Le vieux Nantes : enceinte, rues, portes et ports
A cette époque, le voyageur arrivant à Nantes par le pont de Pirmil (de Pila milliaria ou borne milliaire), découvrait, d'ouest en est, outre des moulins à vent, la floraison remarquable de tours et de flèches des nombreux édifices et des églises de la ville. Ainsi voyait-il les Capucins, Saint Nicolas, les Carmes, la tour du Bouffay, la tour de la Monnaie, Notre Dame, les Jacobins, Sainte Radegonde, la Cathédrale et le château. Autrefois, il n'y avait pas moins de dix sept églises et chapelles, dans la ville intra-muros !
De même, il apercevait d'un coup d'oeil, les quartiers, les portes et les ports, au sud de la cité des ducs de Bretagne : la Fosse, la porte Saint Nicolas où fut enfermé Landais, la Barbacane, le râteau d'Erdre qui fermait l'entrée de l'Erdre dans la ville, la porte de la Poissonnerie, port Maillard, le Château et ses maisons construites dans les douves, puis le quartier de Richebourg et ses étuves municipales (qui cachaient souvent des maisons de tolérance).
A l'ouest de la ville close, la Fosse, aux berges fangeuses, abrita une population de marins, de mariniers et de pêcheurs avant de se développer et d'attirer les marchands. Le port au vin (place du Commerce actuelle) faisait d'ailleurs partie de la Fosse. Les Espagnols et Basques y furent nombreux à l'exemple des Ruiz, riches négociants d'envergure européenne qui y possédaient une maison à tourelle où vinrent dîner Charles IX, Henri III et Henri IV. Comme à Morlaix, les marchands les plus actifs furent souvent des étrangers. Outre des centaines d'Espagnols bien intégrés, on trouva à Nantes des Portugais marranes (juifs), des Hollandais protestants et des Irlandais jacobites. Au XVIIe, des Irlandais furent chassés de la ville pour cause de pauvreté. Les marchands résident à La Fosse et aux ponts (la Saulsaie), les Robins (hommes de loi) aux Jacobins. Ce sont, avec Richebourg, les quartiers riches de Nantes.
Le pont reliant Pirmil à la porte de la Poissonnerie, par l'île de la Saulzaie et la prairie de Biesse de sinistre mémoire (Gille de Rais y fut brûlé), étaient en pierres et bois, munis de quinze arches et couverts de maisons. Restauré vingt fois peut-être en mille ans, il fut emporté quatre fois par les crues de la Loire ou par les glaces. L'emprunter n'était pas sans risques. En 1469, un boulanger fut indemnisé car sa jument chargée de pain avait chu dans la rivière.
Les bateaux d'amont accostent au quai de Port Maillard. Un cabestan manoeuvré à bras permettait d'y hâler les chalands. Après le port Maillard, ils devaient démâter pour passer les ponts. Les navires de trois cents tonneaux remontaient la Loire jusqu'à Couëron, les plus gros transbordaient leur chargement sur des gabarres à Paimboeuf, quant aux petits bateaux, ils ralliaient Nantes directement. Les barques et les barges de faible tirant d'eau sont des Santines (six à dix muids de sel), des Escaffes (20-30 muids de sel) qui remontent la Loire, ou des Chalands de moins de 60 muids (de sel). Plus grands étaient les Vessels ou Vexeaux, les Pinasses (20-100 tonneaux), les Nefs (jusqu'à 1.200 tonneaux) et les Carvelles.
Enceinte et portes de Nantes
En longeant l'enceinte par l'ouest, on trouve successivement les portes de Brancas, le quai de la Poterne et un jeu de longue paume dans le fossé. On passe devant la place et l'église Sainte Catherine. L'hôpital Saint André se situait près de la porte de la Poissonnerie. Puis vient la porte Saint Nicolas (la place Royale actuelle) et, près de l'église Saint Nicolas (avec un reste d'enceinte), la Porte Sauvetout (porte basculante avant le pont levis). L'enceinte passe l'Erdre par le pont de l'Échellerie (escalier sur le pont) à cinq arches, certaines munies de grilles pour empêcher le passage d'embarcations. On note ici la présence d'un gué, et d'après une antique gravure de Lambert Doomer, peintre flamand du XVIIe, un abreuvoir, des lavandières, du linge séchant sur les murs. Puis l'enceinte file vers le nord près de la rue Saint Léonard (église proche) vers le Port Communeau (près de la préfecture). L'enceinte suit l'Erdre vers la porte de Papegault qui portait un mât dédié à ce jeu, et passe près de la Cour des comptes. Plus loin, la porte Saint Pierre comporte des blocs antiques dans ses fondations, encore visibles aujourd'hui.
De la porte Saint Pierre, où aboutissait la route de Paris, on rejoignait le Château en laissant à l'est la motte Saint Pierre en friche et les quartiers extérieurs de Saint Clément et de Richebourg. De là, longeant la Loire, on regagnait la porte de la Poissonnerie par les Jacobins et leur église, disparue depuis, l'hôtel des Monnaies (l'un des plus anciens de France) et sa tour, le Bouffay, l'ancien château des comtes de Nantes à usage de prison et la tour du Beffroi. On prétend que Jeanne de Belleville, la "tigresse bretonne" contempla la tête de son mari Olivier de Clisson (décapité), exposée sur les créneaux du château. Le beffroi, reconstruit en 1662, était une tour ronde à la base, octogonale ensuite, avec plate-forme, balustrade en fer, dôme en plomb avec une lanterne de six cariatides ou anges aux trompettes, posée aujourd'hui au sommet de Sainte-Croix.
Nantes possédait l'une des plus grandes enceintes de France, qui fit l'admiration d'Henry IV.
Quelques vieilles rues de Nantes
Une rue de la Tremperie, où était la cohue aux poissons secs, allait de la porte de la Poissonnerie au Bouffay, on y mettait la morue salée à tremper. La cohue aux poissons frais se trouvait dans l'île de la Saulzaie (des saules, île Feydeau). La porte de la Poissonnerie donne accès à la rue de la Poissonnerie, parallèle à l'Erdre intra-muros, qui va à la place du Change (changeurs de monnaie). Il se voyait au Change un marché de la volaille et une maison à pans de bois, démolie en 1859, sise à l'angle de la Barillerie, avec les sculptures des saints Donatien et Rogatien sur le poteau cornier. Un corps de garde (des rondes étaient faites de 18 heures à 2 heures du matin) s'y trouvait aussi, et un puits, de même qu'au Pilori et au Bouffay.
L'Erdre, comblée depuis, traversait la ville close près des portes Sauvetout au nord et de la Poissonnerie au sud. Plusieurs rues et ponts l'enjambent. D'abord, au nord, la rue des Halles, boucherie d'un côté, moulins à blé de l'autre. Puis le pont de la Casserie en aval, où se trouvaient des casseurs d'acier et plieurs de cercles, qui fournissaient les fabriques de tonneaux de la rue de la Barillerie. Les rues du Pavé, de la Chaussée, rappellent l'emplacement d'une ancienne voie gallo-romaine. Vers 1570, des maréchaux, dans la rue des Carmes, castrent, saignent les chevaux et les soignent aussi. Il y a des plaintes contre ces nuisances.
A l'est de l'Erdre, près des rues du Pas Périlleux et de la Blèterie, se trouvait le port au blé avec de vastes magasins à grains. La rue de la Juiverie était le ghetto de Nantes. Les juifs furent expulsés de Bretagne en 1240 par le duc Jean le Roux ; Ange Guépin évoque aussi des expulsions du fait d'Anne de Bretagne.
Par manque d'hygiène, il y avait une forte mortalité infantile. Des pourceaux errent dans les rues sans égouts. Des enfants y font leurs besoins, les adultes parfois, ce qui occasionne des plaintes de voisins ! Les bouchers, les corroyeurs et tanneurs, les maréchaux (rue des Carmes à Nantes), y jettent leurs déchets, à la rivière au mieux.
Il y avait sept compagnies de la milice bourgeoise (époque de la ligue). En cas d'incendie, dix hommes de chaque milice combattent le feu munis de crocs, cordages et paniers goudronnés. Les religieux de la ville doivent participer aussi.
Aujourd'hui, il reste 12 maisons à pan de bois dans la vieille ville !
La santé, la peste
Il se produit de nombreuses épidémies de peste à Nantes, au XVIe siècle (4.000 morts en 1501). Un pic de mortalité se situe souvent en hiver jusqu'en avril. Les malades sont consignés à domicile ou enfermés dans les maisons de santé (Sanitat) à l'extérieur de la ville. En 1603, on crée des bâtiments provisoires, loges, logettes, en planches, avec toits de paille ou en toile de goudron, des « hangear », abris froids l'hiver, des tentes pour les convalescents du Sanitat, au bout de la Fosse à Nantes. On se méfie du mauvais air, de l'air « contagié », on allume des feux pour produire des fumées odoriférantes avec soufre, laurier, sauge, romarin, genêt vert, vinaigre. Les maisons sont désinfectées au soufre, à la chaux vive, on relance des mesures d'hygiène, on tue chiens et chats, les vêtements et literies sont détruits par le feu ou lavés et désinfectés. Intuitivement on cerne bien les causes de l'épidémie : la crasse.
Les malades et le chirurgien du Sanitat portent des croix blanches sur les vêtements de « bougrain » noir, sorte de toile épaisse, ils se signalent aussi par des gaules blanches. Des croix sont tracées sur les maisons infectées, des cadenas et des scellés posés, la nourriture est fournie avec paniers et cordes. Les notables fuient à la campagne. Les convalescents restent isolés à Nantes, dans les îles de la Loire.
Dubuisson-Aubenay oppose la saleté des Gallos à la propreté des bas-Bretons ! Néanmoins, un service d'ébouage est mis en place à Nantes et Rennes dès le XVe. Les règlements sont bons mais pas forcément suivis d'effets. Aux XVIe et XVIIe siècles, de plus en plus, les hôpitaux sont contrôlés par des laïcs en réaction à la mauvaise gestion des religieux, car c'étaient souvent de purs et simples bénéfices. En 1532, l'hôpital de Saint Clément à Nantes est riche et vide, en plein marasme de la population pauvre ! Les religieux restent mais doivent partager le pouvoir. Prieur ou chapelain pour la gestion, doublé d'un gardien laïc peu instruit. Des filles dévotes proposent aussi leurs services.
Il existe beaucoup de petits établissements hospitaliers, une dizaine à Nantes, au XVe : aumôneries, maison Dieu, termes anciens remplacés par celui d'hôpital, qui hébergent plus qu'ils ne les soignent des indigents malades.
Les hôpitaux vivent du bénévolat, de services funéraires payants, de ressources fiscales, de dons en nature, de quêtes, de rentes, de taxes, d'argent public et de dons en argent parfois très importants, ceux du maréchal de La Meillerais par exemple. Cela occasionne de grosses dépenses pour la ville qui s'endette de 170.000 livres en 1666 !
La syphilis ou "mal de Naples" apparaît suite au passage du roi François Ier à Nantes.
Les chirurgiens sont les anciens barbiers. Pour les médecins les études sont longues et coûteuses : 6.000 livres en 1668.
Disettes et pauvreté
Nantes est très dépendante des importations pour sa subsistance. En cas de mauvaises récoltes, les prix des denrées augmentent et les disettes suivent. La Bretagne agricole a toujours été autosuffisante, mais les guerres et épidémies, la lenteur des transports et le stockage des denrées affectent les plus pauvres car en cas de crise, les marchands retiennent les grains, spéculent et les prix montent. Les municipalités sont très sensibles à ces problèmes et dépensent beaucoup d'argent. Elles édictent des règlements, souvent tardifs ou inefficaces, pour empêcher cette spéculation et aider les pauvres.
En temps de disette, des milliers de pauvres (7.000) affluent en ville dans l'attente d'un secours. Seize chassegueux sont employés à Nantes en 1631. Les pénuries se produisent tous les quatre ans en moyenne, parfois plus souvent. En 1696, il y a parmi la population, 10 % de mendiants (mandicans) en Bretagne, le « Grand » siècle étant passé par là.
L'aide aux pauvres « locaux » est bien organisée, jours et lieux précis, aumône contre travail. Les aumônes pour les pauvres étrangers sont faites hors les murs, dans les paroisses environnantes. Il y a des « passades » en nature en 1580, 1586, où se distribuent des soupes.
Couvents, hôtels et maisons remarquables
Les couvents sont nombreux à Nantes comme à Rennes. Couvent des Dominicains (1267), des Carmes (1318), où se trouvaient les tombeaux de François II et de Gilles de Rais, des Jacobins près du Château. Le couvent des Cordeliers au nord-ouest de la Cathédrale (mur gallo-romain), accueillaient les États de Bretagne.
Il y avait des chaumières dans la cité mais aussi de belles demeures telles que l'Hôtel de Briord acquis en 1473 par Landais (grand patriote breton exécuté par les barons), l'Hôtel de Saint-Aignan, la Psalette, de même qu'une maison avec sculptures allégoriques se rapportant au culte juif, au milieu de la rue de la Juiverie. L'Hôtel de ville pérégrina car le corps municipal se réunit d'abord au Bouffay, à Sainte Catherine puis aux Changes.
A Nantes en 1535, participent à la municipalité : le capitaine (120 livres), le connétable (60 l), les miseurs et contrôleurs, le procureur des bourgeois (24 l), le greffier, le canonnier, le clerc de ville, le taxeur de poisson, le trompette, l'horloger du Bouffay, le gardien des portes, les chirurgiens.
L'auberge du chapeau rouge (rue de la Paume) et le Marchix, servaient de lieu de réunion aux calvinistes, en 1561.
Sources
• Ange Guépin, Histoire de Nantes
• Édouard Pied, Notices sur les rues de Nantes
• Michel Le Mené, La Construction à Nantes au XVe siècle
• Jean Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne
• Alain Croix, L'âge d'or de la Bretagne