Da Martial Ménard,
Martial evit o trugare
Met digaresit galleg ar pennad-mañ, siwazh ! Peogwir, ne skrivan ket ma brezhoneg gant ma daoulagat met gant ma divskouarn !
C'est ainsi et tu le sais, mon écriture en breton… est écrite comme je l'entends car je n'ai jamais reçu l'enseignement de ma langue maternelle, si ce n'est celle orale de ma grand-mère qui, pour des raisons de migrations familiales à une époque tourmentée, dut me la réapprendre trois fois ! Pas moins !
En effet, une maternelle à Kemper et une autre à Chambéry me l'avaient extirpée de la tête pour la remplacer par le seul français : ce qui eut l'heur, à mon retour à la maison de la faire sortir de ses gonds car, à juste raison, elle estimait que dans la tête de sa petite fille - comme dans celle des autres enfants - il y avait et il y aura toujours de la place pour plusieurs langues, à commencer par celle du Pays.
Et depuis, le cours de la vie étant ce qu'il est, et à défaut de trouver le temps de l'étudier, j'ai appris à mieux la lire et aussi à orthographier ses mots : mes factures de corrections d'écrits en breton ont été divisées par deux !
Mais, ses mots dans ma tête n'ont pas d'images. Et n'en auront jamais, je pense. À l'encontre des mots français qui y ont été imprimés. En effet, épelés syllabe après syllabe sous le guide de la baguette de bambou sur tableau noir et calligraphiés sur cahier entre deux lignes en tirant la langue, car en jouant sur les mots, ce n'était pas celle de la maison… dans ma tête cette différence entre les deux langues, celle reçue et celle enseignée, est une réalité physique qui demeure ancrée : j'écris le français comme je le vois, le breton comme JE L'ENTENDS dans ma tête, ceci au sens strict du terme.
Car pour moi la langue bretonne “sonne” comme une gwerz. Les courbes de son accent induisent dans la phrase l'équilibre des mots comme un chant s'appuie sur la vocalise des notes comme sur autant de pieds afin d'atteindre à l'harmonie. Je n'en connais ni la grammaire ni les syntaxes et autres arcanes régulières et irrégulières dont tu explicites si bien les arpèges… oui, les arpèges car pour moi cette langue sera toujours musique.
Setu trugarez, mil gwech trugarez evit ar geriadur nevez deut e-maez gant 51 116 prenestr digor bras war ar yezh !
Merci pour les innombrables fois où, ayant dû te déranger de cette rédaction, ouvrage majeur de tant et tant d'années de travail, de recherches, d'écriture solitaires, tu était toujours disponible pour faire une correction rapide ou cerner une orthographe que je ne trouvais nulle part ailleurs, soucieux de minutie et de nuance des propos afin de préserver à l'extrême le goût fruité de cette langue si colorée et si chantante.