Derrière les fêtes, les saints et les rites chrétiens se cachent, à peine, des traditions et des figures antiques. Certains s'en désoleront mais il est réconfortant de voir que cette mémoire humaine, si oublieuse parfois, c'est ce que l'on dit en politique, maintient contre vents et marées, des idoles et des traditions millénaires, contemporaines du néolithique, des mégalithes puis des Celtes.
Après tout, comment une croyance (superstition) pourrait-elle en chasser une autre ?, il n'y a bien souvent qu'un changement d'habit. La mise à bas des temples, remplacés par églises et chapelles, la mutilation des idoles et des stèles, la mise à mort des anciennes castes, l'oubli ou la transmutation des rites anciens, ne sont pas venus à bout, dans notre société bretonne du moins, de comportements mystérieux et déconnectés du passé, emprunt de mystère et de poésie.
Peut-être ne pourrons nous jamais démêler la confusion de ces antiques traditions, échouées dans notre temps. Mais, les choses étaient-elles plus claires à l'époque, pour ces savoirs transmis oralement et si dépendants du local. Ce passé pré-chrétien perdure de mille façons : saints étranges parfois réels, parfois symboliques (Yvi/if, Gwen/blanc/sacré, Houarn/fer, Ivertin/Irlande, Vener/venus), chapelles élevées sur nos « montagnes », étonnant culte de sainte Anne/Ana, de saint Michel terrassant le dragon, remplaçant le cavalier à l'Anguipède et Belen, culte des sources et des fontaines, arbre de mai, feux de la saint Jean, roues enflammées ou de la fortune dans les églises (culte de Jupiter/Taranis, Grannus ou Belen), métaphore du jeu de la Soule/sul (culte du soleil), correspondance des fêtes celtiques et chrétiennes (Imbolc/Chandeleur, Belten/1er mai, Samain/Toussaint), rite du tour de l'église, des tro minihy (Locronan), figures des Triades, des Sept frères et Sept saints, des vierges allaitantes ou couchées, culte des cerfs et des b½ufs, du géant, des nains (korrigans), toponymie antique (bel air), sirènes, morganes dans nos églises, enfer froid, etc.
Nous discernons encore à l'½uvre cette transmution des anciens mythes dans le culte du cerf. Ses bois ou ramures altières, paraient déjà la tête des hommes inhumés dans les tombes mésolithiques d'Hoëdic et de Teviec, gage de résurrection. On sait, en effet, que les bois de cerf tombent chaque année puis repoussent. Bien plus tard; un personnage cornu apparait sur le métal repoussé du fameux chaudron celtique de Gundestrup, le chaudron d'abondance, puis sur le pilier des Nautes de Lutèce. Sur le chaudron, Cernunnos, assis en tailleur à la manière bouddhique puis gauloise, paré d'un torque, exhibe sur son chef, de magnifiques bois de cerf.
Les siècles gallo-romains puis le christianisme l'effacent, mais Cernunnos tient bon. Ce dieu cornu préhistorique, préfigure sans doute Satan et le Diable, et ses cornes, la couronne et la tiare ... mais nous le voyons reparaitre en saint Edern, juché sur un cerf, à Lannedern, en saint Hubert à Cast (chasse de), en saint Thélau, montant un cerf, à Plogonnec, en saint Cornély, protecteur des bêtes à cornes !, à Tourch, Carnac, la Chapelle des Marais, Rochefort en Terre, Pluméliau. Le cerf apparait aussi dans les hagiographies de saint Hubert et de saint Eustache, et c'est encore la biche du roi Marc'h, la légende du cerf de Merlin (Myrddin le sauvage), où le cerf et l'homme sauvage ne font qu'un …
Les Gaulois, nos ancêtres, dans la clairière des cérémonies, entendaient le coup sec de la serpe dorée, la chute du gui dans le berceau des feuillages et dans leurs têtes taries de rêves, plissées comme de vieilles pommes suries, se répandait à nouveau un attirail de songe et de candeur. Nous n'entendons plus les joueurs de Carnyx, cet instrument en tôle de bronze, dans lequel, partant vers la mort, soufflent les guerriers du chaudron de Gundestrup, mais les dieux et les déesses anciennes, sous de nouveaux atours, errent encore, ressurgissent ici ou là et dans les songes qui perdurent.