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Ferdinand Tönnies
Ferdinand Tönnies
- Chronique -
Communauté et société
La différence entre communauté et société a été théorisée par Ferdinand Tönnies (1855-1936). Il est important de distinguer les aspirations communautaires et les aspirations sociales.
Par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM le 29/06/18 11:37

Le langage courant fait la différence entre communauté et société.

On dit "communauté de vie" et non "société de vie". En revanche, on dit "société civile" et non "communauté civile". Nous bénéficions d’une part de la Sécurité Sociale, d’autre part de solidarités communautaires.

Dans les conflits sociaux, la revendication est l’égalité ou la justice, contre la discrimination. Les conflits communautaires revendiquent au contraire la différenciation.

La différence entre communauté et société a été théorisée par Ferdinand Tönnies (1855-1936). Contentons-nous d’exprimer ses observations en quelques mots.

La communauté, Gemeinschaft, est un ensemble organique, qui se caractérise par des solidarités assumées par des individus, unis par une proximité affective, culturelle et spatiale. C’est aussi une communauté de souvenirs et d’activités. Il y a entre les membres de la communauté un consensus, un plaisir à "vivre ensemble".

La société, Gesellschaft, est une superstructure qui administre des citoyens. Ce qui les rassemble, c’est la soumission aux mêmes lois. Chacun vit séparé des autres, avec une claire conscience de ses intérêts individuels. La société est un ensemble mécanique qui se caractérise par des égoïsmes que les lois permettent de maîtriser. Les lois, règlements et normes, édictés par le sommet de la hiérarchie, sont nécessaires à la pérennité d’une société.

Tönnies admettait avoir été influencé par Karl Marx. Derrière la différence entre société et communauté, il faisait sans doute la différence entre le socialisme, à objectif social, et le communisme, à objectif communautaire. C’était il y a bien longtemps, avant les expériences socialistes et communistes…

Quand on parle de nationalisme breton, on parle d’une communauté et des moyens de la faire perdurer et s’épanouir. C’est à la communauté que pensait Morvan Lebesque quand il écrivait : "A cette heure, des enfants naissent en Bretagne... Seront-ils bretons ? Nul ne le sait... A chacun, l'âge venu, la découverte... ou l'ignorance... ". Les communautés fonctionnent selon le schéma darwinien reproduction-variation-sélection. Le mouvement y est continuel. La communauté se reproduit, varie et sélectionne en permanence ses variations. L’affirmation identitaire, la différence linguistique, la création culturelle sont des composantes du nationalisme. L’objectif du nationaliste est la reproduction de la communauté et la transmission de ses richesses, immatérielles et matérielles.

Régionalisme, autonomisme, fédéralisme, ou indépendantisme sont des objectifs qui concernent la société bretonne. L’évolution d’une société est différente de l’évolution d’une communauté. Les stratégies sociales sont donc différentes des stratégies communautaires.

L’évolution des sociétés est rythmée par des révolutions sociales, politiques ou technologiques. C’est le cycle accumulation-destruction-substitution que l’on peut attribuer à Joseph Schumpeter (1883-1950). Karl Marx (1818-1883) avait dit à peu près la même chose, avec une autre perspective : lutte de classes-révolution-nouvelle société. Joseph Tainter (1949-…) a théorisé l’effondrement des sociétés complexes. Il aurait dit complexification-effondrement-nouveauté. Sous diverses dénominations, et à partir d'observations technologiques ou socio-politiques, le mécanisme est le même. La société est une machinerie sociale et elle fonctionne de façon mécanique. Elle obéit à une logique. Quand cette logique n'est plus adaptée, elle en adopte une autre.

Dans la société, les rapports sont fondés sur des intérêts. Tout regroupement social vise à sauvegarder ou à maximiser les intérêts du groupe. La première demande est une demande de sécurité ; ensuite vient la demande d'avantages divers.

Dans la machinerie sociale mise en place depuis la Renaissance, la pièce maîtresse qui peut octroyer sécurité et avantages sociaux est l’État. Le culte de l'État se décline sous diverses formes : commémorations, démarches citoyennes, diplômes de l'Education nationale, "défense des services publics" (En France, c'est le centre des impôts et non la boulangerie qui est considérée comme un service public). Le Français, à travers la sécurité sociale, la retraite et les diverses allocations, est un pensionné de l'État. D’autres pièces de la machinerie sociale peuvent produire de la protection et des avantages sociaux : maffias, entreprises, lobbys, religions, associations, institutions régionales ou locales. La relation des citoyens à l’État peut alors devenir, soit distante, soit relative, soit problématique.

Pour qu'une société bretonne se développe, quelle que soit sa forme, il faut que la relation des Bretons à l’État français devienne, soit distante, soit relative, soit problématique. La promesse du maintien des pensions doit reposer sur une autre pièce de la machinerie sociale : maffias, entreprises, lobbys, religions, associations, institutions régionales ou locales. L’existence de la communauté bretonne ne suffit pas ; la différence communautaire ne vaut pas légitimité sociale, ni sécurité, ni avantage.

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