La centralisation des pouvoirs et des décisions est le “mal français” par excellence. Son origine date de la fin de l'époque féodale et des débuts de la monarchie (XIIIe/XIVe siècle). Il s'agissait alors principalement d'un essai d'unification des divers droits juridiques en vigueur issus du droit romain, du droit germanique et des droits coutumiers dans une France qui n'existait pas encore, morcelée par les invasions. Vint ensuite une montée en puissance de la monarchie royale face à un affaiblissement progressif des pouvoirs féodaux locaux, en grande partie dû aux droits de succession. L'apogée du système se situe avec les rois “Louis” des XVIIe et XVIIIe siècles. Les rois étendent alors leur autorité dans tous les domaines, territoriaux, administratifs, militaires puis économiques et sociaux. Napoléon et les républiques n'ont fait que profiter de la situation établie en la renforçant grâce à des moyens plus modernes, plus efficaces, plus adaptés à un contrôle total des activités du pays y compris dans des domaines tels que l'éducation et depuis peu, la culture.
Aujourd'hui, l'État a atteint - comme on dit dans l'entreprise, son niveau d'incompétence - à force d'accaparer des pouvoirs fort éloignés des seules missions régaliennes qui auraient dû rester les siennes, et il réfléchit à la manière de se débarrasser des responsabilités que ces pouvoirs entraînent tout en en gardant gloire et usufruit. Il appelle cela décentraliser. Le gouvernement actuel entend donc procéder à un troisième acte, un premier ayant eu lieu selon lui en 1982 et un second en 2003/2004 avec les lois Raffarin et l'accueil hypocrite du mot “décentralisé” dans la Constitution.
Première concrétisation de cette volonté affichée : un “document de travail” qui a été transmis aux associations d'élus le 10 décembre 2012. Celles-ci ont tout de suite constaté un flou que, dans certains milieux on qualifie d'artistique, dans la composition de nouvelles instances envisagées : Haut Conseil des territoires, conférences territoriales de l'action publique, compétences générales des régions et départements, reconnaissance et compétences accordées à des “métropoles”, etc.
Le 7 janvier, la ministre en charge, Marylise Lebranchu, à la tête d'un ministère où l'on a entassé pêle-mêle réforme de l'État, décentralisation et fonction publique, déclarait au cours de ses v½ux : « Le principal levier de ce projet de loi, ce n'est pas le transfert, mais le contrat », ce qui annonçait une sorte de décentralisation “à la carte” au moyen de parlottes entre État - représenté par ses préfets - et collectivités, tous les 5 ans, compétence
par compétence, pour aboutir à un contrat « définissant des modalités concrètes d'exercice dans le respect du principe de non tutelle d'une collectivité sur l'autre » selon les termes reportés par la gazette des communes. En clair, on ne touche pas au millefeuille mais on permet à chaque feuille de “vivre sa vie”. C'est tout au moins ce qu'a pensé et dont s'est inquiété Jean-Claude Mailly, le président de F.O. le syndicat prédominant dans la fonction publique. Le président de la R.F. l'a rassuré en disant : « Le caractère unitaire de notre État ne saurait être remis en question » Quelques jours après, Jean-Luc Mélenchon claironnait « décentralisation, une machine à déchiqueter la République ». A la mi-janvier, un texte présenté au Sénat faisait état d'un nouveau mode de scrutin cantonal, du conseil général dénommé désormais conseil départemental à la compétence générale limitée à l'action sociale, une organisation par le préfet de la “métropolisation”. Le mic-mac en quelque sorte.
Aux dernières nouvelles on apprenait que le projet de loi ne pourra pas être présenté en conseil des ministres avant mars 2013, une première lecture en assemblée reportée à la fin de la session parlementaire en été, une adoption pas avant l'automne. En conclusion, peu de chances que cet Acte III voit le jour avant la fin de l'année ! Paul Chérel