Lorsque l'on consulte des cartes IGN ou le site Geoportail sur internet, il n'est pas rare en France aussi bien qu'en Bretagne de découvrir ici ou là le toponyme Belair (Bel-air, Beler). Il se pourrait bien sûr qu'un bourgeois eut l'idée autrefois de faire construire au pied de cette colline ou de ce tertre boisé, au bord de ce ruisseau, une maison de maître puis de baptiser le bel endroit de ce nom anodin. Il n'en n'est rien car bien souvent ces Belair, "bois, friches, ou landes, à l'écart des routes et des habitations, vivant dans l'étirement d'un temps à eux seuls consacré, sourds aux heurts et cliquetis de la plaine, nourrissent en leur sein végétal, dans le labeur des jours et des nuits, l'effervescence de la vie"; ces Belair, dis-je, font référence au dieu Belenos.
Les forêts sont rares en Bretagne, mais les taillis, les haies, les bois solitaires nombreux encore, et disjoints de l'homme parfois qui n'y pénètre que rarement. Plus encore que les forêts qui sont des jardins où croissent les baliveaux, les bois sont des palais délaissés, propices au rêve et à la déréliction où errent encore les faunes et les dieux pour qui les sait voir.
Pénétrons sous les frondaisons. "Bel-air dort ou fait semblant, renouant dans nos pas les liens des branches écartées, peignant à nouveau les herbes déchirées, reposant aussitôt les bruits éveillés comme des feuilles anciennes glissant près de terre".
Il s'y passe parfois des choses cruelles. Blaireau, notable local, y meurt dans les fers, en terribles souffrances, mais quand les chasseurs refluent et la fureur homicide avec eux, Bel, le dieu réprouvé, recouvre son royaume. Belen, Beler, Belinus, Belenos, le brillant, honoré encore le 1er mai (Beltaine) et lors des feux de la saint Jean, est une sorte d'Apollon, un dieu salutaire, solaire ou de la lumière, inventeur et guérisseur à la fois, le Mabon gallois, dont le culte se pratiquait sur les hauteurs et dans les clairières sacrées. Est ce le Belin du roman de Renart. Ausone, poète de Bordeaux, parle de Belenos, ainsi que Tertullien puis Hérode. En Irlande, Beli ou Bilé est le père des dieux et des hommes. Ce fut aussi un souverain du royaume de l'île de Bretagne, selon l'Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth.
Bel a donné son nom à la fontaine de Barenton, à la forêt du Nevet, au Nivot (Braspart), à Tombelaine (près du mont Saint Michel) et non tombe d'Hélène. A noter que saint Ronan, tel un druide, se serait réfugié dans la forêt et sanctuaire du Nevet.
Plus qu'en forêt, pénétrer dans un bois comporte des périls car sitôt, "Pan s'éveille, son cortège dansant au son de la flûte s'égare sous les pampres, Beler, Segomo, Camulus, gardiens du temps et du mouvement, des sources, des lacs et des ruisseaux, dieux aux trois visages, déesse-jument, statuettes de bois et d'argile rongées de pluies, péries à vau-l'eau, ameutent au temple de verdure consacré les va-nu-pieds levant les yeux aux cimaises où savent jouer les ocelles et les fuseaux du soleil".
Cheminons dans la cépée, "dans les vals accotés de mystère, les arbres aux jaillissements modestes ne sont pas de ces rois dont la force domine. Ils sont las ces sujets aux visages pâlis envahis de ridules, branlant du chef sous le martèlement des nuages et leurs yeux emplis de larmes et leurs bras faibles brandis vers l'horizon défendent d'y venir pénétrer sans y laisser un peu".
Mais toujours, Belenos se dérobe à la vue, vaincu deux fois, par le vrai Dieu d'abord, par les Lumières ensuite. Bel, le brillant, le lumineux, se dissout à chacun de nos pas, sa forme prosaïque rejoint l'éther et paria, il trouve en poésie son dernier refuge.
Notes :
• Nemeton : sanctuaire en Gaulois
• Barenton, Bel Nemeton, cité dans le roman de Rou de Wace en tant que Belleton
• Tombelaine : tumulus de Bel