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- Communiqué de presse -
Face au projet de loi, défendons la culture populaire
En tant qu'acteurs de l'éducation populaire et défenseurs de la liberté d'expression et de la création culturelle, représentants de dizaines de milliers de bénévoles sur le terrain, nous souhaitons vous faire part de notre très grande préoccupation après avoir analysé un avant-projet de loi qui risque de remettre en cause, non seulement la liberté de la création et de l'expression culturelle populaire, mais aussi de nombreuses manifestations à travers tout le pays.
Par Patrick Malrieu pour Conseil Culturel de Bretagne le 20/05/08 12:20

En tant qu'acteurs de l'éducation populaire et défenseurs de la liberté d'expression et de la création culturelle, représentants de dizaines de milliers de bénévoles sur le terrain, nous souhaitons vous faire part de notre très grande préoccupation après avoir analysé un avant-projet de loi qui risque de remettre en cause non seulement la liberté de la création et de l'expression culturelle populaire, mais aussi de nombreuses manifestations à travers tout le pays.


La DMDTS (Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles) constate que le texte qui régit «les pratiques amateurs », « afin de ne pas porter préjudice aux entreprises de spectacle professionnel », le décret du 19 décembre 1953 du ministère de l'Éducation nationale est obsolète. Pourtant, aujourd'hui, véritables professionnels et véritables amateurs bénévoles exercent leurs activités de façon absolument complémentaire pour permettre aux uns de vivre de leur art et aux autres de participer à une activité sociale et culturelle essentielle pour notre société, dans un contexte souvent difficile.

Or, le projet élaboré par la DMDTS met gravement en cause à la fois la liberté de la pratique amateur, l'existence de véritables pratiques socio-culturelles et en fin de compte l'existence même de nombreux professionnels.

Ainsi, la DMDTS a élaboré un avant-projet de loi qui, selon l'exposé des motifs, devrait répondre « à deux objectifs :
Ø la reconnaissance et le développement de la pratique amateur dans notre pays d'une part,
Ø la nécessité d'un cadre juridique clair qui évite des pratiques déloyales à l'égard du secteur professionnel d'autre part ».

Mais, contrairement à ce qui est mis en avant, on ne voit pas en quoi ce projet permettrait une meilleure reconnaissance de la pratique amateur, alors que son objectif unique est de protéger le secteur professionnel.

Selon ce texte, les activités du spectacle amateur seraient régies a priori par le droit du travail et en particulier l'article L.324-11 du code du travail qui définit la notion de « lucrativité ». Le véritable amateur bénévole n'existerait plus que par défaut.

En effet, l'article 2 du projet prévoit que : « lorsqu'un amateur ou un groupement d'amateurs participe à un spectacle organisé au sens de l'article L.324-11 du code du travail, leur prestation fait l'objet de contrats de travail et leur participation à ces spectacles relève des règles du code du travail ».

Or en fonction de l'article L.324-11 du code du travail toute activité est présumée accomplie à titre lucratif si l'une ou l'autre de ces conditions est réalisée :

  • soit « lorsque leur réalisation a lieu avec recours à la publicité sous une forme quelconque en vue de la recherche de clientèle »,
  • soit « lorsque leur fréquence est établie »,
  • soit « lorsque leur importance est établie »,
  • soit lorsqu'il est fait usage de matériel ou d'outillage à « caractère professionnel ».
Mais cette dernière disposition ne concerne que les activités artisanales. Ainsi, le cadre non lucratif (cadre par défaut) dans lequel pourront se produire les amateurs de façon bénévole devient extrêmement limité et même dévalorisant :
  • absence d'entreprise de publicité spécialisée,
  • nombre limité de représentations (à préciser par décret),
  • obligation de porter la mention « participation d'amateurs » sur les supports d'information.

Dans les faits, on voit bien que la participation des nombreux amateurs bénévoles qui pratiquent leur activité artistique avec talent dans de très nombreuses fêtes, festivals, spectacles et manifestations diverses deviendrait totalement impossible, sauf à encourir le délit de travail dissimulé, tant pour les organisateurs que les responsables associatifs (3 ans de prison, 45 000 € d'amende).

Ce projet nous apparaît au mieux irréaliste, mais au pire liberticide, et contraire à toute vision de la place essentielle qu'occupent les activités artistiques et culturelles dans la société.


Différents arguments essentiels sont à souligner


1) Une remise en cause de biens collectifs immatériels et une atteinte à la liberté des pratiques culturelles :

Les manifestations diverses, fêtes, festivals, festoù noz où se produisent de nombreux jeunes et moins jeunes, de façon bénévole, sont des pratiques culturelles essentielles pour la vie en société. La possibilité pour les amateurs de se produire à tout niveau de façon bénévole est inhérente à la culture populaire. Cette vie culturelle est un bien collectif immatériel qui se trouve remis en cause. On ne peut que rappeler, avec les fédérations de la COFAC (Coordination des Fédérations et Associations de Culture) et de l'UFISC (Union Fédérale d'Intervention des Structures Culturelles) que « la pratique amateur est un droit fondamental de la personne humaine et une liberté d'expression du citoyen ». Ce droit est affirmé par l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté ». Ce droit est supérieur à tout intérêt particulier. L'Agenda 21 de la culture, en accord avec les conventions internationales et la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, affirme que « La liberté culturelle des individus et des groupes est une condition essentielle de la démocratie ». Or beaucoup de grands festivals populaires, ou même certaines productions — nous avons tous en tête tel ou tel festival, qui vit, non de subventions mirobolantes, mais d'abord de l'affluence d'un très large public — auxquels participent des milliers d'intervenants amateurs bénévoles — n'existeront plus si ces derniers doivent être rémunérés comme des professionnels : salaires et contraintes administratives ? feuilles de paie, contrats de travail ? ... À moins de solliciter et d'obtenir une démultiplication des subvnetions publiques.


2) Une remise en cause des politiques d'intégration, de lien social et d'encadrement des jeunes :

Interdits de se produire, les groupes d'amateurs, c'est-à-dire les associations, perdraient une bonne partie de leur raison d'être qui est souvent la participation à ces grands rassemblements culturels et conviviaux. Mais d'autre part, elles perdraient les indemnités qui servent à rembourser leurs frais de fonctionnement, de confection de costumes, d'achat d'instruments, de formation... Les collectivités locales et l'État vont-ils compenser tous les frais liés à ces activités ? Ce sont des milliers d'encadrants bénévoles et avec eux, de nombreux cadres et formateurs salariés recrutés au cours de ces dernières années qui verraient leur rôle social et leur activité remis en cause. C'est la négation même des fondements de l'éducation populaire, basée sur le mouvement associatif. Les associations permettent à des jeunes la plupart du temps de familles d'origine modeste de pratiquer une activité culturelle. Des dizaines de milliers de jeunes, encadrés par des bénévoles mais aussi des professionnels se retrouveront à la rue.

Pour le secteur « musique, chant et danse de Bretagne » on verra, à travers la disparition des bagadoù, cercles celtiques, chorales, associations culturelles diverses et fêtes associées, la vie culturelle et économique de 400 à 500 associations s'écrouler. De 40 à 50 000 personnes seront touchées dans leur activité artistique régulière. Sans parler des centaines de milliers de personnes qui perdront un moment festif ponctuel, fest noz, fête, festival, animation, concert etc, ni des retombées économiques en lien avec toutes ces activités.


3) Une remise en cause d'activités économiques et une atteinte à l'image de régions entières et à l'activité touristique :

En outre, la remise en cause de ces manifestations culturelles, due aux coûts qui ne pourraient être pris en charge, engendrés par la rémunération de centaines ou même de milliers d'amateurs, entraînerait également la perte de milliers d'emplois induits par ces manifestations : non seulement les techniciens du spectacle, intermittents ou non, les artistes professionnels qui obtiennent leurs cachets grâce à ces festivals, les professionnels de la formation, de la lutherie, de la confection, mais aussi des activités de l'hôtellerie, de la restauration, de l'alimentation, des transports, des services.

Pour nombre de régions, ces activités culturelles populaires font partie de leur identité et de leur image. Que serait la Bretagne, sans ses festivals, sans ses nuits festives, mêlant professionnels et véritables amateurs bénévolesmais souvent de grande qualité, qui y participent pour le plaisir de pratiquer leur art en commun et de le partager avec les autres ? Outre la perte d'une identité et de pratiques culturelles populaires, l'activité touristique de la Bretagne serait gravement atteinte par la disparition de ce qui constitue plus qu'u pan de sa vie culturelle et sociale.


4) Amateurs et professionnels ne s'opposent pas : les professionnels seraient les premières victimes :

Avant même les amateurs, les premiers à pâtir de la disparition ou de la profonde transformation de beaucoup de manifestations populaires, seraient les professionnels eux-mêmes, les artistes et techniciens du spectacle. Beaucoup de ces festivals ou certaines grosses productions n'existent que parce qu'elles font appel à de nombreux artistes amateurs bénévoles et que de manière générale elles font appel au bénévolat.

La disparition de ces manifestations ne profiterait qu'à des grandes compagnies, pour lesquelles l'avenir de nombreux artistes professionnels, qui trouvent des scènes et un public dans ces festivals, ne serait pas le premier des soucis. Une vie associative forte constitue la meilleure garantie pour les artistes de trouver des dates, d'avoir un public pour assister aux concerts et acheter les disques.

En provoquant la mort des associations, cette loi provoquera également la raréfaction du public, des artistes professionnels et des producteurs déjà en difficulté. C'est une vision singulièrement réductrice que d'opposer amateurs et professionnels, alors qu'ils sont complémentaires. Les professionnels font de leur art un métier qui vise à l'excellence. Les amateurs l'exercent d'abord pour leur plaisir. Leur choix ou leur moindre disponibilité ne leur permettent pas d'en faire une activité professionnelle même si elle peut aussi viser à l'excellence.

Les professionnels ne peuvent vivre sans les amateurs, mais les amateurs ne peuvent vivre sans les professionnels, grâce à leurs créations, à leur enseignement. Et les professionnels ont la plupart du temps commencé comme amateurs. Ce serait un énorme vide culturel que de perdre ces professionnels. Or les artistes indépendants et les petites compagnies, ceux qui participent au développement local, rural ou des quartiers, sont déjà mis en très grande difficulté par la nouvelle réglementation des intermittents qui profite surtout aux « permittents » du spectacle, des grosses entreprises de l'audiovisuel, notamment. Il ne leur restera plus rien, et cette loi, loin de les protéger, les privera de leur bouée de sauvetage.


5) Un appauvrissement de la création et une uniformisation de la culture :

La mise sous l'éteignoir des amateurs, l'élimination de nombreux professionnels et le monopole des grandes compagnies, ne peuvent que conduire à une plus grande standardisation culturelle et un appauvrissement de la création à l'opposé de la promotion de la diversité culturelle sous toutes ses formes, y compris sous ses formes amateur ou professionnelle.


Défendre nos valeurs.

Un décret d'application est annoncé pour tempérer la loi par des exceptions et des dérogations. Mais ce projet n'est pas connu et ne pourra remettre en cause le principe de la loi. Certaines organisations qui fédèrent des amateurs (COFAC, UFISC) souhaitent notamment une présomption de « non-lucrativité » pour les associations membres de réseaux agréés. Mais la liberté de la culture est-elle compatible avec un système de contrôle et d'agrément préalable ? Quel avenir pour les créateurs indépendants ? Ne subsistera-t-il que la culture officielle ou mercantile imposée à tous et déjà prédominante ?


Refuser la marchandisation de la culture et défendre le patrimoine et la diversité culturelle...

Les pratiques culturelles, et en particulier les pratiques populaires, comme les biens et services culturels, conformément à la déclaration de l'Unesco sur la diversité culturelle, « ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ». Elles appartiennent à la société. Elles font partie à la fois de notre patrimoine culturel et de la diversité culturelle que la France s'est engagée à défendre en ratifiant, le 18 décembre 2006, les deux conventions de l'Unesco pour la Sauvegarde du Patrimoine culturel immatériel et pour la Protection de la diversité des expressions culturelles.

Or ce sont des pratiques sociales et des expressions culturelles originales qui risquent d'être détruites rapidement par ce projet de loi qui s'oppose aussi à ce que défend l'Agenda 21 de la culture à savoir notamment « la liberté culturelle des individus et des groupes » et le rôle « des citoyens pris individuellement ou réunis en associations ou en mouvements sociaux », par opposition à « une institutionnalisation démesurée ou une prédominance excessive du marché ». ... tout en combattant les dérives...

Bien-sûr, nous ne pouvons que dénoncer et nous associer à toutes formes de lutte contre les pratiques déloyales et notamment le travail dissimulé. Mais ces pratiques sont extrêmement rares chez les amateurs bénévoles et sont déjà combattues, car les associations de bénévoles qui donnent déjà de leur temps et de leur énergie n'ont aucune envie ni aucun intérêt à voir se développer des dérives contraires à leur engagement et à leurs convictions. Les moyens de les combattre existent déjà, sans pour autant détruire le tissu associatif.


Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d'examiner avec la plus grande attention ce projet de loi :

  • dont on ne voit pas du tout quelles avancées il pourrait apporter pour la culture, ni pour ses acteurs dans leur diversité ;

  • mais dont on perçoit sans mal tous les dangers potentiels pour la vie culturelle et sociale de notre pays.

  • Nous vous demandons de vous y opposer tant que son utilité n'aura pas été démontrée et ses risques graves pour la liberté et la démocratie culturelles écartés.

    Restant à votre disposition pour toute forme de concertation avec les différents partenaires concernés, veuillez agréer Madame, Monsieur, nos salutations les meilleures pour la défense de cette valeur essentielle que constitue la liberté culturelle.

    Vendredi 16 mai 2008
    Patrick MALRIEU, Président Conseil Culturel de Bretagne
    Bob HASLÉ, Président Bodadeg Ar Sonerion
    Catherine LATOUR, Présidente Kendalc'h
    Joëlle DUBOIS, Présidente War 'l Leur
    Hervé SANQUER, Président Gouelioù Breizh

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    Le Conseil culturel de Bretagne est une chambre consultative chargée de proposer des avis, voeux et études sur la politique publique de la Région en matière de culture, identité bretonne et rayonnement de la Bretagne. Présidé par Catherine Latour, le CCB est composé de 70 représentants issus du monde associatif et institutionnel et de personnalités oeuvrant pour le développement de la culture bretonne.
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