La période qui va du 2 août 2013 au 28 juin 2014 est à marquer d'une pierre blanche dans l'Histoire de Bretagne, car, celle-ci retiendra que c'est par une suite d'événements intenses, par lesquels un pays, mais, pas encore une nation, s'est redéfini, à la fois 1) contre les absurdités d'un gouvernement central qui sait de moins en moins où il habite et qui accumule les maladresses, les erreurs d'appréciation et les proclamations vaines, et, 2) par rapport à lui-même, dans sa dimension de territoire politique reconnu par ses habitants et par l'extérieur.
Bien qu'elle ait une préhistoire de 5 ans ( voir notre article ), l'alliance de plusieurs forces, qui constituent le fond du tissu économique de la Bretagne, a abouti à une insurrection rampante, plus pacifique qu'on ne l'a dit, qui a débuté par l'abattage du portique écotaxe de Guiclan (2-8-13), s'est continuée par les trois tentatives infructueuses de prendre celui de Pont-de-Buis (12, 19 et 26-10-13), puis, successivement, les rassemblements immenses de Quimper et de Carhaix (début et fin de novembre 2013), la floraison en décembre-janvier de plusieurs dizaines de comités locaux des Bonnets rouges, l'affluence énorme aux Etats Généraux de la Bretagne, le 8 mars 2014 ( voir notre article ), et s'est prolongée par la présence visible des Bonnets rouges dans l'imposante manifestaion pro-réunification, qui a eu lieu à Nantes, le 19 avril 2014 ( voir notre article ) et dans une manifestation encore plus importante, le 28 juin, de nouveau, à Nantes ( voir notre article ).
Le relatif insuccès des rassemblements des Bonnets rouges autour des préfectures et sous-préfectures, le 14 juin 2014, ne signifie pas que ce mouvement ait cessé, ni qu'il puisse avoir d'autres formes d'action. L'omniprésence des drapeaux bretons, lors de ses apparitions publiques, vient de la volonté de montrer que les revendications concernant la Bretagne ne doivent pas être réduites à un mouvement récupérable par les instances parisiennes subventionnées par l'État, syndicats centralisés et désertés ( voir notre article ) et partis parlementaires décriés, prévaricateurs et en crise permanente depuis 30 ans. De manière aussi symbolique, les Bonnets rouges bretons n'ont jamais voulu avoir quelque connivence que ce soit avec les collectifs qui les ont imités, en arborant un bonnet rouge pour des causes très partielles, alors que ils ne voulaient traiter que de ce qui touchait la population de la Bretagne dans sa totalité.
Avant le 8 mars 2014, la réunification de la Bretagne (retour de la Loire-Atlantique) ne pouvait pas être considérée, ni, comme une cause populaire, ni, comme un sujet de conversation, sauf en Loire-Atlantique, mais, c'était la seule revendication commune à une mouvance bretonne qui ne concerne, au mieux, que 30% de la population (les résultats électoraux ne sont pas des mesures fiables, car, ils portent sur des enjeux trop divers). Cependant, les sondages ont constamment montré que la population concernée, celle de Loire-Atlantique, se disait majoritairement bretonne et donc prête à un retour au bercail.
La réunification a été l'une des 7 revendications des Bonnets rouges tirée des analyses mathématiques des quelque 15 000 « doléances » recueillies en début d'année 2014 et c'est celle qui, de très loin, a recueilli le plus d'approbations aux États Généraux de Morlaix.
Par une heureuse conjoncture, les associations (Bretagne réunie et 44=Breizh), qui portent, avec obstination, la revendication, avaient prévu une manifestation à Nantes, le 19 avril 2014. Non seulement, l'appel des Bonnets rouges à y participer a brisé la chape de plomb médiatique qui étouffait l'écho des très nombreuses manifestations de masse antérieures, mais on a pu remarquer qu'au moins un tiers des 10 000 participants portaient le fameux bonnet. Pour la première fois, un lien entre définition territoriale de la Bretagne et lutte politico-économique est devenu manifeste aux yeux des Bretons.
Alors que de nombreuses manifestations pour la réunification rassemblent des milliers de gens depuis 25 ans, celles de Nantes, les 19 avril et 28 juin 2014 ont été couvertes convenablement par les médias parisiens, qui en ont même relaté la préparation (France-Info, 28 juin au matin ; médias parisiens aux conférences de presse à Paris ( voir notre article ) et à Nantes). La détermination des 15 000 manifestants ou plus qui ont bravé une pluie insistante, le 28 juin, montre que la cause de la réunification est devenue une grande cause qui parle à toutes les générations.
Ce sont les Bonnets rouges ont fait sauter le barrage médiatique, celui, local (saucissonnage des informations, afin qu'une grande manifestation à Nantes ne soit pas répercutée à Redon, à 50 km) et parisien (des manifestations insignifiantes sont relatées, alors qu'un défilé de plusieurs milliers de personnes pour une cause bretonne - incomprise - est ignoré).
Le 8 avril 2014, sous le choc de sa franche défaite aux municipales, François Hollande, par la déclaration de politique générale de Valls, a commis une bourde qui lui sera reprochée par les tenants de la France une et indivisible (et pourquoi pas éternelle?), celui de traiter une réforme territoriale comme un jeu de Lego™, se limitant, à la simple question de la fusion des régions, sans réflexion profonde. Apparemment, les énarques n'ont jamais entendu parler de la loi des rendements décroissants qui frappe toute administration qui grossit sans mesure. La fusion, envisagée, puis, retirée du projet, de la Bretagne et des Pays-de-la-Loire créerait un monstre ingérable de 25 000 agents (régionaux + départementaux).
Après la présentation du projet, il s'ensuit 3 semaines de vaudeville politique, dont l'élément le plus positif pour les Bretons est qu'il pose, de manière imparable, la question de la Bretagne : où s'arrête-t-elle et comment doit-elle être politiquement définie ? A la lumière de la version niveleuse et talibane de l'idéologie républicaine, ces questions n'avaient pas à être posées ( voir notre article ). Une lutte de soixante-dix ans pour refuser de la modification des limites opérée sous le fasciste Pétain (1941) et confirmée par les programmes d'action régionale sous le socialiste Guy Mollet (1956), trouve, enfin, un débouché.
En laissant supposer qu'une limite de région est déplaçable selon sa fantaisie, l'État a pulvérisé les barrières mentales qui empêchaient les Bretons de donner une réponse simple à la question des limites de la Bretagne, qui sont, évidemment, celles que l'Histoire a données et non pas celles qu'inventent d'obscurs fonctionnaires parisiens. Et comme il est admis en France comme en Europe que les régions doivent être des lieux du pouvoir de proximité, François Hollande vient d'indiquer aux Bretons, comme aux Alsaciens, aux Basques ou aux Savoyards, que le peuple est le gardien de la limite et que l'avis de l'État, très variable et très arbitraire, n'est pas celui à prendre forcément en compte.
Cerise sur le gâteau, la presse a pu soulever les jupes du pouvoir et y découvrir que quelques heures avant la publication d'une carte par l'Elysée, le 2 juin 2014, ce n'était pas une décision rationnelle, mais, les luttes d'influences entre politiciens socialistes qui avaient primé. Dans la même veine, le reniement spectaculaire du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian ( voir notre article ), qui, sur ordre, préfère le sauvetage d'une maison socialiste en feu à la continuité sincère dans les idées, ce qui augure du fait que les politesses entre le PS et l'aile gauche du mouvement breton vont aller au musée des illusions perdues ( voir notre article ). Car, la dilution possible de la Bretagne dans une construction artificielle ne peut que cabrer un peuple que tous les sondages montrent comme « régionaliste », malgré les divergences politiques profondes.
Si cette cause de la réunification est importante, car, transversale, elle va obliger les différentes chapelles du mouvement breton a se mettre au travail, car, « faire de bonnes analyses » et « lutter au côté du peuple » n'a jamais fait rêver celui-ci. La campagne pour le oui au référendum sur l'indépendance de l'Écosse est autrement plus concrète et imaginative que la triste et morne revendication de pouvoirs locaux aux contours vagues.
Quelle Bretagne de l'avenir veulent-elles projeter ? Quelles positions sociales ? Quelles solutions pour les retraites et la sécurité sociale ? Quelles solutions transitoires avant un auto-gouvernement qui reste très lointain ? Ce sont à ces questions-là que les électeurs veulent voir répondre et ils ne peuvent qu'être déçus par la minceur des programmes des candidats qui se réclament de la Bretagne.
Cela est tout aussi valable pour le seul homme politique breton qui ait acquis une stature médiatique sans le secours de l'appareil d'un parti parlementaire, Christian Troadec. Aux élections européennes 2014, il a mis un pied dans la porte avec un discours protestataire qui procure une alternative bienvenue à un Front national sans programme politique sérieux. A lui de trouver le moyen d'élaborer un vrai programme couvrant l'essentiel des attentes de la société bretonne. La décadence du système central est une opportunité à saisir pour tous les Bretons, et, malheureusement, ils semblent rares, qui ont une vraie tête politique.
Christian Rogel