Brieg Capitaine assurait ce vendredi une communication dans le cadre des séminaires du groupe de chercheurs Ermine du CRBC de Rennes.
"Déboires et espoirs des peuples autochtones" : l'exposé relate les deux grands moments dans l'histoire récente des onze nations indiennes du territoire du Canada. Alors que les années 1970 rassemblaient les acteurs politiques autour d'idées de reconnaissances et d'égalité des droits, dès 1973, le côté juridique a pris le pas sur les revendications d'ordre culturel ou sociétal.
La division entre réserves, les richesses souterraines étant différentes, par exemple, a entraîné des jalousies et de grandes différences de niveaux de vie entre Indiens.
Le "droit ancestral" a des effets pervers qui peuvent entraîner le pillage des ressources ou l'enrichissement de certains (casinos, pétrole...) aux dépens des onze nations indiennes (Algonquins, Anous, Mowoks...).
La violence mine les collectivités indiennes, l'image victimaire est souvent une réalité qui montre un véritable construit social avec un taux de chômage moyen dans les réserves de 23%, soit quatre fois supérieur à la moyenne du Canada. 14 000 enfants étaient placés en famille d'accueil en 2011 soit 3.6% des enfants autochtones contre une moyenne de 0.3% dans les familles canadiennes.
Les Amérindiens sont six fois plus touchés par des problèmes d'alcool que les Canadiens, trois fois plus par la drogue, deux fois plus pour les suicides.
Dans le Sakskatchéwan, les violences faites aux femmes sont trois fois supérieures à la moyenne nationale. Est-ce un problème sociologique, juridique ?
Au retour de la deuxième guerre mondiale, les vétérans indiens avaient théoriquement droit à des terres offertes par le gouvernement. Mais comme ils étaient Indiens, cela leur a été refusé. De nouveaux acteurs se mobilisent avec eux : des jeunes scolarisés, des femmes. Les références anticoloniales des années 1970 (Canaques, Algériens) font que les luttes convergent entre les acteurs pour la reconnaissance des droits humains et les Québécois soutiennent les luttes autochtones.
Aujourd'hui, en 2015, les Québécois sont beaucoup plus hostiles. Les Indiens ne paient pas de taxes, disent-ils, vivent aux crochets de la société, un racisme ordinaire s'installe. Des actions stratégiques complètement individualisées prennent la place des acteurs des nouveaux mouvements sociaux.
L'identité autochtone est communément vue comme figée dans le passée, essentialisée. "Le gouvernement ne cherche plus à les assimiler mais à les exclure et à les faire disparaître par l'exclusion totale du reste du Canada".
L'intersubjectivité (Axel Honneth) disparaît, noyée par le juridique et les procédures politiques.
Mais d'autres voix se lèvent, le mouvement redevient créatif. Ils veulent pouvoir contrôler la manière dont ils se réprésentent.
Aujourd''hui, pour reprendre Touraine, ils cherchent davantage à "changer la vie qu'à transformer la société". Par des actes quotidiens, ils sont dans un "mouvement de guérison" qui essaime au Canada, la guérison de soi, la spiritualité.
Apparaissent alors derrière les maisons des tentes à suer, un espace plus intime de reconstruction de soi. La musique se développe, les festivals aussi.Des artistes plasticiens, des sculpteurs réalisent des oeuvres reconnues mondialement dont les bénéfices vont aux nations indiennes.
Une lutte éparse, difficile à saisir : ce ne sont pas des leaders politiques mais des "survivants", qui expriment une subjectivité où soin et guérison sont omniprésents. Le traumatisme culturel dont ils sont victimes est enfin reconnu, alors que les États-Unis l'ont fait dès les années 1970 avec des mots comme "génocide", ou "traumatisme historique".
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De décembre 2012 à février 2013, le mouvement "Idle no more !" a étonné les leaders politiques et la société canadienne. Né à l'initiative de quatre femmes du Saskatchewan, lors d'une opposition à une loi "omnibus" (groupement de lois avec de nombreuses dispositions concernant l'environnement, les syndicats...), ce mouvement revêt des formes diverses : manifestations, flashmobs... Pas de porte-parole, aucun lien avec le printemps érable, avec une plume rouge pour symbole, il regroupe des jeunes scolarisés à Québec, Montréal, est à l'opposé des mouvements politiques âgés et masculins.
Alors qu'en 1970, Lévêque, alors au pouvoir au parti québécois, avait compris qu'il fallait régler la question autochtone, le gouvernement actuel fait complètement la route inverse. La question de l'altérité, de la diversité culturelle se pose de façon très conflictuelle. Il faut faire comme la France, interdire les signes religieux, diviser sur la question.
Un des participants au séminaire souligne alors le fait qu'au festival interceltique de Lorient, le stand de l'Acadie fait la part belle à la langue française et au présent souverainiste du Canada qui ne respecte pas assez les droits des peuples autochtones.