La ratification de la Charte européenne c'est un peu comme la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées, ou des loups dans les Alpes, cela ne peut se faire sans précautions... Ces derniers ont déjà tué 28 000 moutons en quelques années...
La Charte date un peu et a déjà un aspect vieillot. Quand on parle de la ratifier en France de quoi s'agit-il ? De confirmer 39 de ses 98 mesures possibles. Soit pas grand chose. Mais lesquelles ?
Le 7 mai 1999, en partie suite aux luttes que nous avions menées en Bretagne, la France a déposé ses bonnes intentions avec un préambule fixant bien les choses. Elle veut bien faire un petit effort à conditions « qu'elle ne vise pas la reconnaissance et la protection des minorités » « que l'emploi du terme -groupe- de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires » « qu'elle soit compatible avec la Constitution et n'aille pas à l'encontre de l'article 2 qui prévoit que le français est la langue de la république... » « que son enseignement soit facultatif de même que celui de l'histoire et de la culture... »
Après quoi il est écrit que la France « envisage » de s'engager à appliquer certains paragraphes ou alinéas, soit 39 en tout.
Prenons l'exemple du point 8 – Enseignement. Il y a 10 points qui se déclinent en 1 ou plusieurs alinéas. Dans la plupart des cas nous trouvons des dispositions de ce genre :
Les Parties s'engagent...sans préjudice de l'enseignement de la langue officielle de l'État : « A appliquer l'une des mesures suivantes au moins au élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant... »
- prévoir un enseignement primaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires, où
- prévoir qu'une partie substantielle de l'enseignement primaire soit assuré dans les langues régionales où
- que l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum...
A votre avis que choisira le gouvernement le moment venu ?
Même si les jacobins ne veillaient pas, il ne pourrait prendre le premier point correspondant à l'enseignement immersif puisque actuellement cela serait cassé par le Conseil d'État. Voilà d'ailleurs pourquoi le Sénat, s'il a été plus loin que la loi Deixonne votée il y a...62 ans... a refusé d'inscrire l'enseignement immersif dans ses recommandations la semaine dernière. « Jamais on est allé aussi loin... » disent des sénateurs, mais on est encore loin de rattraper le peloton des pays qui prennent les dispositions indispensables pour respecter la devise de l'Europe : « Unis dans la diversité. »
Dans l'état actuel des choses, ratifier la Charte comme elle est serait donner un argument juridique aux jacobins de tous poils pour lutter contre les écoles qui pratiquent l'immersion.. Il est pour le moins étonnant que personne ne parle de cet aspect des choses... Qu'en pensent les Diwan, les Ikastolas, les Calendretas et autres ABCM...
Aurélie FILIPPETTI, ministre de la culture, a créé un « Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne » Ouf. Il est clairement indiqué que son but est de tenter de faire appliquer ce que la France a signé même si cela ne sera pas ratifié. Elle souligne que sans ratification, c'est déjà un engagement international. Dans un cas comme dans l'autre ce n'est pas vendre la peau de l'ours des Pyrénées que de prédire que l'immersion ne pourra y être pris en compte pour les mêmes raisons que ci-dessus. Si c'était le cas, là comme dans une loi du parlement, le Conseil d'État stopperait la démarche.
Il est donc indispensable d'exiger une modification de la Constitution faisant évoluer la place des langues dites régionales du « patrimoine » comme les grottes de Lascaux, vers une existence réelle aujourd'hui.
Breizh-ImPacte et l'Institut Culturel de Bretagne, dans une démarche commune, ont été reçus par cette commission. Leurs suggestions seront soumises au groupe chargé de faire des propositions au gouvernement.
Nous avons insisté pour faire valoir qu'on ne peut plus enseigner et surtout sauver nos langues dans le cadre étroit d'un enseignement bilingue clone du monolingue. Les enfants et les jeunes Bretons ont besoin aujourd'hui de posséder une troisième langue internationale dans le cadre d'un « enseignement intégré » comme le font les Basques du sud et d'autres pays. Les langues de Bretagne deviennent alors l'axe central de la politique linguistique pour leur plus grand bien.
Aujourd'hui il y a en Bretagne 6 013 enfants dans les maternelles bilingues, 6 290 dans le primaire, 1905 dans le secondaire et seulement 468 dans les lycées bilingues. Allons-nous continuer à subir cette énorme déperdition qui fait qu'on ne forme que moins de 300 bretonnants confirmés par an en Bretagne. Allons-nous accepter qu'il ne restera que moins de 10 000 bretonnants en Bretagne en 2032 ? N'est-il pas temps de regarder les choses en face et d'améliorer de politique linguistique afin de gagner la partie ?
Ce que nous avons demandé au Comité ci-dessus c'est qu'il prenne en compte les « Propositions pour l'enseignement des langues de Bretagne » qui avaient été votées à l'unanimité du Conseil Culturel de Bretagne le 14 mai 2011 en y ajoutant l'enseignement de l'histoire et de la culture bretonnes car enseigner les langues hors de leur contexte n'a pas de sens. C'est la seule manière de sortir de l'impasse actuelle. Il semblerait que le message soit passé.
Conclusion : Il nous faut réclamer, non pas la seule « ratification » de la « Charte européenne » mais tout autant la modification de la Constitution permettant la prise en compte de l'immersion, le vote d'une loi traitant de tous les aspects d'une politique linguistique qui ne peut plus se limiter aux seules langues locales et le transfert des compétences et des moyens correspondants a la Région Bretagne.
Les Corses ont voté la co-officialité, les Basques du nord manifestent encore cette semaine, les Alsaciens font un colloque sur le sujet conformément à leur tradition. Il est grand temps que les Bretons regardent aussi l'avenir en se battant pour une Europe multiculturelle et un projet ambitieux pour la société bretonne.
Yannig BARON