21h00, les voitures se pressent de se garer près du dolmen de Kergullic, 200 personnes s'installent dans le petit vent frais du soir, à cent mètres de la mer où le Fort Bloqué (Ploemeur) est entouré de rochers peu à peu recouverts par l'océan. Les deux femmes s'avancent sur la scène qui a été installée à deux pas des petits menhirs (un alignement de Carnac en réduction, ils font à peine un mètre de haut) et commencent.
La veillée va durer une heure et demie, et les contes vont se succéder, des contes courts, de sagesse (la pomme est blanche ? ben oui, puisque grand-mère dit qu'il faut regarder les choses de l'intérieur - c'est la troisième fois qu'il va enfin trouver la femme qui l'aime ? Ben oui, puisque c'est elle qui portera la pierre avec lui ...). Des contes contemporains portés par Elisabeth Troestler qui se moque des vieux contes poussiéreux et invente une pauvre princesse obligée de porter 50 robes pour affronter le dragon, punition infligée par la fée des contes car ses parents n'ont eu qu'un enfant, ce qui ne peut être accepté. Elle nous emmène aussi chez un poissonnier de Lorient dont le fils veut courir les mers, chez une petite fille qui s'invente un copain des sables ...
Contes traditionnels qui prennent en compte le vent, la nuit, les premières étoiles avec Fiona qui n'hésite pas à nous emmener avec elle en voyage, au pays des phoques qui se métamorphosent en dames grises pour sauver trois enfants de la noyade, au pays de la fille caillou qui va retrouver la seule personne qui l'a aimée ...
Frissons dans l'assemblée. Et ce n'est pas seulement à cause de la brise d'été. Fiona touche à l'essentiel, à ce pourquoi nous sommes sur la terre, à la fragilité de l'être que le conte soigne, que la parole aide à tenir debout.
Elle habite au Cap Sizun, retourne régulièrement en Ecosse où là-bas le conte a un véritable statut : on y rencontre des enfants conteurs, des gens du voyage musiciens et fabuleux diseurs de merveilles. A Edinburgh on a construit une maison des contes avec un jardin et une salle qui donne sur ce jardin pour que les arbres éclairés rappellent derrière le conteur, que nous sommes qu'une toute petite partie de ce monde vivant.
Elle forme inlassablement des passeurs, des enseignants, des soignants, elle initie aussi au conte bilingue français-anglais, elle a plein de projets dans les poches, et elle recherche avant tout ce quelle appelle “l'horizontalité” en opposition à la “verticalité” de mise aujourd'hui dans tous nos spectacles français et trop souvent bretons : on invite une star qu'on paie très cher et on ferme la bouche à tous ceux qui pourraient l'ouvrir ...
Elle voudrait que la Bretagne qui n'avait jamais cessé d'être une terre de partage, comme l'Ecosse ou l'Irlande le redevienne. Les conteurs devraient avoir plus de place dans notre société, et pourquoi ne pas rêver, nous aussi, à une maison des contes, à des enfants conteurs, à des rendez-vous où les conteurs amateurs se mélangeraient aux professionnels et vivraient de véritables veillées écossaises avec chant, musique, contes et poésie ? ...