance.
Ce que vous dites renvoie à l'argumentation développée par Pierre Hillard qui voit cela comme un cauchemar programmé. Selon lui, le but des instances européennes est d'affaiblir les Etats et même de les éliminer en les remplaçant par des régions. Un plan plus ou moins secret, une sorte de complot contre les nations qui se révèlerait petit à petit à travers des textes comme la charte des langues régionales, par exemple.
[G-M CH] Ce n'est pas un plan secret, mais un plan naturel et logique. Quand on a le pouvoir, on veut l'exercer efficacement. Cette évolution est écrite dans l'Histoire. D'ailleurs, la plupart des lois votées à Paris proviennent déjà de textes européens. Cela ne relève pas d'un complot mais du sens de l'Histoire. Et puis imaginez que Bruxelles veuille travailler sur un aménagement des Alpes. Les intérêts des populations concernées, comme les Savoyards, seraient-ils mieux défendus par des Français que par une association alpine qui délèguerait des responsables ? Non, et Bruxelles n'a pas intérêt à passer par les capitales mais par les régions. La Corse, la Sicile ou les Baléares ont aussi des intérêts communs qui n'ont pas à être défendus par des jacobins. Et comme ce qui est logique finit toujours par l'emporter, cela arrivera.
Cette émergence des régions pourrait-elle résulter de la faillite d'Etats submergés par la dette ?
[G-M CH] Les jacobins disent plutôt que l'indépendance des régions est impossible car ce ne serait pas viable, qu'on n'aura plus l'électricité si on quittait la France. Mais tout s'est bien passé quand la Tchécoslovaquie s'est séparée en deux ou quand les pays baltes ont pris leur indépendance. Les gens vivent très bien depuis.
Mais n'est-ce pas finalement la faillite de nations comme la France, l'Espagne ou l'Italie qui pourrait conduire ces pays à laisser la place à des régions qui retrouveraient leur indépendance ? Sans avoir à forcément assumer de dette.
[G-M CH] Je ne sais pas, car là, ça devient très technique. C'est peut-être possible vu qu'on a déjà réussi à baisser la dette grecque d'un tiers, mais je ne crois pas que l'indépendance soit aujourd'hui freinée pour des raisons économiques. Ça relève davantage d'une absence de mobilisation politique. En Bretagne, les velléités indépendantistes qui s'étaient manifestées dans les années 1930 ont été tuées dans l'oeuf du fait d'une alliance avec Hitler. Résultat, on a perdu cinquante ans, mais la mobilisation pour l'indépendance va revenir.
Qu'est-ce qui pourrait la susciter ?
[G-M CH] Que les gens prennent conscience. L'histoire prend du temps, mais dans les coeurs, c'est déjà là, et il suffira qu'un personnage charismatique se lève pour entraîner les autres.
Propos recueillis par Brice Perrier pour La Voix des Allobroges (voir le site)
Philippe Argouarch