Le gouvernement français, au travers des procureurs de la République, vient de lancer la chasse à la vente des produits issus du chanvre dont le taux de THC (composant psychotrope du cannabis) est supérieur à 0,20 %. Cela va impliquer la fermeture d’un nombre important de commerces et la mise en examens de gérants qui venaient d’ouvrir, profitant d’une faille apparente dans la loi, des coffee shop où les produits proposés étaient pour le moins inoffensifs, et où l’accent était surtout mis sur le cannabidiol (CBD), un produit issu lui aussi du cannabis, mais sans effet psychotrope.
En parallèle, après que la preuve de son efficacité ait été faite par les médecins, le cannabis thérapeutique vient d’être autorisé en Grande-Bretagne, mais toujours pas en France...
En Suisse, le cannabis récréatif « light » est légalisé, les citoyens de la Confédération Helvétique, un pays qui n’est pourtant pas considéré comme un repère de dangereux black blocks, peuvent acheter légalement des dérivés du cannabis dont le taux de THC est inférieur à 1%.
La Hollande, longtemps en avance sur le commerce du cannabis a dû faire marche arrière du fait du nombre important de dealers de toutes provenances venant faire leurs courses dans le pays. Mais la loi reste malgré tout libérale puisqu’il est autorisé de faire pousser chez soi jusqu’à 5 plans de cannabis, sans limitation du taux de THC.
En Allemagne, la possession de cannabis à usage récréatif personnel est dépénalisée mais la quantité autorisée par consommateur varie en fonction des Länder, et c’est le moins qu’on puisse attendre d’un état fédéral. Le cannabis thérapeutique est lui légalisé officiellement outre-Rhin depuis janvier 2017, mais des expériences avaient déjà été autorisées auparavant.
On remarquera à quel point l’Europe avance en ordre dispersé dans ce domaine, comme dans tant d’autres, mais aussi comment, encore une fois, la France se montre extrêmement conservatrice quant à cet usage du cannabis. Et si peu pragmatique.
Pour élargir les comparaisons, on rappellera que l’État du Colorado aux USA a lui légalisé l’usage du cannabis, en 2014, en taxant les ventes à 30%, et que cela pose un problème pour le moins cocasse, à savoir que les revenus sont si importants que l’État pourrait se voir obliger de reverser une partie de cette somme aux habitants, du fait d’une loi sur l’imposition maximale datant de 1992. Le Colorado a par ailleurs vu sa criminalité baisser très sensiblement depuis la légalisation du cannabis ; mais, pour arriver à ce résultat, il a fallu enrôler dans le circuit de la vente légale d’anciens dealers, d’abord parce qu’ils connaissent le produit, mais aussi pour qu’ils continuent de profiter raisonnablement de la manne et ne songent pas à s’adonner à d’autres activités délictueuses.
En Uruguay, la consommation, la vente, la culture et le transport du cannabis sont légalisés depuis le 11 décembre 2013, après une proposition du président Mujica. La vente se fait maintenant dans les pharmacies, et est prioritairement réservée aux citoyens uruguayens. Là également, les résultats ont été excellents pour les finances et en termes de baisse de la criminalité.
Pourquoi donc la France fait-elle l’autruche sur ce problème ? Est-ce par conservatisme atavique ? Ou est-ce plutôt parce que les banlieues risqueraient d’exploser si des mesures de légalisation étaient adoptées ? Car cela limiterait de beaucoup les revenus de personnes à qui on a pas grand chose d’autre à proposer que ces trafics. Sans parler d’accords plus ou moins secrets entre Paris et le Maroc, un pays qui a grand besoin de l’interdiction en France pour faire vivre, de la culture et du trafic vers l’Europe, de nombreuses vallées du Riff, évitant de cette manière également des troubles au sein de la population locale.
Au vu des ces éléments, ne serait-il pas temps tout de même d’ouvrir un débat sérieux, en évitant les contournements hypocrites, et en mettant toutes les données sur la table ?
Et en prenant en compte les exemples précités, mais aussi en se souvenant que la prohibition des produits psychotropes d’usage courant (et le cannabis en fait partie) n’a jamais donné de bons résultats. Il suffit de se référer à la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis entre 1919 et 1933 : une interdiction générale qui n’a fait que renforcer le grand banditisme en lui fournissant de juteux circuits de contrebande et donc de revenus ; tout en amenant la population à boire encore plus, du fait de l’attrait de l’interdit sans doute, une donnée à prendre en compte.
Il faut rappeler également que ce distinguo entre drogues douces et drogues dures doit être établi avec prudence : de nombreux addictologues rappellent qu’il y a des façons dures d’utiliser les drogues dites douces, et des façons parfois raisonnées d’utiliser les drogues dites dures. Ainsi un mineur qui utilisera le cannabis de manière quotidienne a de bonnes chances de se retrouver en échec scolaire, et en échec tout court. En ce qui concerne l’alcool, il est à l’origine de 50 000 décès directs par an en France !
Mais, si les résultats négatifs de la consommation de tel ou tel psychotrope dépendent des usages de chacun, il doit y avoir une règle commune à tous. Et là, il faut se montrer extrêmement pragmatique, fuir les lieux communs et les raisonnements d’un autre siècle.
Car si la prohibition de l’alcool a eu des effets pervers aux Etats-Unis, on peut dire avec certitude que la prohibition du cannabis a des effets également pervers sur la société française actuelle. Et ceci pour deux raisons principales :
Tout d’abord parce que l’argent du trafic profite à l’économie parallèle, qui peut ainsi investir dans des drogues plus invalidantes ou des armes, une économie dans laquelle de nombreux soldats de Daesch ont fait leurs premiers pas. Mais, comme on vient de l’évoquer, l’ensemble de ces dérives se rattache également au manque de perspectives dans les quartiers, ce qui implique de regarder les problèmes en face, et de manière globale.
Deuxièmement parce qu’il est très difficile de faire de la prévention sur un produit qui n’est pas en vente libre. Au Colorado par exemple, il faut être majeur pour pouvoir acquérir du cannabis, et même dans ce cas, dans le coffee shop, on vous conseille sur tel ou tel produit, on vous demande quelles sont vos habitudes, vos points faibles. On fait de la prévention ! Surtout on vous indique que si un consommateur adolescent ressent des troubles de nature hallucinatoire, il peut s’agir d’une schizophrénie (c’est très rare mais cela arrive) qui se révèle et dans ce cas il est fondamental de consulter et de stopper toute consommation du produit. Une démarche de prévention qui, dans différents cas, peut éviter à terme bien des situations de détresse.
La libéralisation du cannabis aurait donc deux vertus : d’abord celle de rapporter des taxes et d’assécher les ressources de la pègre, ensuite de permettre une prévention et un contrôle qui sont de toute évidence nécessaires.
Si la France, pour des raisons évoquées plus haut a des problèmes avec cette question, cela ne doit pas empêcher les politiques bretons de se saisir du problème, puisque la Bretagne est une des régions où la consommation de cannabis est la plus forte.
Pour cela, il faut qu’ils s’informent et s’éloignent des clichés propagés sur la question par d’incultes dogmatiques tel ce lieu commun qui prétend que la consommation du cannabis dirige automatiquement vers la consommation de drogues plus dures. C’est une vue de l’esprit, car si on ne peut nier que des adolescents sont attirés par les produits interdits dans leur ensemble au moment des rites de passage et lors de la recherche de confrontation avec les adultes, il est patent que les consommateurs de cocaïne par exemple mélangent allègrement cette drogue avec l’alcool, et non pas avec le cannabis, qui est considéré par la plupart des cocaïnomanes comme une drogue de « loosers », ou au mieux de rêveurs passifs.
D’autres opposants, qui n’auront à proposer que les raisonnements par l’absurde, demanderont pourquoi ne pas autoriser toutes les drogues dans ce cas ? On pourra leur répondre, mais c’est cela fait partie d’une rhétorique déjà connue, que l’alcool et certains médicaments psychotropes dangereux sont déjà en vente libre et qu’on les tolère parce que cela rapporte de l’argent à l’État et aux laboratoires. Mais il faudra surtout les éclairer sur le fait que l’addiction à des drogues comme la cocaïne justement, ou encore l’héroïne, provoquent des dégâts sur l’individu et sur la société bien plus importants que l’alcool ou le cannabis (on parle d’utilisation modérée de l’alcool ici). Ainsi, si la Hollande a été la première à se lancer dans la légalisation, c’est parce qu’elle faisait face dans les années 1970 à un énorme problème de consommation endémique d’héroïne, et qu’entre deux maux, elle a choisi de combattre le plus inquiétant, le moins contrôlable.
Ainsi, plutôt que de parler de drogues dures ou douces, il serait préférable de parler de coût social et financier global de telle ou telle consommation à grande échelle. Et il est clair que le cannabis et l’alcool - largement consommés sous nos latitudes- ont un coût social gérable. Et ce, même si l’alcool pose beaucoup plus de problèmes que le cannabis en terme de passages à l’acte violent ou de dégâts sur la santé. Le cannabis amenant essentiellement au niveau de la santé les mêmes nuisances que le tabac, ce qui n’est pas négligeable. Sauf s’il est ingéré bien sûr, comme c’est souvent le cas du cannabis à usage thérapeutique.
Par ailleurs, à l’heure où tout est prétexte à « bilan carbone », il faut faire la différence entre les sources de psychotropes qui peuvent pousser naturellement sous nos latitudes (la vigne et le chanvre) et celles qui ne le peuvent pas. Pour les psychotropes comme pour le reste, prenons en compte ce qui est naturel et local !
L’autre avantage de cette légalisation éventuelle serait que les services de police spécialisés pourraient se consacrer à ces trafics de drogues posant plus de problèmes, tels la cocaïne (décrochage social, et dans le domaine de la santé risques cardio vasculaires, et dépressions graves) ou héroïne (limitation des possibilités à s’intégrer, addiction sévère, transmissions virales, risques d’overdoses). Au-delà de ces deux drogues majeures, en provenance des continents asiatiques et sud -américains, il ne faut pas oublier que le plus gros fléau et le plus grand danger à l’heure actuelle provient bien des drogues de synthèses, présentes sur le dark net mais aussi dans l’offre des dealers locaux : MDMA, GHB, LSD, et on en invente tous les jours de nouvelles... Ces drogues font des morts en Bretagne et ailleurs, provoquent des psychoses graves, des atteintes neurologiques irréversibles. Il faut agir, et pour cela il faut des moyens, et ne pas se tromper d’objectif !
Par ailleurs, si une personne décide de se couper de la réalité quel qu’en soit le prix pour sa santé, elle le pourra au travers de l’éther, de colles et de solvants divers, produits qui sont en vente libre dans la plupart des supermarchés.
Ainsi, éloigner les individus, et particulièrement les jeunes, des conduites à risque et des conduites addictives n’est pas seulement une question de graduation dans les interdits. Il faut surtout proposer des projets de société où ces individus auront les meilleures chances de s’épanouir. Et pour cela il faut que ceux qui dirigent les sociétés se montrent pragmatiques, et moins hypocrites. C’est possible ?
La légalisation du cannabis serait un premier pas vers un éloignement des dogmes d’un autre temps, autant qu’une excellente opération économique. Cela ne veut pas dire que le cannabis est anodin, il ne l’est pas, pas plus que l’alcool, mais il est déjà consommé en grande quantité par une grande partie de la jeunesse, fait partie des mœurs. Alors plutôt que de tenter de faire des barrages contre l’océan, ce qui coûte de l’argent et beaucoup trop d’énergie, il vaut mieux, au vu des arguments développés, regarder la situation en face et prendre exemple sur ce qui marche très bien déjà dans quelques endroits du monde : et donc légaliser le cannabis.
Vincent Fraval, Secrétaire général de Breizh Europa