Georges Barazer de Lannurien, le Breton qui prit part au Soulèvement National Slovaque, il y a soixante ans.
On vient de célébrer successivement le 60e anniversaire du débarquement des Alliés en Normandie, du débarquement de Provence et de la libération de nombreuses villes françaises, dont Paris, à l’été 1944. On a aussi commémoré récemment le soulèvement de Varsovie qui fut écrasé dans le sang par les Allemands. Il convient de se souvenir en cette fin du mois d’août d’un soulèvement trop méconnu en France qui se produisit à partir de 29 août 1944 au coeur des territoires encore contrôlé par l’Allemagne hitlérienne, pratiquement sans aide des Alliés, et qui permit pendant plusieurs semaines la libération d’un territoire grand comme deux départements français. Ce soulèvement qui fut écrasé dans le sang au bout de quelques semaines, obligea l’état-major allemand à engager 45 000 hommes et plus de 600 pièces d’artillerie, qui manquèrent de ce fait sur le front de l’est, face à l’Armée Rouge. Le soulèvement national slovaque mérite d’autant plus d’être mieux connu en Bretagne que 250 maquisards français commandés par un Breton, Georges Barazer de Lannurien, y participèrent et que les Slovaques ne l’ont pas oublié.
À la veille de la Seconde guerre mondiale, à la suite des accords de Munich (septembre 1938), la Tchécoslovaquie, État créé en 1918, fut dépecée et démantelée : une grande partie du territoire tchèque, notamment les Sudètes, en grande partie peuplé de germanophones, fut rattachée au Reich tandis que la Slovaquie proclamait son “indépendance” le 14 mars 1939. À la déclaration de guerre, au début de septembre 1939, le gouvernement slovaque dirigé par Joseph Tiso, largement à la botte de l’Allemagne nazie, avait à son tour déclaré la guerre à la Pologne, à l’Angleterre et à la France. Comme en France sous le régime de Vichy au début, une grande partie de la population slovaque accepta passivement cette situation qui lui permettait de se dégager de la tutelle tchèque, d’éviter une occupation par l’armée allemande ou une annexion par la Hongrie et qui assurait même certains avantages économiques, au moins durant les deux premières années du conflit mondial.
Mais la situation commença à changer avec l’attaque de l’URSS le 21 juin 1941. Complètement soumise à l’Allemagne sur le plan de sa politique extérieure, la Slovaquie fut obligée d’envoyer plusieurs divisions combattre sur le front de l’Est. Une certaine solidarité slave fit évoluer l’opinion peu à peu en 1942-1943 tandis que s’écroulait le mythe de l’invincibilité allemande (la nouvelle de la chute de Stalingrad le 2 février 1943 y contribua), le régime de Tiso fut de plus en plus isolé par rapport à la population et la résistance intérieure devint de plus en plus active, malgré de nombreuses arrestations. Un mouvement de partisans commença à s’organiser dans diverses régions montagneuses du pays. Les résistants patriotes et communistes se retrouvèrent au sein d’un conseil national slovaque et commencèrent à créer dans les diverses régions du pays un réseau de comités clandestins, en liaison avec le gouvernement tchécoslovaque réfugié à Londres depuis 1940. La résistance slovaque bénéficia de l’envoi de quelques instructeurs venus d’URSS qui furent parachutés dans les montagnes. Il n’y avait pas eu jusque là de troupes allemandes stationnées en Slovaquie et le gouvernement fantoche de Joseph Tiso se révélait incapable de contrôler la situation. Le mouvement prit bientôt une telle ampleur qu’il commença à devenir dangereux pour le Reich. Trois grandes villes, Cracovie, Budapest et Vienne, se trouvent à moins de 100 km chacune de la frontière slovaque et les communications entre la Pologne et la Hongrie se trouvaient réellement menacées. Le haut commandement allemand décida le 28 août d’intervenir et, avec l’accord du gouvernement (de plus en plus fantoche) de Joseph Tiso, il résolut d’envoyer des troupes dans le pays y rétablir l’ordre.
Le soulèvement national slovaque éclata le 29 août 1944. Le 30 août 1944, la station de radio “Slovaquie libre” s’adressa à la nation et appela le peuple à résister aux Allemands qui pénétraient dans le pays. En quelques jours, une armée forte de quelque 50 000 hommes, composée de nombreux éléments de la police et de l’armée slovaques, mais aussi renforcée par près de 15.000 partisans, dont des combattants de 24 nationalités différentes, parmi lesquels de nombreux déserteurs hongrois et des prisonniers de guerre français évadés commandés par un Breton de Saint-Malo, se forma et libéra une très grande partie du pays. Toute la partie centrale autour de Banska Bystrica, soit une superficie équivalent à deux départements français, échappa au gouvernement de Bratislava et passa sous l’autorité de la résistance en septembre 1944. Ce soulèvement, imposé par l’invasion militaire allemande, était cependant très prématuré, l’Armée Rouge était encore à plus de 200 km de la Slovaquie et se heurtait à une furieuse résistance allemande, la stratégie de ses généraux était d’ailleurs d’avancer au nord vers Varsovie et Berlin et au sud vers Budapest et Vienne et elle n’avait pas prévu d’agir en Tchécoslovaquie. Une brigage tchécoslovaque formée et entraînée en URSS fut cependant parachutés en centre Slovaquie à la fin de septembre.
Le général SS Berger obtint des renforts provenant de sept divisions, soit près de 45 000 hommes et entreprit d’écraser le soulèvement slovaque. Après de violentes combats de chars et des attaques de l’aviation, l’armée allemande réussit à s’emparer d’Handlova, Turcianske, Martin et Telgart, puis, après un court répit, fin septembre, sur l’ordre personnel de Himmler, l’offensive allemande reprit avec l’appui d’autres formations SS envoyées en renfort. La situation des insurgés ne tarda pas à devenir intenable. À la fin octobre, le général Viest qui commandait l’insurrection, donna l’ordre à toutes les unités slovaques de se disperser, de passer dans la clandestinité ou de chercher à rejoindre l’armée soviétique.
En obligeant les Allemands à engager en Slovaquie près de 18 divisions au total, le soulèvement slovaque contribua clairement à affaiblir la capacité militaire allemande sur le front de l’est et apporta une aide non négligeable à l’avancée de l’Armée Rouge. C’est pourquoi, alors que la Slovaquie aurait pu être traitée très durement après la fin de la guerre en tant que pays allié et complice de l’Allemagne nazie, ce soulèvement national largement spontané qui rendit son honneur de la nation slovaque, lui valut une grande indulgence de la part des puissances alliées lors du règlement de la situation politique.
Une nouvelle insurrection spontanée allait se produire en Slovaquie le 1er mai 1945 et libérer la plus grande partie du pays avant même l’arrivée de l’Armée Rouge quelques jours plus tard...
La ville de Banska Bystrica où un grand musée est consacré au Soulèvement National Slovaque va être au centre des célébrations à la fin de la semaine. Ce 60e anniversaire sera l’occasion d’évoquer aussi le rôle des 250 maquisards français qui prirent part au Soulèvement National Slovaque et dont un impressionnant monument à Strecno, entre Zilina et Martin, au nord-ouest du pays, rappelle le sacrifice. Ces maquisards étaient commandés par un Breton, Georges Barazer de Lannurien (Saint-Servan, 1915 - Roscoff, 1988), fils d’un général, lui-même saint-cyrien et officier de cavalerie, qui fut fait prisonnier en 1940, mais réussit s’évader de son camp en Silésie et à gagner les montagnes slovaques. Il regroupa et entraîna d’autres évadés français des camps de prisonnier allemands et son unité de partisans joua un rôle important dans les Carpathes aux côtés des partisans slovaques. Georges Barazer de Lannurien devait être cité à l’ordre de l’armée par le général de Gaulle. Une stèle à Roscoff et une plaque commémorative à Saint-Malo rappellent le souvenir de ce Breton audacieux et courageux.
Bernard LE NAIL
Philippe Argouarch