Deux films islandais sont proposés actuellement aux cinéphiles de Bretagne et du reste de l'hexagone : "Back soon" et "Jar City".
À ceux qui pourraient s'étonner de l'intérêt soudain porté sur un média breton, l'ABP, à l'Islande, il faut redire qu'il y a moins de 350 000 personnes dans le monde qui parlent islandais, c'est à dire la quasi-totalité de la population de la République d'Islande (qui a reçu depuis une quinzaine d'années un peu plus de 15 000 immigrés, dont 8 500 Polonais), plus quelques milliers d'Islandais émigrés au Danemark, ailleurs en Europe continentale et en Amérique du Nord.
Or ce petit pays compte deux quotidiens en islandais et deux chaînes de télévision, édite plus de 2 000 livres par an en islandais et compte parmi ses écrivains contemporains un Prix Nobel de littérature en 1955 : Halldor Kiljan Laxness (1902-1998) et plusieurs auteurs vivants dont les œuvres sont traduites et publiées dans de nombreux autres pays du monde.
L'exemple de l'Islande est tout à fait stimulant pour les divers pays et régions d'Europe où des langues parlées par seulement quelques centaines de milliers de locuteurs sont aujourd'hui très menacées, dont la langue bretonne. Le formidable succès des romans policiers d'Arnaldur Indridason (qui est en Islande un peu comparable à Hervé Jaouen ou à Jean Failler en Bretagne, eux-mêmes bien sûr très différents l'un de l'autre) et la diffusion internationale de ces deux films méritent notre attention et constituent une belle réponse à tous ceux qui considèrent avec mépris ou condescendance la littérature bretonne d'hier et d'aujourd'hui et les œuvres cinématographiques des réalisateurs de Bretagne aujourd'hui.
"Back soon" est un petit régal d'humour. Ce film islandais de Solveig Anspach est sorti en salles le 20 août dernier. Il dure 1 h 32 et a pour cadre la capitale, Reykjavik, dans l'agglomération de laquelle vivent aujourd'hui les deux tiers des 315 000 Islandais. C'est une comédie complètement déjantée. L'héroïne, Anna, y vit avec ses deux fils, mais lassée du climat rigoureux du pays, elle a décidé de vendre son commerce (le trafic de marijuana) afin de pouvoir quitter l'île. Le "repreneur" auquel elle va céder son téléphone portable (objet magique qui contient les coordonnées de tous ses clients) lui demande 48 heures pour rassembler l'argent. Pendant ce laps de temps, Anna va se trouver entraînée dans tout un tas d'histoires ô combien islandaises ponctuées de rencontres inattendues et loufoques... En attendant, chez elle, c'est le gros squat !
Solveig Anspach est une réalisatrice américano-franco-islandaise. Son père américain est né à Berlin de mère roumaine et de père allemand, a débarqué en Normandie, est resté en France, y a étudié aux Beaux Arts et y a rencontré une Islandaise, née à Vestmannaeyjar (Islande), venue elle en France étudier l'architecture. Ils se sont mariés à New-York, mais en raison du maccarthysme, ils sont revenus vivre à Paris.
En dehors de Julien Cottereau, comédien et mime français qui avait déjà joué en 1999 dans un précédent film de Solveig Anspach, "Haut les cœurs", les principaux acteurs du film sont islandais : Dida Jonsdottir, Tomas Lemarquis et Ingvar E. Siguurdson. Ce film n'est malheureusement diffusé que dans un tout petit nombre de salles en Bretagne et risque de ne plus rester longtemps à l'affiche, mais il faut espérer qu'il pourra être projeté à nouveau à l'occasion de festivals ou d'autres manifestations.
"Jar City"qui va sortir demain en salles, bénéficie d'un lancement beaucoup plus important. Il faut dire que c'est l'adaptation au cinéma d'un roman policier noir d'Arnadlur Indridason paru en Islande en 2000 sous le titre "Myrin"(ce qui signifie marais) et en français sous le titre de "La Cité des Jarres", qui a connu un formidable succès en librairie.
Traduit déjà en plus de 20 langues, ce premier roman d'un auteur qui a aujourd'hui 47 ans, a lui aussi pour cadre Reykjavik et touche à une actualité brûlante puisqu'il évoque la constitution d'une banque de données unique au monde : celle qui concerne la santé de quelque 580 000 Islandais ayant vécu depuis un siècle ou vivant aujourd'hui dans l'île. C'est le nombre de personnes pour lesquelles on dispose d'un dossier médical depuis la création du Service national de santé en 1915. Ces dossiers contiennent de précieuses données (diverses pathologies et problèmes de santé, durée de vie, cause de décès, etc.) et, de plus, 120 000 Islandais (près de 40% de la population) ont été volontaires ces dernières années pour donner leur ADN.
Le gouvernement islandais a passé des accords avec des universités nord-américaines, des institutions de recherche et des sociétés pharmaceutiques pour qu'elles puissent traiter toutes ces données et travailler par exemple sur les maladies rares et les maladies génétiques afin de mettre au point demain de nouveaux médicaments. La population islandaise est en effet composée presque exclusivement de colons arrivés dans l'île, jusqu'alors déserte, aux IXe et Xe siècles et, pendant un millénaire, elle n'a pratiquement pas reçu d'autres immigrants. C'est donc, parmi les quelque six milliards d'habitants de notre planète, un échantillon d'un intérêt scientifique exceptionnel pour l'étude de nombreuses pathologies, mais, en même temps, la constitution et l'exploitation de ce fichier, évidemment entourées d'un secret médical absolu, et l'exploitation massive des ADN de toute une population posent des problèmes éthiques nouveaux, qui intéressent à terme l'ensemble de l'humanité. Bien plus encore que les OGM chez nous, cette question a suscité d'immenses débats et controverses en Islande ces dernières années.
Le film lui-même, sorti en Islande en 2006, a passionné les Islandais et a été vu par 103 230 spectateurs, soit le tiers de la population ! (C'est comme s'il y avait eu 1 400 000 Bretons à aller le voir). Ce film n'a, lui, rien de drôle et c'est même un film dur, voire glauque, à déconseiller absolument à tous ceux qui vont d'abord au cinéma pour se détendre et se distraire. La première séquence est consacrée à la mort et à l'embaumement d'une fillette de quatre ans au visage bleuté et fiévreux, mis en parallèle avec l'exhumation d'une autre enfant décédée 30 ans plus tôt, dont le cerveau a été dérobé.
Voici qu'un critique a écrit sur ce film : “... Se succèderont alors un amoncellement de cadavres déterrés, de corps putréfiés, meurtris, ridés, de chairs en décomposition ou conservés dans du formol et de viande cuite à en vomir, le tout intégré à un récit malade et complexe qui se clarifie au fil du temps, pendant qu'à l'écran tout s'assombrit. Secrets déterrés, personnages louches aux traits grossiers et effrayants, génétique et maladie héréditaire, histoire de viol avec un soupçon de pédophilie : nul n'est épargné et certainement pas le spectateur. Refermant plus que jamais l'île sur elle-même et générant une ambiance claustrophobe et nauséabonde, Kormakur fait de l'Islande, de ses paysages immenses et désertiques aux teintes essentiellement brunes, jaunes et bleues une espèce de laboratoire plastique et éthique où chaque couleur devient celle de la mort, comme si l'île entière était gangrénée par des chairs en décomposition n'attendant que le bon moment pour ressurgir de ses marécages infernaux”.
Le roman d'Arnaldur Indridason était noir, mais ce film l'est plus encore. Pourtant en Islande, son réalisateur, Baltasar Kormakur, a remporté, à juste titre, le prix du Meilleur Réalisateur de l'année ; Ingvar Eggert Sigurðsson a, lui, empoché le Prix du Meilleur Acteur. L'Award de la Meilleure Musique de film est revenu à Mugison, et Atli Rafn Sigurdarson a remporté le Prix du Meilleur Acteur dans un second rôle.
"Jar City" est également reparti de la cérémonie avec la statuette du Meilleur Film. Les autres acteurs de ce film qui dure 94 minutes, sont Agusta Eva Erlendsdottir, Björn Hlynut Haraldsson et Olavia Hrönn Jonsdottir...
Il est sûr que ce film cauchemardesque ne donne pas une image très attrayante de l'Islande, qui est par ailleurs un pays d'une beauté à couper le souffle, un pays de volcans et glaciers, d'immenses espaces sauvages, de geysers, de fjords impressionnants, de dizaines de milliers de poneys à moitié sauvage et peuplé de gens courageux, accueillants et formidablement cultivés...