Dans les années 1970, de l'autre côté de l'Atlantique, au Québec, province du Canada, le pari fait par un nouveau parti politique, le Parti Québécois (PQ), de l'émancipation du peuple québécois et d'une indépendance du Québec pouvait sembler utopique. Peut-on faire le pari que, de façon analogue, l'année 2015 verra, à l'occasion des élections régionales, une nouvelle coalition politique entraîner la Bretagne sur la même voie ? Au Québec, deux conditions ont été à cela nécessaires : une mutation identitaire et une alliance nationalitaire.
La mutation identitaire
Alors que la province du Québec existait depuis longtemps dans un Canada fédéral (1867), les Canadiens de langue française continuaient de s'appeler « Canadiens Français ». Minoritaires dans l'ensemble canadien, les « nègres blancs d'Amérique » vivaient mal la domination anglo-saxonne qui faisait, par exemple, de Montréal la première ville française de langue anglaise au monde ! Et donc, comme dans toute lutte de libération nationale, naquirent des mouvements « souverainistes » non-violents et un mouvement indépendantiste qui eut sa branche armée, le Front de Libération du Québec (FLQ). L'assassinat du ministre du Travail de la province en octobre 1970 précipita la prise de conscience nationale au Québec et vit le Canadien Français ne plus vouloir s'appeler comme tel mais vouloir s'appeler Québécois. Avec en arrière-plan, bien entendu, le désir de se réaliser pleinement en allant vers l'indépendance d'avec le Canada, par des voies pacifiques.
En Bretagne, pareillement, la colonisation des esprits par la doxa française est encore bien vive. Cette colonisation fait que tout Breton de Bretagne est Français et Breton i.e Franco-Breton. Mais il est surtout Français, Français dans sa culture, Français en société et Français en politique. Le Franco-Breton n'ose parler que d'autonomie de la Bretagne. Alors qu'aujourd'hui, en Ecosse, en Catalogne, on parle sans fard d'indépendance, le Franco-Breton va évoquer une possible émancipation politique, sociale et culturelle de la Bretagne.
De fait, jamais une formation politique française en Bretagne n'a envisagé d'accoler à son intitulé le qualificatif « Breton » ou « Bretagne »: pas de Parti Socialiste Breton, un éphémère Parti Communiste Breton, pas reconnu, même combattu par son équivalent français, pas de RPR, d'UMP Bretagne, pas de MODEM breton, pas de VERTS bretons…Les seules formations actuelles à avoir ce qualificatif sont le Parti Breton, le Mouvement Bretagne Progrès, l'Union Démocratique Bretonne, Breizhistance-Parti Socialiste de Bretagne et Breizh Europa.
L'alliance nationalitaire
Le Parti Québécois s'était construit en regroupant plusieurs mouvements souverainistes et indépendantistes qui étaient apparus une dizaine d'années auparavant quand la revendication identitaire avait vu le jour. Parti progressiste, il rassemblait majoritairement, en termes de sensibilité politique, ce qu'en France, on appelle les sociaux-démocrates de gauche et de droite : une sorte d'union des nationalitaires québécois, les «Péquistes ». La cohabitation était apparue indispensable pour gagner la « guerre» de l'indépendance. Une fois cette dernière obtenue c'est-à-dire la « paix » gagnée, les deux sensibilités se seraient probablement séparées. Ce scénario n'a pas vu le jour car les deux référendums posant la question de l'indépendance ont rejeté cette option. Et le Parti est resté à l'identique et a malgré tout été en charge des destinées de la province pendant plusieurs mandatures. Son action s'est révélée très importante, redonnant aux Québécois la maîtrise de leur économie, de leur culture et en particulier de leur langue, le franco-québécois.
En Bretagne, peut-on faire le même pari d'une coalition politique construite sur la même équation politique rassemblant les sociaux-démocrates bretons de gauche comme de droite ? Faire le pari d'un regroupement de toutes les forces démocratiques bretonnes acté par un pacte unitaire « pour aller faire la guerre aux Francs » ! et gagner la paix de l'indépendance.
À l'heure de l'Europe et de l'effacement de la grande puissance des Etats-nations, la Constitution européenne étant adoptée, il est urgent de profiter de cette opportunité de renaissance des peuples européens opprimés. Les combats nationalitaires manifestent la construction d'envies collectives de vivre. Et malgré la France, cette envie est toujours vive en Bretagne.