J’ai appris avec surprise hier que l’on parlait beaucoup du littoral breton en très hauts lieux, dans les ministères actuellement très peuplés par des Bretons et des Bretonnes – à ce propos autre information permettant de compléter mon précédent article sur les ministres bretons de la République, la famille maternelle de Mme Myriam El Khromi, ministre du Travail, est originaire d’une commune au Nord du Conquet. Et oui, encore une ministre bretonne. Pour le littoral, avec ses plus de 1000 kms de côtes et ses innombrables îles, célèbres dans le monde entier, il est très riche et pourrait même constituer un élément d’entraînement de l’économie de la République actuellement en difficulté.
C’est une surprise parce que c’est tellement évident. Il suffit de regarder la carte de l’Europe. La Bretagne est une péninsule, une presqu’île comme je l’ai écrit souvent qui s’avance dans la mer. Elle est la porte sud de la Manche, la voie maritime la plus importante du monde, et permet d’entrer dans la région la plus riche de notre chère et belle planète. Et cette situation n’a pas échappé à nos prédécesseurs. Le littoral breton a toujours été occupé. Le Cairn de Barnenez se situe sur une presqu’île en face de Carantec et les célébrissimes alignements de Carnac sont sur la côte morbihannaise. Quant aux îles, dans le golfe de Morbihan, on trouve les magnifiques dessins gravés dans le cairn de Gavrinis. Mais le top est bien sûr constitué par les tombes de la fin du mésolithique (vers 6000 avant JC) de Téviec et de Hoëdic, tombes de pêcheurs-cueilleurs, considérées parmi les plus précieuses de l’histoire de l’Humanité.
Le Grand César bien sûr ne s’était pas trompé. Il lui fallait s’emparer absolument de ce littoral contrôlé par ses habitants et surtout les Vénètes. A ce propos s’ouvre vers le mois de juin à Vannes, Diorren, centre d’histoire, où l’on pourra de manière ludique apprendre l’histoire de la Bretagne et même voir un film retraçant la fameuse bataille des Vénètes. Faisons encore un bon dans le temps, mais pas trop. A partir de 250 après Jésus-Christ, l’empire romain est en déclin et une de ses préoccupations principales fut de protéger les côtes de la Manche avec son fameux tractus armoricanus implantant sur toutes les côtes des populations venues de l’intérieur de la Bretagne insulaire, les Lètes, qui seraient peut-être à l’origine des Plous. A la fin de l’Empire, comme je l’ai déjà montré, où s’installèrent nos fameux saints bretons ? Mais bien sûr en priorité sur les côtes et dans les îles. Et je dois encore le répéter, il ne faut pas voir les îles bretonnes comme des déserts : elles formaient des havres où l’on pouvait se ravitailler en eau et en nourriture. Et elles étaient beaucoup plus peuplées qu’aujourd’hui. Sur les cartes les plus anciennes, que voit-on ? Les lieux qui intéressent le plus les navigateurs, les noms des ports et des îles. Ce n’est pas sans raison que dans le port du Conquet furent tracées au XVe siècle des cartes qui paraît-il servirent à Christophe Colomb pour son illustre voyage transocéanique.
Au Moyen Age, le littoral breton était essentiel et les Vikings le comprirent bien vite, s’installant surtout dans les îles et sur les côtes. L’abbaye de Landévennec, richissime et puissant monastère côtier (à l’entrée de la presqu’île de Crozon) fut attaquée et détruite par eux. Selon la tradition, c’est à partir d’elle et avec l’aide des moines que le duc de Bretagne réussit à chasser les Vikings au Xe siècle. D’autres indices prouvent que pendant cette époque ce littoral resta source de richesse et de puissance. De très nombreuses mottes féodales datant du XIe et du XIIe se situent sur les côtes, surtout à l’entrée de rivières, contrôlant les trafics maritime et fluvial. Certaines sont devenues des châteaux-forts, comme Fort La Latte ou le château de Trémazan. Les seigneurs côtiers pouvaient rivaliser avec les ducs de Bretagne, tels les seigneurs de Dinan ou les vicomtes de Léon. Il fallut rien moins que trois expéditions à Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, alors régent de duché de Bretagne (1166-1181) le plus important souverain de l’Occident chrétien, pour soumettre ces vicomtes de Léon. Les ducs de Bretagne de la maison de Dreux (1213-1341) durent débourser des sommes énormes pour acheter ces seigneuries, la vicomté de Léon, la seigneurie de Dinan. Et encore pas. Pour cette dernière qui appartenait alors à leurs rivaux, les Avaugour (de la maison ducale de Rennes), ils ne purent qu’acquérir que la partie Nord. Les Avaugour finirent même par l’emporter obligeant le duc Jean III (mort en 1341) à accepter le mariage de son frère cadet et héritier à la fille d’Henri III d’Avaugour qui tirait une grande partie de ses revenus de son Goëlo (grande région littorale) et de Dinan et de sa région. Le centre de son pouvoir et de celui de ces descendants (les Penthièvre-Bretagne) demeurait l’abbaye de Beauport fondée en 1202 par son ancêtre Alain de Rennes, dit de Goëlo, régent de Bretagne de 1209 à 1212 (soit Alain V de Bretagne).
Jean III comme ces prédécesseurs de la maison de Dreux ne s’y trompèrent pas car, ducs très industrieux, ils installèrent leur résidence principale sur la côte, à Suscinio, au bout de la presqu’île de Rhuys alors développée par l’abbaye ducale de Saint-Gildas, une des plus riches et des plus anciennes d’Armorique. Ainsi donc les monastères les mieux pourvus avaient reçu des revenus côtiers et îliens : Landévennec, Beauport, Saint-Gildas, Saint-Georges de Rennes qui eut une partie de la paroisse de Plougasnou, au nord de Morlaix, Sainte-Croix de Quimperlé qui disposait de Belle-île et qui ira jusqu’au pape pour la récupérer lorsque le duc Jean III tenta de la leur prendre, Saint-Mathieu (près du Conquet) avec son fameux phare. Ces abbayes ne furent pas les seuls établissements religieux à tirer leur fortune du littoral. L’évêque d’Alet transféra au XIIe siècle le siège de son diocèse sur une île, Saint-Malo de l’Isle. L’évêque de Dol, qui se disait archevêque de Dol ou de Bretagne, avait sa cathédrale les pieds dans l’eau, ou presque. Ses collègues de Saint-Pol-de-Léon et de Vannes étaient tout aussi côtiers.
On sait que le conflit entre l’Angleterre et la France reprit en 1294 après une véritable bataille navale entre les sujets du roi d’Angleterre et ceux du roi de France. On s’affronta pour savoir qui allait le premier s’approvisionner en eau sur les îles au large du Conquet. Et la guerre de Cent ans débuta alors. On peut se demander quels furent les moyens de Jean de Montfort, demi-frère cadet de Jean III, pour oser réclamer le trône breton en 1341 ? En fait, il disposait d’une importante fortune bretonne constitué de revenus côtiers : Guérande avec ses salines et les biens familiaux dans le pays de Retz. Le roi d’Angleterre ne s’y trompa pas en soutenant ses revendications. A sa mort, le roi devint le régent du duché pour le fils mineur de Jean de Montfort et put ainsi, de plein droit, installer ses troupes en priorité bien entendu sur les ports et dans les îles. Louis d’Espagne, amiral de France, tenta de les en chasser, mais en vain. Ces bases anglaises permettaient tout simplement de sécuriser les liens maritimes entre l’Angleterre et l’Aquitaine anglaise. Comme l’a montré l’historien Michael Jones, le château de Brest, l’un des plus considérables de l’Occident chrétien, fut financé par les Anglais.
Lorsque le duc Jean V mit fin en 1421 à la guerre de Succession de Bretagne, un de ses premiers actes fut de s’occuper de la défense du littoral breton. Mais ce fut sans doute l’industrieux Pierre Landais (mort en 1485), le premier ministre du duc François II (le père d’Anne de Bretagne) qui ouvrit en grand à la Bretagne les portes de son âge d’or. Il fit de la Bretagne une puissance thalassocratique qui était en train d’emprunter les mêmes voies que le Portugal et la Castille. Sept ans plus tard, la cousine d’Anne de Bretagne, Isabelle de Castille devenait la plus riche du monde lorsque son navigateur Christophe Colomb découvrit l’Amérique.
Mais la Bretagne perdit la guerre contre le roi de France ou plutôt la régente Anne de France et Anne de Bretagne dut épouser en 1491 Charles VIII puis Louis XII. Elle tenta bien sûr de marier ses filles à Charles Quint, héritier du plus grand empire maritime du monde à l’époque, mais ce fut en vain. Son règne en Bretagne, qui en fait a été très peu étudié, pourrait montrer qu’elle tenta de suivre la politique de Pierre Landais dont elle protégea la famille : de permettre à la Bretagne d’être un grand pays maritime comme l’Espagne, le Portugal, et bientôt les Provinces Unies et l’Angleterre. Bien sûr c’est sous François Ier, son successeur (le mari de sa fille Claude, dernière duchesse souveraine de Bretagne), que le malouin Jacques Cartier partit découvrir le Québec, mais ce roi préférait les forêts pour chasser, les champs de bataille et les belles femmes. Il était avant tout un continental entouré de continentaux. Ses amis et cousins bretons qui l’avaient soutenu étaient eux aussi des seigneurs continentaux (Rieux, Laval-Vitré, Rohan).
Il faudra attendre Richelieu pour voir l’Etat royal s’intéresser vraiment au littoral breton. Le cardinal devint gouverneur de Brest. Il maria des membres de sa famille à des héritières bretonnes, dont la baronne de Pont-L’Abbé. Il lui fallait contrôler les côtes. Il fit démanteler des forteresses bretonnes côtières appartenant à la noblesse bretonne. L’Angevin Fouquet (marié lui aussi à une riche héritière bretonne), ministre des finances du jeune Louis XIV, suivit la même politique et s’intéressa aux côtes et aux îles bretonnes. Il devient marquis de Belle-Isle. Mais Fouquet fut arrêté net. Louis XIV choisit le champenois Colbert et sa politique terrienne.
Toutefois, la Bretagne n’a pas attendu les grands agents de l’Etat pour développer son littoral. C’est l’âge d’or breton. De ces ports, devenus parmi les plus importants d’Europe, Nantes, Saint-Malo, Brest, Port-Louis, Lorient, partirent de grands navires transportant les produits bretons, le blé, le vin du pays nantais et surtout surtout les toiles tissées dans l’intérieur de la Bretagne (régions de Loudéac et du Haut-Léon).
Et oui, les côtes étaient étroitement liées à l’intérieur. L’Amor vivait alors en symbiose avec l’Argoat. Et ce n’était pas nouveau. Pour passer de la Manche au golfe de Gascogne, le marchand avait deux choix – car longtemps on ne sut guère naviguer en haute mer : soit faire des petits bonds sur les côtes bretonnes, sautant d’un havre à un autre, et attendre parfois une semaine au Conquet le passage ; soit transférer ses marchandises dans un bateau fluvial qui remontait la rivière et ainsi traverser la Bretagne. Par exemple, la région de Locarn, alors très peuplée, était une des zones de rupture de charge. Autre indice de ce lien : il est étrange de voir autant de riches nobles bretons disposant à la fois de seigneuries sur les côtes et dans l’intérieur de la Bretagne : les Léon furent seigneurs de Maël-Carhaix et la marquise de Tymeur (qui employa le chef des bonnets rouge Sébastien Balp) dans la région de Carhaix était la cousine germaine de Louise de Kerouale, noble de Guilers. Autre exemple : le second de Bougainville, Fleuriot de Langle avait à la fois des terres sur la côte trégoroise et la motte féodale de Carnoët (là où l’on trouve la vallée des saints). Bien sûr Colbert et sa politique continentale mercantiliste et protectionniste mit un frein à l’ouverture de la Bretagne.
Toutefois, deux personnages du XVIIIe siècle comprirent l’importance du littoral breton. Ils étaient tous deux princes : l’un était le duc de Penthièvre, 3e fortune du royaume, amiral de France et de Bretagne, et l’autre fut son cousin Louis XVI, roi de France et de Navarre, guillotiné comme tout le monde sait. Pour le second, on commence à mieux connaître sa politique maritime. Pour le premier, on ne fait que l’entrevoir. Et oui, les historiens ont encore du pain sur la planche.
Et la Révolution arriva et on sait que l’Angleterre, vaincue par les flottes de Louis XVI et ruinée par la guerre d’Indépendance américaine, joua le rôle de financier. Ce n’est pas pour rien que Robespierre fut nommé le grand incorruptible car il fut un des rares à ne pas avoir touché de pots de vin. Beaucoup d’autres en croquaient : Danton, Hébert, etc. Mais chutt ! Il ne faut pas trop le dire. Et la très industrieuse et très ouverte Bretagne fut fermée… et ses îles si importantes pour les liens maritimes furent occupées… par les Anglais. La flotte anglaise bloquait tous les ports bretons. On crevait de faim dans les ports breton durant la Révolution et l’Empire.
Après 1815, la Bretagne devint une région essentiellement agricole. Alors qu’avant la Révolution, son aristocratie embarquait sur les navires pour aller au loin, comme le père de Châteaubriand qui fit ainsi fortune, après, les nobles devinrent essentiellement des propriétaires fonciers. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle-début du XXe siècle, que les Bretons retrouvent la mer. L’industrialisation, la mondialisation du commerce maritime, les besoins en produit de la mer des urbains de plus en plus nombreux, l’expansion coloniale de la France requièrent de nombreux marins expérimentés et les Bretons sont habitués à la mer. Nombreux sont les Bretons, souvent inscrits maritimes, parmi les marins de commerce, dans la marine de pêche, ou dans la marine de guerre ou la Royale. En 1850, 20 % des effectifs de la Royale sont Bretons, en 1936, ce sont 73 %. La vie quotidienne sur les côtes et dans les ports grands comme petits est rythmée par les marées, les embarquements, les retours de mer. La vie est dure pour les marins et leurs familles, bien trop souvent ponctués par des drames. Et les Paimpolaises en savent quelque chose attendant Terre-neuvas et pêcheurs d’Islande dont certains ne revinrent jamais. La crise de la sardine à Douarnenez (1902) et dans le pays bigouden entraîne bien des misères. Le ramassage des goémons, des huîtres et du sel, n’a rien d’une partie de plaisir.
Et en fait, deux mondes vont coexister : l’Amor, la côte, et l’Argoat, la terre, l’un regardant l’autre un peu de travers. Pour l’Etat, alors seuls comptent les ports de guerre, Brest, Lorient bien sûr et tout le réseau ferroviaire en Bretagne a été conçu dans un seul but : approvisionner ces ports d’où partent les navires de guerre qui permettent de gouverner le second empire colonial de la Planète. Et vers ces ports sont drainés d’importants éléments du dynamisme breton et surtout sa jeunesse. Après la Seconde guerre mondiale et la perte très progressive de cet empire, il faut trouver d’autres solutions. Le CELIB mentionne qu’il faut développer les ports, mais sur ce point il n’a guère été écouté. L’initiative est surtout privée. Ce sont les paysans léonards qui se réunirent et créèrent la Brittany Ferries (années 1960) et permirent ainsi de développer le port de Roscoff. Saint-Malo, Le Guilvinec deviennent d’importants ports de pêche. Mais… les ports bretons pourtant à l’entrée de l’Europe, région rappelons la plus industrielle du monde, ne sont pas employés… et cela pour le plus grand profit du Havre (où vit une population à moitié bretonne). On voit des produits bretons partir par camion vers le Havre, alors que l’usine bretonne se trouve à quelques kilomètres d’un port, mais ce port ne dispose pas des équipements adéquats. On commence à s’intéresser à l’exploitation des algues, et encore sans en avoir l’air d’y toucher. Il est vrai que l’affiche – qui est un montage – représentant un enfant jouant avec son sceau sur une plage bretonne couverte d’algues vertes a été diffusée partout. Et pourtant les chercheurs, à Roscoff, et à ailleurs font d’immenses découvertes. La production raisonnée d’algues pourraient être une des grandes solutions aux difficultés économiques de ce début de siècle. Mais… Pour l’instant on préfère que les côtes et les îles deviennent des havres du tourisme et de la villégiature. On y trouve des centres de thalasso parmi les plus célèbres d’Europe. Et si on additionnait le prix de toutes les maisons sur les côtes et dans les îles bretonnes, quel montant obtiendrions-nous ? 1 milliard d’euros, 10 milliards ?