41° 53′ 41″ N, 12° 28′ 14″ E : rendez vous à Rome avec Hubert Malidor, chef des cuisines de l’ambassade de France en Italie.
Avant de rejoindre en septembre 2017, l’une des plus belles adresses diplomatiques au monde, il occupait le poste de chef de cuisines de la Préfecture région Bretagne. S’expatrier pour la première fois, le faire en famille, basculer de Rennes vers une métropole telle que Rome, la décision était conséquente. Mais pourquoi sauter un tel pas à quarante six ans ?
Hubert Malidor : « Je voulais casser la routine. Grâce à l’association "Les Cuisiniers de la République Française" dont je fais partie (qui réunit des chefs au service de l’Etat), j’avais de nouveaux échanges avec des personnes qui connaissaient bien l’international comme mon ami Carlos Marsal. Cela m’avait donné envie de découvrir, de ‘sortir de ma zone de confort’ comme on dit. Nos trois enfants étaient petits, c’était le moment idéal. »
A ses cotés et il le souligne, Anne sa femme , amie et complice. Elle l’a formidablement accompagné dans une nouvelle étape qui signifiait pour elle (et ce n’est pas rien), l’arrêt de sa propre activité.
« Le premier choc a été la chaleur (qui monte à 40, 45° en été). Je n’y étais pas habitué! Comme l’arrivée dans une capitale. Nous sommes au cœur du centre historique, qui réunit des merveilles d’architecture sur quelques pâtés de maisons. Le Panthéon, la fontaine de Trévise…j’en prends plein la vue à chaque fois que je sors».
Puis, le bruit général, les klaxons utilisés sans modération, une circulation catastrophique, un irrespect total des lignes droites…. ça dépote à Rome ! Le seuil sonore, -dont l’acceptation est très élevée chez nos amis Italiens-, se retrouve aussi à l’école, où les enfants crient beaucoup. Cela a été dur au début pour les nôtres, ils n’étaient pas habitués.»
Al dente! Vraiment un autre mode de cuisson (avec des pâtes uniquement au blé dur, très différentes de celles que nous avons en France). Hubert s’en trouvant bien décontenancé la première fois. «Des spaghettis. Pas cuits pour moi ! Mais ils ont raison car pour la digestion, c’est super. Ils ne mangent pas de pâtes ‘blanches’ (c’est pour les malades), mais toujours avec un accompagnement. Et pas de coquillettes comme chez nous.» Difficile pour les enfants de se passer de coquillettes et face à la grogne montante, la solution a été trouvée: la famille en fait régulièrement parvenir par la poste !
Les pâtes, les pizzas, les légumes grillés au four, le tiramisu, les brioches, les glaces… bien d’autres savoureuses découvertes ont suivi. Avec elles, la qualité des produits, la typicité très marquée des régions et, l’attachement viscéral des Italiens à leur gastronomie (par les temps qui courent, ce petit coté chauvin est à applaudir).
Le Palais Farnèse -Palazzo Farnese-, qui abrite l’ambassade et l’Institut Français, est un joyau de la Renaissance. Situé au cœur du centre historique ce palais abrite de vrais trésors, dont un jardin de 2500 m² où poussent orangers et citronniers.
De belles conditions de travail pour Hubert Malidor, mais avec un protocole bien plus codifié qu’à la préfecture, à l'ambiance très différente: feutrée, avec des rapports particulièrement hiérarchisés.
L’art de la table faisant partie des relations diplomatiques et de l’image française, l’expérience du chef s’est considérablement élargie par l’organisation de repas d’Etat, de gros événements culturels, la gestion des coûts et de l’approvisionnement (un sport de haut niveau, n’hésitons pas à le dire), la création de recettes où se mêlent de petites touches italiennes. Belle et respectueuse façon de rendre hommage à son pays d’accueil.
A savoir que les spécialités bretonnes ne sont pas absentes de la table ou des cocktails ! Hubert a carte blanche grâce à Monsieur l’ambassadeur -S.E Christian Masset-, qui apprécie notre région. C’est ainsi que les crêpes, fars et palets bretons côtoient de grands classiques tels le Saint Honoré et les crêpes Suzette. Le chef s’est mis à travailler et associer différemment produits et techniques. En exemple, des fraises déglacées au vinaigre balsamique servies tièdes sur un palet breton. Ou encore, une galette de blé noir farcie à l’araignée de mer présentée en cannelloni.
A ses cotés en cuisine, le sous chef par Gianfranco Sabitini et le second Giuseppe Melana. «Ils sont très professionnels, motivés et ponctuels. Ils ont de l’expérience, nous sommes complémentaires et je peux leur faire confiance sur nos impératifs de travail. Je veux que tout soit bien défini et cadré en amont, je suis calme, je suis bosseur, ils aiment cela.»
Equipiers qui peu à peu, ont partagé des techniques avec Hubert, comme la préparation (et les secrets) des pâtes, du risotto ou de la sauce tomate.
Par ailleurs, d’autres savoirs faire ont intégré les cuisines. C’est le cas du pain, entièrement préparé et façonné sur place chaque semaine (les pâtons sont mis à congeler pour les sortir au fur et à mesure). Miches, baguettes, pains au seigle, au sarrasin, à l’encre de seiche, à la pistache…représentent une belle source de gratifications pour l’équipe.
Vivre dans un autre pays si différent et pourtant si proche en distance, a modifié le regard d’Hubert sur bon nombre de choses. A commencer par l’importance des identités, en Europe ou ailleurs. Les normes sont une chose, l’uniformisation des cultures en est une autre.
Pour ce qui est de la Bretagne, l’éloignement a amené une conscience plus aiguë de son propre ADN. « La distance me fait ressentir différemment notre esprit voyageur, notre fort caractère, la beauté de nos paysages, la qualité de nos produits. Mais ce qui me manque le plus avec les fruits de mer, c’est le temps et ses variations, la pluie, la marée, l’odeur de l’iode...»
La galette saucisse et la galette trempée dans du lait baratté font partie d’autres souvenirs venus de l’enfance paysanne, comme les rillettes, l’andouille ou le pâté rennais. La charcuterie est délicieuse en Italie et malgré ses diversités régionales, son goût est différent de la bretonne car souvent faite à partir de foie (on oublie aussi cornichons et moutarde pour donner la place aux câpres).
Une étape qui a représenté un grand paradoxe. D’un coté, l’étrangeté (presque douloureuse) du silence à Rome, de ce centre historique aux rues désertes…Sachant que la ville vit surtout du tourisme, quelle tristesse!
De l’autre, le confinement lui a permis d’échanger bien plus avec ses deux équipiers, et de se trouver bien de souvenirs d’enfance en commun ! Avec Gianfranco Sabitini venu des Abruzzes, (depuis 30 ans à l’ambassade, il y est entré à peine sorti de l’école). Avec le Calabrais Guiseppe Melana (trentenaire bientôt), arrivé à l’ambassade il y a 10 ans.
Tous deux issus de régions très distinctes, où Hubert nous emmène faire quelques pas.
Gianfranco est né à Giuliopoli (dans les Abruzzes), un pays de montagnes et de bocages, situé à 60 km de la mer Adriatique, aux forêts de chênes et de châtaigniers…Un monde où beaucoup sont partis à la ville (comme Gianfranco), un monde qui sent le bois et la charcuterie fumée… « Nous y sommes allés en vacances avec Anne et les enfants. Cette région me fait un peu penser à l’Auvergne. Ils n’ont pas d’agriculture ni de vignes, c’est un pays de bûcherons, de petites fermes qui font un peu d’élevage. Nos familles tuaient le cochon et nous avons vécu enfants, les mêmes préparations de charcuteries. Mais chez eux, le saucisson est différent, c’est une sorte de salami écrasé -la sopressata-, avec un peu de gras, dont la viande assaisonnée et séchée, est prise dans la partie noble.» Une région qui est aussi réputée et depuis les temps jadis, pour ses cuisiniers (c’est dans les Abruzzes que se trouve la grande école Marchitelli).
Pour le Calabrais Guiseppe (arrivé enfant à Rome où il a fait toutes ses études), sa ville de naissance est Vilbo Valentia , entre montagne et mer.
Montagne où poussent les oliviers, qui descend tout près de la côte pour accueillir des plantations d’orangers et de citronniers…Quand Giuseppe revient au pays, il se régale de tomates confites dans l’huile d’olive (une des spécialités de la région, avec les coulis).
Un de ses plats préférés ? Une sorte de bourguignon où le vin blanc remplace le rouge, où mijotent de la viande de bœuf, de veau et de cochon dans de la sauce tomate et des oignons. A la fin, on enlève les viandes et on fait cuire les pâtes (de blé, sans œufs) dedans. Ensuite, on sert et mange les pâtes à part et la viande à part. Un plat d’enfance, qu’il demande toujours à sa grand-mère de lui préparer quand il retourne au pays.
Parler de cette enfance, de cette longue lignée paysanne que tous les trois partagent, a représenté quelque chose de très positif.
Ces racines, Hubert Malidor (natif de Vitré en Ille-et-Vilaine), il les revendique et de plus en plus, cela deviendrait presque une protection ! Car, hors contexte sanitaire, cette vie dans un environnement feutré, le luxe du Palais Farnèse dans lequel il évolue, le fait que l’épouse ne puisse avoir une activité professionnelle, le type d’école où les enfants sont obligatoirement inscrits…un ensemble de points souvent liés à l’expatriation qui peuvent amener à perdre les repères et le contact avec le « vrai monde ». Un cas de figure que l’on retrouve malheureusement, encore trop souvent.
Il y avait déjà quelques herbes plantées dans les magnifiques jardins du palazzo . Les difficultés d’approvisionnement on permis au chef (qui avait aussi très envie de jardiner, il l’avoue) de défendre auprès de Madame et Monsieur l’intégration de quelques espèces potagères. C’est ainsi que des plants de tomates cerise (comme les datterini rouges et jaunes à la forme allongée), des courgettes et des poivrons se sont frayé un espace, avec la sarriette, le basilic thaï, la marjolaine, le thym citron…En revanche, si vous allez à Rome et visitez -cela peut se faire-, le Palais Farnèse, ce charmant potager restera secret !
Vous pourriez en revanche, demander à saluer le chef pour un petit moment breton ? A moins qu’il soit parti vers d’autres aventures professionnelles…A suivre sur APB.
Marie Anne Page
Prochain rendez vous avec un Breton d’Ailleurs: c'est pour début septembre, en Asie du Sud Est…