Le Premier ministre vient d’annoncer l’abandon du projet d’alignement des Cours d’appel sur les régions administratives. La Bretagne judiciaire ne sera pas démantelée. Nul doute que les efforts conjugués de l’ensemble des Bretons – Juristes, responsables politiques, associations culturelles- ont contribué fortement à ce résultat, comme il y a dix ans lorsqu’ils firent reculer le projet identique poursuivi par Rachida Dati.
La politique, ou l’art d’affronter la réalité des problèmes a pris enfin le pas sur la technocratie toute puissante qui semble marquer le pouvoir de son empreinte.
Trop souvent, le pouvoir est exercé par une technocratie dont la compétence ne peut être mise en doute. Issue le plus souvent de l’ENA, elle contrôle tout et sait mieux que personne ce qui est bon pour le peuple. Elle forme le cœur de ces élites qui, depuis Paris, se sont progressivement coupées du reste de la nation, dans un mouvement irréversible.
Le moteur de la technocratie réside dans la rationalisation par la production de normes destinées à contrôler le réel et à modeler la nation dans le moule d’uniformité qui lui convient, seul gage d’efficacité, de cohésion et d’obéissance.
L’unicité en toutes choses est son graal, l’horizon qu’il lui faut pour s’accomplir. La moindre force qui déroge à sa norme d’une manière ou d’une autre est son pire cauchemar.
Comment ne pas voir que la technocratie contient en son principe même la terrifiante société à laquelle nous destine le Front national : « la France authentique » ou la nation épurée de tout ce qui déroge à la norme parisienne, comme ce fait « régional » que l’on ne saurait voir par ici ?
Sous couvert d’égalité, la technocratie entretient les pires inégalités territoriales en concentrant la part écrasante de la dépense publique sur une portion réduite de son territoire - la région parisienne - à un point tel que plus personne ne s’en offusque.
La technocratie nous prépare encore à la mondialisation par effacement progressif de toutes les aspérités qui lui font obstacle. Le souverainisme est le double maléfique ou l’alter ego de la mondialisation débridée. Ces deux principes sont intimement liés dans le refus assumé d’une véritable régulation politique au niveau international.
Le peuple via la démocratie formelle n’a plus d’autre fonction que de conférer au Pouvoir la légitimité démocratique qui lui manque, en renvoyant à l’Assemblée nationale une armée de godillots. L’exercice du pouvoir technocratique accorde la part belle à la communication et à tous ses artifices sémantiques pour montrer qu’il fait peuple.
Aussi fallait-il rationaliser, mettre en cohérence la carte judiciaire avec les régions administratives. Ce projet est dans les cartons de la technocratie depuis longtemps tout comme l’est le projet de disparition de la Bretagne dans le grand ouest. Le cadre des régions administratives n’avait-il pas déjà fait l’objet des soins attentifs de la même technocratie, découpé sur un coin de table selon l’humeur du moment ou le souci de complaire au notable puissant ?
Mais voici que le Pouvoir met au pas sa technocratie et retrouve le sens du politique en tirant les conséquences d’une véritable levée de boucliers, en France et de manière plus que significative en Bretagne.
Il n’est plus question de faire disparaître la Bretagne judiciaire à cinq départements car les Bretons ne le souhaitent pas, tout comme il rejettent en masse la disparition dans le grand ouest vide et impersonnel. La Bretagne est leur avenir dans la mondialisation et ils le savent mieux que personne.
Alors puisque la politique semble retrouver ses droits, et bien que l’on aille jusqu’au bout de son principe de réalité. La Bretagne est une réalité humaine indépassable dans ce que l’on nomme le grand ouest français et tout projet de réaménagement territorial ne saurait en faire l’impasse.
C’est peut-être la leçon à tirer de cette reculade du pouvoir. Car nul n’ignore que le statu quo fait de découpages administratifs multiples et incohérents est une épreuve quotidienne pour l’action publique. La Bretagne offre sa cohérence à toutes les délimitations administratives comme à l’exercice des politiques publiques. La cohérence est ce que veulent les habitants des cinq départements bretons sur le mode de la réunification administrative de leur territoire.
N’est-ce pas la véritable réforme territoriale à mener de toute urgence ? Et l’on retrouverait au passage la démocratie que l’on a perdue en chemin.
Yvon OLLIVIER
Juriste, auteur, l’un des Portes parole de la coordination des juristes de Bretagne