Simon Le Bayon, Docteur en Sociologie & Ingénieur Systèmes d'informations, nous retrace ici les 5 ans de l'aventure collective du réseau social breton BZH Network (voir le site) . Ce réseau à la fois régional et globalisé, porté par le web 2.0, dépasse largement le concept de diaspora. Il aura largement contribué à renforcer la conscience collective moderne des Bretons. (S. Péan)
Faut-il considérer le web comme un territoire virtuel ? Pour les collectivités ce réflexe semble de mise. Et tout comme les politiques publiques visent le plus souvent à aménager leur territoire, ces collectivités pensent faire de même sur Internet. Beaucoup investissent encore majoritairement dans des projets d'infrastructures physiques (fibres optiques, zones blanches, etc), partie prioritaire de leur plan « Économie numérique ».
Maintenant, si nous abordons le web davantage comme un espace sociopolitique, on observe d'intéressantes innovations. Ces usages, car c'est de cela qu'il s'agit, se construisent à l'intérieur de collectifs web. Dans le cas de la Bretagne, ces collectifs font vivre, développent et construisent une présence bretonne sur Internet. Cette Bretagne, qui n'est alors plus définie par des repères ou par des limites géographiques, devient, avec BZH Network, l'agglomération de valeurs humaines, d'activités citoyennes et professionnelles.
Des origines au déploiement multi supports via le web 2.0
C'est sur Viadeo, une plateforme de réseaux sociaux professionnels, qu'un expatrié à l'international ouvre, en décembre 2005 un hub (hybridation d'un forum de discussion et d'un blog), qu'il intitule « Bretagne > BZH Network ». L'idée directrice est alors de constituer « une intelligence collective bretonne en réseau ». Pendant plusieurs mois, un nombre croissant d'individus aux profils professionnels variés vont ainsi produire une revue de presse en commun. Plus tard, alors qu'un millier de membres ont déjà rejoint le groupe, les échanges se diversifient avec des annonces d'emplois, des discussions sur l'actualité, des demandes de services, de recherche de stages à l'étranger, voire même des rencontres physiques pour certains d'entre eux. Si les échanges sur Viadeo sont dynamiques, il ne faut pas négliger l'intensité des discussions parallèles qui se déroulent par d'autres biais et tout particulièrement par mail et sur Skype.
Avec le temps, BZH Network élargit ses activités. Dans un premier temps, le collectif répond à un appel à projet des régions Bretagne et Pays de Loire, afin de proposer, en association avec une PME et un laboratoire de recherche, une plateforme collaborative dédiée. Cette plateforme expérimentale accueille ra de nouveaux types de documents, et en particulier des photos que s'échangent alors des Bretons dans le monde entier. On y trouve aussi quelques interviews, puis un système de partage de flux RSS.
BZH Network continue de proliférer en s'installant parallèlement sur Facebook ; ce faisant, le réseau attire de nouveaux membres et s'élargit d'autant plus. On s'y échange des contacts dans différents pays et on y crée d'autres groupes bretons aux appellations standardisées.
Avec près de 5.000 membres répartis, fin 2009, sur différentes plateformes techniques, BZH Network regroupe désormais pour moitié des résidents bretons et pour moitié des expatriés hors Bretagne. Ensemble, ils interviennent dans l'agenda politique régional, par exemple au travers de sondages repris dans la presse sur des questions d'actualité, comme la réforme territoriale ou encore le projet de taxe carbone. BZH Network regroupe des personnes sans distinction d'origine, d'activité, ni de localisation, et cela produit une véritable émulation pour un collectif par essence hétérogène.
Un réseau à la fois régional et globalisé
La composante internationale du réseau participe à la constitution d'associations plus ou moins formalisées à l'étranger. Ces réseaux locaux s'impliquent dans l'organisation d'événements afin de promouvoir la Bretagne au plan culturel et parfois économique ; la diaspora bretonne s'en retrouve ainsi dynamisée. Les organisateurs de la Saint Yves – devenue depuis Fête de la Bretagne dans le cadre d'une politique menée par la Région Bretagne – s'appuient à cette occasion sur le réseau pour déployer cette fête dans le monde.
Des membres de BZH Network sont invités à intervenir dans différentes manifestations organisées sur le thème de l'internationalisation de la Bretagne – université d'été du MEDEF 29, Atout Pays de Vannes, etc …– avec l'utilisation de visioconférences en direct aux quatre coins du monde.
A la fois global, de par son appellation et son sigle rassembleur, BZH Network n'en reste pas moins un regroupement d'individus. En effet, chacun donne vie à cette organisation informelle au travers des actions qu'il réalise, et cela dans une forme très particulière de « collaboration-indépendante ».
Au-delà du concept de diaspora
BZH Network se démarque des autres collectifs de la diaspora bretonne dans la mesure où il est profondément associé au web par sa fluidité et la façon dont il se laisse guider et transformer au gré des plateformes qu'il colonise. Il se rapproche en ce sens d'une intelligence collective. Insaisissable, fluide, dispersé, incontrôlé … voici autant d'adjectifs qui peuvent caractériser ce phénomène breton sur le web.
Est-ce la prégnance du web qui renouvelle la façon d'être de la diaspora bretonne ? Celle-ci n'est d'ailleurs plus essentielle à BZH Network tant le collectif regroupe à la fois Bretons du territoire et Bretons expatriés, mais aussi Bretons de cœur.
BZH Network laisse entrevoir une nouvelle forme émergente et inédite de dynamique collective spontanée. une communauté qui accepte différentes formes et différents degrés d'investissement et de participation. Pour reprendre une expression courante, nous pourrions évoquer un mouvement citoyen globalisé, qui reste néanmoins attaché à un territoire.
L'erreur serait de croire qu'une dynamique de cette ampleur est perpétuelle. Les Diaspora Knowledge Networks, ces réseaux d'expatriés qui agissent pour leurs pays d'origine, ont identifié deux formes d'erreurs récurrentes :
D'un coté, certains expatriés se lancent dans des initiatives individuelles. Pragmatiques, elles sont bien souvent efficaces. Mais elles sont aussi de courtes durée, du fait de l'épuisement des acteurs ;
De l'autre, des institutions (États ou Régions) portent des projets centralisés visant à fédérer leurs expatriés. Si ceux-ci sont plus durables, ils peinent à mobiliser durablement les acteurs, car trop figés dans leurs définitions et pas assez réactives.
BZH Network illustre parfaitement le cas d'un réseau, qui, tout en partant d'une initiative individuelle, est parvenu à agréger, à sensibiliser, et à toucher plusieurs milliers de personnes, qui, dans le cadres d'actions très diversifiées, en sont venues à construire un même idéal imaginaire de collaboration et d'entre-aide.
Cette agrégation d'initiatives personnelles, gagnerait à trouver auprès des élus, des représentants locaux, et plus largement du territoire breton, une plus forte attention. En effet, le dynamisme et l'ouverture de la Bretagne politique constitue un terrain fertile pour la mise en oeuvre , ou plus sobrement, pour l'expérimentation d'une lntelligence Participative, exploitant pleinement les technologies de l'information et de la communication, filière à part entière de l'économie, mais surtout de la société bretonne.
"Les régions gagnantes seront celles qui sauront articuler une vision stratégique et une véritable capacité d'intelligence distribuée dans l'épaisseur du tissu économique et social" , Pierre Veltz dans "La Grande Transition", 2008.
Ce phénomène que nous observons, et auquel nous participons depuis cinq ans, mérite selon nous tout l'intérêt et toute l'attention des décideurs politiques et économiques, dans un esprit de force et de lien ensemble.
Références
Simon Le Bayon. « Sociologie de la composition des collectifs web 2.0 : le cas de la diaspora bretonne. », Université Rennes 2 Université Européenne de Bretagne (10/12/2010), Dominique Boullier (Dir.) (voir le site)
Jean-Baptiste Meyer. « La mobilité des compétences dans une société mondiale basée sur les savoirs. « , Habilitation à diriger des recherches en Sciences politiques, Institut d'études politiques de Paris. 2008